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Quand les femmes déposeront leurs ovocytes à la banque

Une technique de congélation des ovocytes ouvre la voie à une révolution dans la procréation et à une nouvelle étape dans la dissociation procréation-sexualité.

Temps de lecture: 5 minutes

C’est tout sauf un détail. L’évènement, majeur mais rarement mis en lumière, ne date que de quelques jours. Tout s’est passé lors de l’examen du projet de loi de révision de loi de bioéthique. Les députés ont adopté deux décisions complémentaires de nature à bouleverser de manière radicale et irréversible le paysage tricolore de l’assistance médicale à la procréation.

Ils ont élargi le périmètre des dons d’ovocytes et de spermatozoïdes aux femmes et aux  hommes n'ayant pas encore eu d'enfant(s). Ils ont aussi dans le même temps autorisé le recours à la technique (jusqu’ici interdite) de la congélation par vitrification des ovocytes humains; technique qui pourrait rapidement bouleverser la paysage de la procréation qu’elle soit naturelle ou médicalement assistée.

Résumons. La première décision est en rupture radicale avec une disposition législative concernant les donneurs de cellules sexuelles; une disposition en vigueur depuis 1994 et les premières lois de bioéthique:

 «Le donneur [de sperme ou d’ovocytes] doit faire partie d'un couple ayant procréé. Le consentement du donneur et celui de l'autre membre du couple sont recueillis par écrit. Il en est de même du consentement des deux membres du couple receveur, qui peut être révoqué, avant toute intervention, par l'un ou l'autre des membres du couple.»

Pourquoi prendre alors autant de précautions? Il s’agissait tout d’abord de prévenir les risques inhérents à la toujours possible survenue ultérieure d'une stérilité de la donneuse; cette dernière saurait alors qu’un ou plusieurs enfants (dotés pour partie de son patrimoine génétique) auraient pu être conçus grâce à son don alors qu'elle-même ne pourrait plus procréer… La même situation pouvait être envisagée pour les donneurs de sperme.

Des précautions à la pénurie

Mais cette disposition visait pour l’essentiel à inscrire dans la loi une pratique en vigueur depuis la création (en France au début des années 1970) des premières banques publiques de sperme.

Les créateurs de ces banques, réunis alors sous la férule du Pr Georges David, avaient imposé que les donneurs devaient avoir l'expérience de la paternité.

Dans leur esprit, il s’agissait d’obtenir que ce soit un couple qui offre (anonymement et bénévolement) à un autre couple les moyens cellulaires de donner la vie; on pensait ainsi prévenir les accusations des opposants à cette  pratique dans laquelle ils voyaient une forme d’«adultère biologique».

En France, les ovocytes ne peuvent légalement être «donnés» (de manière anonyme et gratuite) qu’à des couples qui ne peuvent pas procréer. Et ce soit parce que la femme, bien que jeune, n’a pas naturellement d’ovocytes, soit parce que ses ovocytes présentent des anomalies, soit parce que, pour la soigner d’une maladie grave, elle a subi un traitement qui a détruit ses ovocytes. Ils peuvent également être destinés à des couples risquant de transmettre une maladie génétique grave à leur(s) enfant(s). Dans tous les cas, un encadrement médical est indispensable et le couple receveur doit, comme le veut la loi, être «en âge de procréer».

C’est ainsi qu’en pratique une femme ne peut encore jusqu’ici, en France, effectuer un don d’ovocytes que si elle a déjà un enfant, que si elle est âgée de moins de 37 ans et que si elle est en «bonne santé».

Pourquoi revenir aujourd’hui la première de ces trois obligations? Avant tout pour lutter contre la pénurie actuelle de ces dons de cellules sexuelles qui fait que les délais d’attente peuvent être de plusieurs années et que toutes les demandes sont loin d’être satisfaites. Selon les derniers chiffres officiels de l'Agence de la biomédecine 265 femmes ont, en 2008, effectué un don d'ovocytes; 469 couples receveurs ont dans le même temps bénéficié d'un tel don ; près de 145 enfants sont nés.

A la fin 2008, 1.639 couples étaient officiellement en attente de don. Selon certaines estimations, ils seraient en réalité aujourd’hui 5.000.

Cette pénurie chronique va grandissant compte tenu de l’âge moyen, toujours plus avancé, auquel les femmes décident de procréer; un phénomène généralement associé à une baisse de la fertilité. Aussi  interdire le don aux femmes n’ayant pas eu d’enfants conduit-il immanquablement à réduire les taux de succès: ils se situent ainsi entre 20 et 25% en France contre environ 40% dans les pays qui acceptent les dons (souvent contre rémunérations) de jeunes femmes nullipares.

