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Annecy 2018: la victoire passe par le lobbying

La candidature d'Annecy pour organiser les Jeux olympiques d'hiver en 2018 va-t-elle éviter les erreurs commises par Paris pour l'organisation des Jeux de 2008 et 2012?

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Et si l’on rêvait un peu? Après les échecs français pour obtenir les JO 2008 et 2012, Annecy peut-elle venir rompre la malédiction en accueillant les Jeux d’hiver 2018? La réponse, attendue en juillet, tient beaucoup à un facteur: le lobbying.

«Dans notre culture montagnarde, on ne renonce pas!». Samedi 12 février, Charles Beigbeder, président du comité «Annecy 2018» clôture la visite de cinq jours en Haute-Savoie de la commission d’évaluation du Comité international olympique (CIO). Devant les onze experts, l’entrepreneur, souriant, malgré la tension accumulée au fil de cette intense semaine, se veut optimiste, persuasif et montre que son équipe est un bon élève, ajoutant même du lyrisme à son discours: «L’appel du CIO du 22 juin a résonné dans nos vallées et montagnes»... À ses côtés, ses deux vice-présidents, les champions Jean-Pierre Vidal et Pernilla Wiberg, soufflent. À l’image de tout le staff annécien, ils sont soulagés. Le test crucial de la commission d’évaluation s’est bien déroulé. La Venise des Alpes, qui souhaite accueillir les XXIIIes Jeux olympiques et Paralympiques d’Hiver en février 2018 – tout comme Munich (Allemagne) et PyeongChang (Corée du Sud) – est de nouveau crédible, malgré des débuts difficiles.

Un bref rappel s’impose. En juin 2010, le CIO informe Annecy que la ville est présélectionnée. Mais prévient que le dossier est «trop étendu» géographiquement, qu’il manque un peu de crédibilité. Après une série de couacs, un changement de ministre des sports, et un coup de tonnerre provoqué par le départ le 12 décembre de son directeur général, Edgard Grospiron - il réclamait un renforcement du budget - la candidature semblait définitivement enterrée, certains suggérant même un retrait de la compétition. Finalement, après un casting  de la dernière chance, et la reprise en main du dossier par le gouvernement, le chef d’entreprise Charles Beigbeder accepte de relever le défi. Et commence, la nouvelle année venue, sa périlleuse mission.

Pourtant habituée à accueillir des évènements sportifs de premier plan, la France va-t-elle retomber dans les écueils du passé? Aspect trop souvent négligé ou minimisé, un lobbying maîtrisé mais efficace,  élément crucial dans le cas d’Olympiades, est à privilégier.

L’art de véhiculer un message

Dans la bataille pour obtenir les JO, la communication est un outil majeur. C’est l’art du lobbying, l’art de faire passer efficacement ses idées. Pour les JO 2012, brocardée des mois durant par les stratèges britanniques, les critiques s’étaient portées sur «l’arrogance française», dont le film «Paris 2012» de Luc Besson, au coût de 5 millions d’euros avait été le symbole.  Cette fois-ci, la stratégie a été pensée et repensée. La démarche est plus modeste à l’image du slogan choisi, «La neige, la glace et vous». Le discours plus humble. Après la mauvaise note de juin 2010, «cinquante experts ont travaillé d’arrache-pied pour redéfinir le concept» explique Perrine Pelen, triple médaillé olympique et membre d’Annecy 2018. Un effort de communication et de pédagogie a été fait durant cette semaine de visites.

Pour quel bilan? «Positif», répond-elle: «La commission d’évaluation a compris que c’était fait de manière professionnelle et que l’on avait pris en compte les recommandations du CIO». La capitale Haut-savoyarde a su habilement revoir sa copie. Et tente maintenant, vaille que vaille, d’effacer les tâches d’encre des derniers mois,  à l’image de la faiblesse de son budget (situé aujourd’hui à 21 millions d’euros) pour faire briller les atouts locaux. Alors on met les petits plats dans les grands. On profite du beau temps, on joue la carte de la séduction, du développement durable, des charmes régionaux…Les grands chefs locaux concoctent leurs meilleurs plats tandis que les 120 journalistes accrédités sont accueillis avec le plus grand soin.

Un mémo de communication, comprenant «les éléments de langage» est envoyé à toutes les personnes susceptibles de s’exprimer sur la candidature. Y compris aux députés UMP au Parlement Européen… Il est axé sur trois idées principales:

  • «Un nouvel enthousiasme autour de la candidature».
  • «L’excellence du dossier  avec des Jeux au cœur des montagnes, conçus avec les athlètes, et pour l’avenir».
  •  «Un soutien très fort de l’Etat et des acteurs publics».

