Culture

Comment LCD Soundsystem tente de contrer les revendeurs de billets

Accaparés par des systèmes informatiques écartant les «vrais gens», les places pour le dernier concert de LCD Soundsystem se sont arrachées en quelques secondes, provoquant la colère des fans.

Temps de lecture: 4 minutes

Le 2 avril 2011, le groupe disco-punk LCD Soundsystem donnera son dernier concert lors d’une gigantesque soirée dansante organisée au Madison Square Garden. Le 11 février, à 11 heures, Ticketmaster devait mettre en vente les billets pour le concert.

A exactement 10h50, le vendredi, je me suis connecté au site Ticketmaster puis sur la page spécifiquement dédiée à cet achat. A partir de 10h58, j’ai constamment rafraîchi la page. A 11 heures, confiante et dans les starting-blocks, j’ai pu… euh, rien.

Le site m’informait qu’aucun billet n’était disponible. J’ai donc rechargé la page à toute vitesse et tenté le coup avec une nouvelle fenêtre de navigation. Pas de billets. Pas même dans la partie la plus éloignée de la scène.

Ce groupe est assurément très populaire, particulièrement dans la ville de New York dont il est originaire. Les concerts d’adieux sont généralement très difficile d’accès. Mais LCD Soundsystem est loin d’être les Beatles et le Madison Square Garden n’est pas vraiment une petite salle.

Que s’était-il donc passé? Je me suis rapidement rendue sur Twitter. Personne –vraiment personne à ce qu’il semblait– n’était parvenu à acheter un billet. Le site avait peut-être un problème?

Non. En fait, le concert avait affiché complet en quelques secondes et pour une raison simple: les revendeurs de tickets professionnels, connus sous le nom de scalpers aux Etats-Unis, avaient ramassé les billets par poignées.

Dans les minutes qui suivirent, on en trouvait des centaines à la revente, sur StubHub et autres sites de revente où les vendeurs peuvent fixer eux-mêmes les prix. Des billets valant au départ 49,50 dollars valaient douze fois cette somme –les places les plus convoitées, donnant accès au dancefloor au pied de la scène, valaient des milliers de dollars.

Dizaines de milliers de demandes

Comment ont-ils fait? Ils ont utilisé des bots. Des systèmes informatiques –pas particulièrement sophistiqués d’ailleurs– soumettant des dizaines de milliers de demandes de billets au moment même où ils sont mis en vente, écartant donc les vrais gens.

Un programme qui met en échec les boîtes de dialogue conçues pour s’assurer que ce sont bien des humains qui effectuent les achats en ligne. Ces professionnels, billets en mains, se rendent ensuite sur d’autres sites pour les revendre plus cher que leur valeur initiale.

La défense économique d’un tel comportement est la suivante: les ventes de billets pour des artistes populaires sont caractérisées par l’excès de la demande sur l’offre. Il existe plus de fans désireux d’acheter les billets à leur vrai coût que de billets disponibles –ce qui a pour conséquence de rendre les billets plus chers que leur valeur initiale. Les scalpers jouent donc le rôle du marché, en faisant monter les prix des billets jusqu’ à ce que le marché s’équilibre.

Si vous voulez voir LCD Soundsystem, vous dirait un économiste, vous pouvez blâmer votre manque de chance initial. Mais vous pouvez également redresser la barre et y assister –au prix fixé par le marché. Si le fait d’assister à leur dernier concert est à ce point important pour vous, rendez-vous sur StubHub, et achetez donc un billet.

Bien sûr, cette défense rhétorique n’est pas une consolation pour les fans en colère qui souhaitaient aller danser au dernier concert de LCD Soundsystem et qui espéraient acheter des billets au prix fixé par le groupe. La colère des fans résonne à travers tout le monde de la musique, dans lequel ceux qui souhaitent assister à des concerts se voient de plus en plus fermer les portes du marché «officiel».

Une enquête de 2006, effectuée notamment par l’économiste Alan Krueger, a montré que les scalpers vendent environ 10% des billets de concert, les revendant en moyenne entre 45% et 60% plus cher. Ce business n’a depuis cessé de grimper.

«Sacs à merde de scalpers»

Mais les fans de LCD n’ont pas été abandonnés. Ce fiasco a provoqué la colère du leader charismatique du groupe, James Murphy. Sur son blog, il a écrit:

«Nous voulons juste dire que nous avons été plus que choqués et surpris par la vitesse à laquelle les billets du 2 avril au Madison Square Garden se sont vendus, ainsi que par l’efficacité de ces sacs à merde de scalpers à mettre la main sur des billets avant les fans, et que ça nous a littéralement foutu par terre.»

Le marché ayant donc échoué à ses yeux, il a demandé aux fans de refuser de payer des milliers de dollars pour entrer au concert du Madison Square Garden:

«Je vais tenter de trouver un moyen de baiser la gueule de ces connards. QUELLE QUE SOIT LA VALEUR DE CE QUE NOUS FAISONS, ASSISTER A UN DE NOS CONCERTS NE VAUT PAS AUTANT D’ARGENT!»

Il s’est alors rendu compte qu’il lui restait un atout dans la manche. Il a donc inondé le marché, rajoutant des dates, augmentant le nombre de billets disponibles, espérant ainsi faire baisser les prix.

Les billets virtuels, pas la panacée

Fort heureusement, dans le futur, d’autres groupes n’auront pas besoin de recourir à de telles mesures, car il existe des moyens bien plus efficaces de s’assurer que les billets se retrouveront finalement dans les mains des fans. La méthode la plus prometteuse est sans doute celle popularisée par la tournée «Best of the World» de Miley Cyrus (aka Hannah Montana) en 2008.

Les «billets virtuels», qui sont hélas illégaux à New York, fonctionnent un peu comme des billets d’avions: les fans doivent arriver au concert avec la carte de crédit ayant servi à la transaction, ce qui a pour effet de tuer presque entièrement le marché des scalpers.

Mais selon Bob Lefsetz, expert de l’industrie musicale, ces billets virtuels ne sont sans doute pas la panacée pour les fans. Dans le cas de LCD Soundsystem, le nombre de billets disponibles est pour partie responsable du fiasco. «De nombreuses ventes privées ont lieu avant que les ventes ne soient ouvertes au grand public», dit-il. «Il y a les ventes aux fan-clubs. Les préventes American Express. La salle elle-même met des billets à la vente. Et il existe également des billets réservés –les artistes, les organisateurs, la salle retiennent des billets.»

Ce qui veut dire que, malgré le fait que le Madison Square Garden peut accueillir 13.000 personnes, le groupe pourrait bien n’avoir réellement mis en vente qu’un millier de billets –d’une manière ou d’une autre, il y aurait de toute façon eu de nombreux fans déçus.

Mais il fait également remarquer que, dans le futur, certains groupes pourraient bien ne pas vouloir vendre de billets virtuels. Selon lui, «les entourloupes sont légion» qui permettent à la fois de gagner de l’argent et de s’assurer que le concert sera plein –des entourloupes qui ne seront plus possibles si les groupes utilisent ces billets virtuels: «certains groupes jouent eux-mêmes les scalpers sur leurs propres billets», fait-il remarquer.

Ticketmaster, pour sa part, est un ardent soutien du billet virtuel, comme un grand nombre de groupes populaires. Mais on n'est jamais trop prudent: Ticketmaster a en effet racheté, il y a quelques années, un des principaux sites de revente de billets…

Annie Lowrey

Traduit par Antoine Bourguilleau

cover
-
/
cover

Liste de lecture