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La fin de Kadhafi?

La Libye pourrait se diriger vers un changement de régime rapide –ou une guerre civile durable.

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Après plus de quarante ans de pouvoir, la Grande Jamahiriya arabe libyenne populaire socialiste, l'autre nom du gouvernement de Mouammar Kadhafi, touche-t-elle à son terme? Les informations en provenance de Libye sont fragmentaires, et parfois contradictoires, mais tous les signes concourent à la description d'un régime en crise. Benghazi, la seconde ville de Libye, est aux mains des manifestants, et de leurs chants joyeux de slogans hostiles au régime. La situation à Tripoli, la capitale, est chaotique, avec des immeubles en feu et une police qui se cache. D'importantes unités militaires désertent, tandis que des dignitaires tribaux et des membres de l'élite, qui lui étaient autrefois fidèles, condamnent aujourd'hui le régime.

Pour autant, ce n'est pas fini. Dans un discours, dimanche, le fils et dauphin putatif de Kadhafi, Saif al-Islam Kadhafi déclarait «Nous ne sommes pas la Tunisie ni l'Égypte», et avertissait, «Nous allons nous battre jusqu'à la dernière minute, jusqu'à la dernière balle.» Avant cette allocution, le rôle de Saif consistait à montrer la face respectable du régime au public occidental, et de se faire le porte-parole de slogans sur les droits de l'Homme et la société civile. En d'autres termes, c'était lui le gentil. Donc s'il promet l'enfer, croyez bien qu'il s'agit là des véritables intentions du régime.

En effet, la Libye semble d'ores et déjà s'enfoncer dans la guerre civile. Des centaines de personnes sont mortes lors des raids du régime contre les manifestants. Le compte exact est difficile à établir, tant le régime a imposé un blackout médiatique, et a essayé de limiter les communications mobiles et internet. Mais il est clair que ce régime ne prévoit pas d'y aller avec le dos de la cuillère.

Reste à savoir si la famille Kadhafi pourra s'assurer du soutien de tribus importantes, et des dignitaires militaires qui n'ont pas encore rejoint l'opposition. Les désertions, pour le moment, sont un signe qui encourage à penser proche la chute de Kadhafi. Le ministre de la justice, Mustafa Abdel-Jalil, aurait condamné le régime pour son «usage excessif de la violence», et de nombreux ambassadeurs ont visiblement abandonné Kadhafi. Si ces individus peuvent sincèrement être écœurés par le bain de sang, autant dire que vous ne pouviez pas faire carrière dans le gouvernement Kadhafi si vous souffriez d'un excès de moralité. Leur défection laisse donc à penser que les jours du régime sont comptés dans l'esprit de ces importants initiés, poussés par leur instinct de survie à quitter le navire avant qu'il ne coule.

A l'instar du régime qui lutte pour son unité et pour rester au pouvoir, l'opposition devra faire de même si elle veut mettre fin à cette tyrannie. Kadhafi divisait pour mieux régner, punissait et cooptait, les Libyens n'ont donc pas l'habitude de travailler ensemble, politiquement parlant. En Égypte et en Tunisie, les militaires avaient un sens de l'honneur institutionnel, et la haine du régime poussaient des forces disparates à œuvrer de concert. L'armée libyenne est bien plus politisée. De plus, historiquement, la Libye a un sens de l'unité nationale moindre, ce qui fait que les habitants de Benghazi ont plus de mal à coordonner leurs actions avec ceux de la lointaine Tripoli. Mais plus important encore, le régime a, pour l'instant, violemment riposté – et, pour la plupart ses crimes ont été commis en dehors du champ de vision des médias internationaux.

L'opposition doit rester unie pour éviter que le régime rassemble ses forces et ne les terrasse petit à petit. Tandis que les manifestants profitent de leur nombre, les fidèles de Kadhafi (du moins pour l'instant) eux, ont les armes. Si les désertions militaires se généralisent, l'équilibre des forces pourra basculer. Mais trop souvent au Moyen-Orient un petit groupe, s'il est très bien armé, a réussi à imposer sa façon de voir sur une majorité.

A l'inverse de l'Égypte ou de la Tunisie de ces dernières semaines, ou du Bahreïn actuel – ou des manifestants pacifiques cherchent à changer leur gouvernement – l'administration Obama n'a pas de poids et d'influence en Libye. En Égypte, les relations étroites entre les États-Unis et les militaires égyptiens, ne serait-ce que par plus d'un milliard de dollars en aides militaires annuelles, ont permis à Obama d'avoir son mot à dire sur les événements qui s'y déroulaient. Le Bahreïn est un allié étroit des États-Unis, et Washington est aussi proche de l'Arabie Saoudite, le voisin et grand-frère du Bahreïn. En Libye, par contre, les États-Unis n'ont peu ou pas de moyens d'influencer le régime. Jeter l'opprobre sur Kadhafi ne changera pas grand-chose, et il n'y a ni assistance, ni coopération sérieuses à menacer de supprimer.

Évidemment, ces défauts ont aussi leurs qualités: la Libye n'est pas un proche allié des États-Unis. Si la Libye est un important producteur de pétrole, et si elle assiste les efforts contre-terroristes américains contre al-Qaida et de ses auxiliaires, des décennies d'hostilité et l'étrange nature du pouvoir de Kadhafi ont restreint le rapprochement à l'œuvre entre les deux pays depuis une dizaine d'années environ.

Ainsi, si les responsables politiques occidentaux peuvent se soucier d'une Égypte post-Moubarak ou d'un Bahreïn démocratique qui seraient plus hostiles aux États-Unis, en Libye, on a l'impression qu'un nouveau régime ne pourrait pas être pire. Ce qui est toujours une pensée dangereuse au Moyen-Orient, où tant de mauvais régimes ont eu des héritiers politiques encore plus affreux. Le chaos en Libye, et le manque d'unité de l'opposition font aussi peser la menace d'un conflit dégénérant en longue guerre civile, avec des milliers de morts supplémentaires. Pour l'instant, cependant, l'espoir  d'une Libye marchant dans les pas de l'Égypte et de la Tunisie semble justifié, même si les États-Unis et les occidentaux ne peuvent pas faire grand chose pour accélérer le mouvement.

Daniel Byman

Traduit par Peggy Sastre


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