D’ailleurs, les organisateurs ont assuré avec succès la carte du «soutien de l’Etat». François Fillon a ouvert le bal mardi en accueillant les membres du Comité d’évaluation[7] avant que ne se succède une demi-douzaine de ministres – un record - et que Nicolas Sarkozy, en VRP de Luxe, achève vendredi les visites. Le président, qui aime partager sa vision du sport, l’assure: il veut «se battre» pour l’obtention de ces Jeux.

Lobbying international

Incontestablement, c’est l’enjeu crucial et déterminant de cette candidature: le lobbying à l’international. Claire Jouet, directrice de Havas Sports (Euro RSCG) qui chapeaute la communication de l’événement, le confie: «On rentre dans une phase de vente et la France doit apparaître sur la scène internationale de manière professionnelle». Sous la direction de Guy Drut, membre Français du CIO, un «bureau international» a été constitué.  Avec pour objectif un lobbying efficace lors des grands rendez-vous sportifs mondiaux à venir. De quelle manière? En persuadant, au fil des rencontres, les 115 membres du CIO qui voteront le 6 juillet prochain à la 123ème session du CIO à Durban (Afrique du Sud) des qualités du dossier.

L’international, pourtant, est clairement  la faiblesse française. D’aucuns pensent que les Frenchies ont un train de retard et n’ont pas, de surcroît, une véritable culture du lobbying. La France n’a pas son «Sebastian Coe». En juillet 2005 à Singapour, à la veille du vote des membres du CIO, l’athlète et homme politique britannique avait effectué un lobbying féroce, allant  même jusqu’à accueillir avec Tony Blair les indécis dans sa chambre d’hôtel pour les convaincre un à un. Bilan? À la surprise générale, Londres l’emporta contre Paris à quatre voix près. Sebastian Coe était devenu «l’artisan» de la victoire. Et les Français avaient été vus comme «candides». Dépité, choqué, Bertrand Delanoë avait confié:

«Il faut l'accepter en tentant de sourire mais on ne s'est pas battu de la même manière, avec les mêmes armes ».

Triste constat. Olivier Le Picard l’affirme: «Toutes les villes qui ont obtenu les JO ont une politique (de lobbying) à l’Anglo-Saxonne». Ce lobbyiste chevronné, président du cabinet Communication et Institutions, qui a travaillé à la candidature de Paris 2012, considère que Beigbeder, bien que talentueux, «a la faiblesse de ne pas être connu au niveau international». Avant d’ajouter: «Ce n’est pas possible de réussir sans utiliser un réseau mondial».

Et le politique là-dedans? Lionel Tardy, le député UMP de Haute-Savoie est amer. «Déçu» du rôle de «figuration» accordé aux parlementaires pour promouvoir les JO à l’étranger, il confie même en avoir «fait son deuil». Le ton est franc, direct. Il «regrette» le rôle prépondérant accordé aux sportifs au détriment du politique qui dispose d’un «pouvoir» et de «relations». Il précise sa pensée: «Les sportifs ne connaissent personne à l’international, sauf des sportifs». Citant ses multiples déplacements à l’étranger depuis 2008 et les rencontres avec des politiques de tous bords, il insiste sur la possibilité qui aurait dû offerte aux députés: «Nous aurions pu décupler les forces». Présent à Vancouver lors des JO 2010, il confie que c’était la «catastrophe» chez les Français, «désorganisés», incapables de rivaliser avec le lobbying des Coréens et des Allemands.

Le Comité Annecy 2018 a opté pour une musique différente de celle de Paris 2012. Sans doute se sont-ils rappelés les paroles du défunt Henri Sérandour, l’ancien président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) en 2005, à propos de la défaite: «Notre candidature semble avoir été vécue par certains comme un programme de politiques entourés de sportifs, alors que celle de Londres est apparue comme celle de sportifs entourés de politiques” . Mais Lionel Tardy insiste : « Le choix de l’attribution des Jeux à telle ou telle ville,  est une décision politique ».

