Monde

Le Pakistan sombre dans l'extrémisme religieux

Les islamistes radicaux n'hésitent plus à assassiner tous ceux qui s'opposent à eux. Et le pouvoir n'ose même plus les contredire.

Temps de lecture: 2 minutes

L’assassinat à Islamabad de Shahbaz Bhatti, ministre des minorités religieuses et le seul chrétien membre du cabinet, souligne une fois de plus l’état d’anarchie dans lequel s’enfonce le Pakistan. Cet assassinat en plein jour intervient deux mois après celui du gouverneur du Pendjab, tué par l’un de ses gardes du corps et pour la même cause: les critiques proférées par le ministre contre la loi sur le blasphème. La loi sur le blasphème qui punit de mort toute personne accusée de profaner  le prophète Muhammad est souvent utilisé contre les minorités pour tenter de régler des conflits personnels. Toutes les tentatives faites depuis plusieurs années ne serait-ce que pour amender cette loi en durcissant son application ont été infructueuses, le pouvoir politique reculant devant les menaces des partis religieux.

Puissant gouverneur du Pendjab et, comme Shahbaz Bhatti, membre du PPP (Parti du Peuple Pakistanais) au pouvoir, Salman Taseer avait été lâché par les siens après avoir demandé un amendement à une loi qu’il jugeait «inique». Devant les protestations  des partis religieux,  le Premier ministre avait juré haut et fort que le gouvernement n’avait aucune intention de modifier cette loi. De la même façon, Sherry Rehman, députée du PPP, a  été contrainte par son parti de retirer du Parlement un projet d’amendement qu’elle avait déposé concernant cette loi.  Isolé au sein du PPP Shahbaz  Bhatti se savait menacé mais, avait-il assuré, dans une vidéo destinée à être diffusée au cas où il mourrait: «ces menaces et ces avertissements ne peuvent pas changer mon opinion et mes principes. Je préférerais mourir pour mes principes et pour la justice envers ma communauté, plutôt  que faire des compromis».

 Les extrémistes islamistes qui agissent sans peur au Pakistan ont pris soin de signer leur crime en abandonnant sur les lieux des tracts sans ambigüité. «La seule punition pour blasphémer le Prophète est la mort».  Cet assassinat  est un avertissement «aux infidèles et apostats» affirme «l’Organisation d’ Al Qaida et des talibans pendjabi».  L’association des deux noms souligne la coopération désormais établie entre les fidèles d’Ousama Ben Laden et les extrémistes du Pendjab qui contrairement à leurs homologues le long de la frontière avec l’Afghanistan ont toujours combattu pour  le Jihad international.

Poursuivie de longue date,  la politique d’apaisement des gouvernements vis-à-vis des religieux a créé une atmosphère telle au Pakistan que même critiquer une loi concernant l’Islam est perçu comme un blasphème. L’assassinat de Shahbaz  Bhatti ne provoque pas même de sursaut dans une classe politique tétanisée par la crainte des religieux.  Le crime est condamné mais il n’est jamais fait mention de  la cause que défendait le ministre des minorités. Un symbole de la nouvelle victoire des Islamistes.  Minoritaires dans ce pays de 180 millions d’habitants, les extrémistes islamistes réussissent à paralyser les Institutions et dicter leur volonté au Parlement.  En leur abandonnant par manque de vision, de volonté et de direction, le champ du discours public, le gouvernement leur donne une influence grandissante qu’ils utilisent sur une population désemparée qui ne sait plus où chercher son salut temporel.

Les héritiers d’Ali Jinnah ont depuis longtemps trahi leur maître et bafouent sans honte les principes sur lesquels il avait édifié le pays en 1947. «Vous êtes libres, vous êtes libres de fréquenter vos mosquées, vos temples et n’importe quel lieu de culte dans cet état du Pakistan. Vous pouvez appartenir à n’importe quelle religion, caste ou foi, cela n’est pas l’affaire de l’Etat» déclarait-il devant la première assemblée du pays le 11 août 1947. Déjà discriminés dans les emplois publics et dans la vie quotidienne, les minorités pakistanaises - chrétiennes et  hindoues principalement qui représentent environ  3% de la population- ont maintenant le sentiment de lutter pour leur survie. Pauvres dans leur grande majorité, ces minorités n’ont  pas véritablement le choix de l’exil et la  perte de la voix la plus éloquente  en faveur de leurs droits est une tragédie qui va bien au-delà de la mort d’un ministre qui continuait courageusement son combat solitaire.

Françoise Chipaux

Photo: La voiture criblée de balles de Shahbaz Bhatti à Islamabad   Faisal Mahmood / Reuters

cover
-
/
cover

Liste de lecture