Économie

Les révolutions arabes ménagent les intérêts pétroliers

Les marchés pétroliers s'affolent de la guerre civile libyenne. Mais la chute des dictatures ne serait pas forcément une mauvaise nouvelle pour la stabilité à terme des marchés.

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Tandis que les victimes de la répression sanglante en Libye se comptent par milliers, l’Arabie saoudite se veut apaisante. Et choisit le terrain pétrolier pour montrer que les monarchies du Golfe conservent la maîtrise des opérations. «S'il y a avait une diminution de l'offre en raison de perturbations dans des pays producteurs, les pays de l'Opep, comme l'Arabie saoudite, accroîtront leur production», avait assuré le ministre saoudien du pétrole le 22 février. Le 28, l'Arabie saoudite s'est engagée à assurer la «stabilité du marché». «En réponse à une baisse potentielle de la production libyenne l'Arabie saoudite a relevé sa production à 9 millions de barils par jour, soit de 5 à 600.000 de plus qu'en janvier», a indiqué Hussein Allidina, de Morgan Stanley Research Global.

Il s'agissait de rassurer les marchés, nerveux malgré tout. Les cours du pétrole avaient atteint le 24 février à New York 101 dollars le baril, alors qu’ils avaient commencé l’année 2011 autour de 90 dollars. Et à Londres, une poussée de fièvre a fait monter le baril jusqu'à 115 dollars. L'annonce saoudienne a fait effet. Lundi 28 février, les prix ont un peu baissé à New York: le baril de «light sweet crude» pour livraison en avril a terminé à 96,97 dollars, en recul de 91 cents par rapport à vendredi. 

Alors que les aspirations des peuples à plus de liberté ont soufflé jusque dans le royaume à l’occasion de manifestations (censurées dans les medias) à Jeddah, Ryad souhaite manifestement circonscrire la problématique à la seule Libye en soulignant l’absence de fortes tensions sur un marché pétrolier où les stocks ont été reconstitués et où l’offre et la demande s’équilibrent.

Une aspiration des peuples qui ne se limite pas à la Libye

Toutefois, les observateurs ne regardent pas forcément les événements de la même façon que l’Arabie saoudite, elle-même dans une situation plus délicate que son ministre du Pétrole ne veut bien laisser paraître. Après avoir accueilli l’ex-président Ben Ali et sa femme, l’allié des Etats-Unis au Moyen-Orient peut aussi être déstabilisé par les revendications démocratiques des populations arabes. Comme l’ex-président Moubarak en Egypte, le roi Abdallah pourrait se retrouver en porte-à-faux vis-à-vis de Washington qui, en Tunisie comme en Egypte et au nom de la liberté des peuples, s’est ostensiblement placé du côté des manifestants. Quelles conséquences dans l’avenir sur le marché pétrolier?

L’Arabie saoudite n’est pas la Libye, et la problématique dépasse même Tripoli et Ryad. On doit tenir compte également des situations en Algérie, en Iran et en Irak, où des manifestations ont eu lieu pour réclamer plus de libertés et moins de corruption, au Qatar, au Koweit et dans les Emirats arabes unis où d’autres mouvements ont eu lieu malgré des interdictions de manifester.

Ainsi, huit pays des douze membres de l’Opep sont aujourd’hui concernés –à des degrés très divers d’implication– par les aspirations démocratiques de cette partie du monde. Et à eux huit, ils représentent une production de quelque 20 millions de barils jour, sur les quelque 29 millions de baril pompés par le cartel fin 2010, et 86 millions dans le monde

La Libye avec 1,5 à 1,7 million de barils de pétrole extraits chaque jour, intervient pour un peu moins de 2% de la production mondiale. Sur un marché où l’offre et la demande s’équilibrent, une défection de ce niveau pourrait fort bien déclencher une flambée des cours. Ce qui explique les propos saoudiens. Et si d’autres pays ne pouvaient plus tenir leur place sur le marché, la déflagration serait plus forte encore. D’où la nervosité des marchés.

Les dictatures sont toujours, à terme, porteuses d’instabilité

Mais les marchés, qui détestent l’incertitude et réagissent à des projections de court terme, ne sont pas toujours rationnels. Et n’ont pas toujours raison. Car le scénario le plus probable n’est pas celui d’une raréfaction de l’offre. D’abord, même dans le cas du renversement d’un ou plusieurs gouvernements, les nouvelles autorités n’auraient aucun intérêt à fermer les robinets du pétrole.

Au contraire, pour assurer une transition sans pénaliser les populations qui les auraient portées au pouvoir, ces autorités auraient tout intérêt à pérenniser les exportations d’or noir qui assurent pour tous ces pays plus des trois quarts de leurs ventes à l’étranger. Le marché ne court donc pas le risque d’un assèchement.

En outre, la situation à laquelle les marchés sont confrontés ne provient pas de démocraties instables, mais de régimes autoritaires qui ont jusqu’à présent maintenu une chape de plomb sur les populations. Or, toute dictature génère une aspiration des peuples à plus de liberté. En ce sens, elle porte les gènes des troubles qui déstabiliseront un jour le pouvoir, jusqu’à le renverser.

Aussi, pour les pays occidentaux qui aspirent à une pacification du Moyen-Orient afin de profiter d’un approvisionnement sécurisé en hydrocarbures, les régimes autoritaires sont, dans la durée, source de déstabilisation. Lorsqu’un clan qui exerce une mainmise sans partage sur le pouvoir est destitué, le renversement peut être salutaire s’il ouvre la voie à la démocratie. Et si les forces politiques en présence parviennent à instaurer un nouvel équilibre, durable.

La Libye est aujourd’hui au cœur d’un processus révolutionnaire. Mais cette problématique du pétrole ne s’applique pas à la Tunisie, ni à l’Egypte, ni au Yémen, ni au royaume de Bahrein où les populations se sont soulevées pour contester les privations de libertés et systèmes de corruption. En revanche, elle concerne directement, l’Algérie, l’Iran et l’Irak où les pouvoirs sont défiés. L’Arabie saoudite et les autres monarchies du Golfe sont forcément interpelées. Des transitions se préparent. Elles ne fermeront certainement pas les accès aux hydrocarbures et, au contraire, pourraient les pérenniser. Ainsi, l’avènement de démocraties serait un facteur de régulation des marchés pétroliers. Aussi longtemps, toutefois, que l’aspiration démocratique ne sera pas détournée.

Gilles Bridier

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