Soutien populaire
 

C’est souvent la conséquence d’un bon lobbying et d’une communication efficace. L’un des atouts d’Annecy est l’adhésion populaire. Selon un sondage CSA d’octobre 2010, 90% des Français sont favorables à ce qu’Annecy accueille les JO et 74% des habitants du département. Les organisateurs l’ont compris: il faut montrer que les Français veulent ces Jeux. Alors, aux stations de Chamonix ou encore du Grand-Bornand, la Commission «a pu sentir le soutien populaire avec des tribunes pleines scandant Annecy 2018!», explique Perrine Pelen.  Pourtant certains grognent. Un «comité anti-olympique» s’est formé en 2009. À force de lobbying, certains de ses membres ont été reçus par des membres du Comité d’évaluation du CIO. Des écologistes dénoncent également dans une lettre ouverte à l’instance olympique «le manque de vision environnementaliste» des Jeux. Un mouvement qui «fait désordre» selon Olivier Picard. Les organisateurs tentent de minimiser la chose, de répondre à ces mécontentements. La situation rapproche en tout cas Annecy de sa concurrente, Munich, victime elle aussi de la fronde grandissante de ses fermiers locaux.  

Autre aspect notable: les réseaux sociaux. Alors que le groupe Facebook de PyeongChang dépasse péniblement les 8.000 membres, Munich se situe à moins de 11.000 et Annecy caracole en tête avec 130.000 fans, dépassant même Londres2012 et ses 115.000 supporters. «On veut que les Français portent le projet» insiste, enthousiaste, Claire Jouet qui veut «faire l’effort pour créer le buzz». Une stratégie Internet qui peut s’avérer payante. L’option «cohésion nationale» est en outre brandie. La communicante explique que ça a été l’un des arguments adressé au comité d’évaluation. Organiser les Jeux en France pourrait ainsi avoir le même effet bénéfique que la Coupe du Monde 98 et sa génération «black, blanc, beur». Quant à la stratégie médias, elle est importante.  Une campagne de publicité a débuté samedi 12 février sur France Télévisions et s’achèvera début juillet. Last but not least,  des manifestations grand public sont prévues, notamment le 23 juin, date de la journée mondiale de l’Olympisme.

Le hasard

À côté des questions techniques et budgétaires s’ajoutent de nombreux éléments incertains, mouvants. «Il y a des facteurs internes qu'on est susceptibles de contrôler, c'est-à-dire le dossier, résume Perrine Pelen. Après, il y a des facteurs externes importants qui sont géopolitiques et internationaux, qui peuvent intervenir et favoriser l'un ou l'autre». Les scandales de corruption, qui ont entachés les Jeux de Salt Lake City 2002 et de Pékin 2008, ne semblent désormais plus possibles. La moralité des  Jeux est passée par là. Mais la règle tacite d’alternance des continents peut être cruciale.  La  France qui a accueilli trois fois les Jeux d’Hiver peut-elle gagner 2018 alors que l’Asie toute entière n’a eu cette chance que deux fois?  N’oublions pas que c’est la troisième candidature consécutive de PyeongChang… À contrario, les tensions entre les deux Corées peuvent-elles affaiblir le dossier? 

Les questions budgétaires et de sponsoring sont aussi essentielles, sinon cruciales. Les Olympiades, c’est d’abord du business. L’Allemagne est en avance: c’est l’opinion de Lionel Tardy pour qui la bonne santé économique outre-Rhin est un facteur clé. Tout comme la qualité de leurs sponsors. Charles Beigbeder sera-t-il le sauveur  du dossier? L’entrepreneur, candidat malheureux à la présidence du MEDEF en 2005, dispose d’un solide réseau parmi les grandes entreprises françaises.  Et pourrait marquer des points cruciaux si les partenaires économiques de son Club 2018 augmentent leurs participations.

Les membres du Comité d’évaluation ont quitté les encablures du lac d’Annecy pour s’envoler vers la Corée puis l’Allemagne. Que retenir? D’abord qu’Annecy, après des débuts laborieux et malgré des handicaps intrinsèques, revient renforcé dans cette compétition majeure et exceptionnelle qu’est l’attribution des Jeux Olympiques. Le ton est maintenant optimiste: «Les Jeux sont à notre portée» expliquait Charles Beigbeder samedi. Compétition mondiale et universelle, graal des athlètes qui y participent et s’y distinguent, les Olympiades sont surtout une formidable opportunité pour le pays hôte d’affirmer - et souvent de renforcer - sa diplomatie culturelle dans monde. Un lobbying mondial, efficace, mais loin de l’arrogance fréquemment prêtée à l’hexagone est indispensable. Annecy a déjà pris soin d’éviter plusieurs écueils fatals du passé. Mais la route est encore longue, difficile. Une nouvelle «bataille internationale» commence, comme le confie un proche du dossier. Le dénouement est attendu le 6 juillet. Et comme le conclut Perrine Pelen: «Entre maintenant et Durban, tout est possible»…

Pierre-Anthony Canovas

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