Des ovocytes congelés plutôt que des embryons

La France maintenant sa volonté de conserver dans ce domaine les principes (quasi-sacrés) de gratuité, de bénévolat et d’anonymat, ce n’est pas cette mesure qui, à elle seule, peut être de nature à bouleverser le paysage de l’assistance médicale à la procréation.

Le bouleversement à venir résulte de l’association de cette mesure à celle du  feu vert donné à la technique de «vitrification» des ovocytes. Il s’agit ici d’un progrès technique récent et majeur qui permet de conserver par congélation les cellules sexuelles féminines comme on sait le faire depuis près d’un demi-siècle pour les spermatozoïdes.

Or voici que cette «vitrification» ouvre de nouvelles et multiples perspectives; à commencer par celle du moindre recours à la pratique de la congélation des embryons conçus par fécondation in vitro. La création quasi-systématique de tels embryons (on en compterait aujourd’hui environ 200.000 en France) visait pour l’essentiel à augmenter les taux de succès des procédures d’assistance médicale à la procréation.

Disposer d’ovocytes congelés pouvant être décongelés avec succès ferait que les spécialistes de la biologie de la reproduction humaine pourraient ne plus créer «à la demande» que les seuls embryons nécessaires à la reproduction dans le cadre du couple demandeur.

Mais on peut aussi aller beaucoup plus loin et envisager la création de banques d’ovocytes congelés dont les fonctions pourraient dépasser de beaucoup celle des banques de sperme.

C’est ce que faisaient valoir dans Le Monde (daté du 9 février) Muriel Flis-Treves, Nelly Achour-Frydman et René Frydman (service de gynécologie- obstétrique et médecine de la reproduction, hôpital Antoine-Béclère, Clamart):

«Des femmes jeunes pourraient, si elles le souhaitent, conserver une partie de leurs ovocytes pour elles-mêmes, mais aussi faire un don d'une partie ou de la totalité de ceux-ci. L'efficacité du don en serait augmentée, sa réalisation facilitée par le découplage de l'offre et de la demande. La création d'une banque publique d'ovocytes cryopréservés (qui n'existe pas ailleurs) permettrait de répondre au désir de grossesse de plus en plus fréquent chez les femmes “d'un certain âge” qui perdent progressivement leur potentiel physiologique, et qui souhaitent cette alternative.»

De telles banques –dont les frais de fonctionnement seraient pris en charge par la collectivité nationale– constitueraient un puissant rempart contre le développement international du marché des ovocytes, ces cellules sexuelles étant prélevées (contre «défraiement») sur de (très) jeunes femmes avant d’alimenter –notamment dans différents pays européens– des trafics médicaux plus rémunérateurs (mais nettement moins à risque) que ceux, chirurgicaux, des greffes d’organes.

Au-delà de la possibilité accrue du don d’ovocytes «jeunes» et donc «de qualité», la création de telles banques offrirait aux femmes une nouvelle maîtrise de leur fonction de reproduction: stocker pour l’avenir une fraction de leur capital ovocytaire et, le moment venu, y avoir recours. Comment ne pas voir les prolongements d’une revendication fondamentale soumettant le fait «d’avoir des enfants» au «vouloir de la femme»?

Une nouvelle étape de la dissociation sexualité-procréation

De ce point de vue, les futures banques publiques d’ovocytes congelés s’inscriront logiquement dans la déjà longue histoire de la dissociation entre sexualité et procréation; et donc –en France– dans les suites de ces révolutions que furent l’autorisation (par voie législative, en 1967) de la commercialisation des méthodes contraceptives hormonales et de la dépénalisation encadrée (1975) des pratiques  abortives.

Rien n’interdit de penser que la nouvelle possibilité offerte aux femmes de stocker une fraction de leurs cellules sexuelles à des fins de procréation ultérieure (en dehors du champ des stérilités avérées) ne concerne pas, demain, les hommes.

Chacun se verrait ainsi offert, dès sa majorité, la possibilité de stocker, de conserver par congélation (voire de donner) une partie de ses cellules sexuelles: et ce à un moment où elles présentent les plus grandes garantie de fécondabilité.

Question: combien seront-ils –et avec quels arguments– à oser s’opposer à une telle perspective révolutionnaire, à un projet pleinement en résonance (via la maîtrise croissante de la fonction humaine de reproduction) à la prédominance de l’inné sur l’acquis?

«Un enfant quand je veux.» «Un enfant comme je veux.» Mieux encore, un enfant conçu avec les cellules sexuelles déposées dans les congélateurs bancaires au temps où nous étions jeunes, beaux et –déjà– féconds.

Jean-Yves Nau

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