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Pour Israël, la menace iranienne se rapproche

Téhéran profite du flottement du pouvoir égyptien et de l'affaiblissement américain pour envoyer des navires de guerre en méditerranée.

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Deux navires de guerre iranien ont franchi le canal de Suez et pénétré en Méditérranée mardi 22 février pour la première fois depuis 1979 et la révolution islamique. Les navires sont la frégate de 1.500 tonnes Alvand et le transport de 33.000 tonnes Kharg. La frégate est armée de torpilles et de missiles anti-aériens et le Kharg possède des hélicoptères.

Le nouveau chef d’Etat-Major israélien, Benny Gantz, n'aura pas attendu longtemps avant d'être confronté à sa première crise. En dépit de tractations et de pressions depuis plusieurs jours, les Etats-Unis n’ont pas réussi à persuader les militaires égyptiens d’interdire le franchissement du canal de Suez à deux bâtiments de guerre iraniens qui ont décidé de mouiller au large de la Syrie. Pour les dirigeants israéliens, c'est une «provocation» et une menace.  L’Iran islamique n’avait jamais envoyé, depuis 1979, ses navires de guerre traverser le canal de Suez. Les Etats-Unis qualifient cette incursion «d'irresponsable».  

Téhéran a profité immédiatement du flottement du pouvoir égyptien et de l'affaiblissement américain dans la région. Avigdor Lieberman, le ministre des affaires étrangères israélien, a mis en garde l'Iran et la communauté internationale: «A mon grand regret, la communauté internationale n’est pas  prête à faire face aux provocations iraniennes répétées. Elle doit comprendre qu'Israël ne peut pas éternellement ignorer ces provocations». La menace est claire mais elle n’étonne pas, venant d’un membre nationaliste de la coalition. Il n’est pas certain qu’il sera suivi, au moins dans ces propos, par l’ensemble du gouvernement. Pour autant, la situation est considérée comme très sérieuse en Israël où le syndrome de l'encerclement grandit. Le succès iranien est aussi perçu à Jérusalem comme une confirmation de la faiblesse et de la pusillanimité de l'administration Obama.

Les services israéliens ont confirmé que le navire logistique iranien Kharg, escorté de la frégate Alvand, transportait des missiles de longue portée et qu’une partie de sa cargaison était destinée au Hezbollah. Le cabinet de sécurité israélien s'est réuni le 18 février avec les principaux chefs militaires pour évaluer la menace. Les israéliens sont persuadés que les iraniens, profitant des révolutions dans le monde arabe, ont à la fois l'intention de renforcer le Hezbollah libanais et de briser, y compris par la force, le blocus naval de Gaza pour équiper en matériel lourd les forces militaires du Hamas.

La marine israélienne suit la flottille iranienne depuis le 6 février qu'elle est en entrée en mer Rouge et a mouillé dans le port saoudien de Djeddah. L’autorisation d’accoster dans un port saoudien était déjà une première. Elle a été donnée par le roi Fahd à l’Iran après la déconvenue pour l'Arabie Saoudite du «lâchage» du président Hosni Moubarak par washington. Lors de son discours du Caire du 4 juin 2009, Barack Obama avait voulu faire comprendre aux pays qui s’étaient sentis abandonnés sous l’ère Bush, qu’ils pouvaient à présent récolter les dividendes de leur alliance avec les Etats-Unis.

L’Egypte et l’Arabie Saoudite ont ainsi agi de concert avec Washington pour contenir la poussée chiite iranienne. Mais en Arabie Saoudite aujourd'hui, on n'est plus sûr de l'allié américain. Le roi saoudien Abdullah a très mal pris le fait que l’appel à l’aide d’Hosni Moubarak, qui avait envoyé secrètement le Maréchal Tantawi à Washington, n’ait pas été entendu. Alors par représailles et surtout pour consolider la position de son fragile royaume, il s’est tourné vers l’Iran dans une sorte de camouflet aux Etats-Unis. Les saoudiens n’avaient jamais autorisé auparavant les navires de guerre iraniens à mouiller dans leurs ports. L’Iran a sauté sur l'occasion pour défier les Etats-Unis et narguer Israël. Téhéran cherche à rééditer la manœuvre opérée en sens inverse par les israéliens qui ont  envoyé des sous-marins en mer Rouge armés de missiles nucléaires, via le canal de Suez.

L’Iran cherche, selon une longue tradition persane, à étendre son influence au-delà du golfe Persique. Le contre-amiral Gholam-Reza Khadem Biqam a confirmé et précisé cette doctrine, le 2 février, en insistant sur sa volonté d’être présent en Méditerranée où mouille la 6ème flotte américaine. Les services de renseignements israéliens ont néanmoins été surpris. Ils n'avaient pas anticipé la chute du dictateur égyptien et la possibilité simultanée pour des navires de guerre iraniens de mouiller dans un port saoudien. 

Les israéliens paient aussi les changements simultanés de toutes les têtes au sommet de l’armée et des services de renseignement qui ne pouvaient tomber à un plus mauvais moment. Il leur faut maintenant envisager de nombreux scénarios stratégiques nouveaux liés à une présence militaire navale iranienne en méditerranée.

L’Iran serait en mesure, par exemple, de bloquer, même partiellement, le ravitaillement des forces armées américaines sur la route du golfe persique. La présence de l’Iran au large des côtes de Syrie consoliderait à la fois la position du Hamas et celle du Hezbollah qui devient déjà politiquement dominant au Liban.

Par ailleurs, le maréchal égyptien Tantawi a déjà fait allusion au fait qu’il se désintéressait du Sinaï égyptien et préférait axer ses forces sur le maintien de l’ordre dans le pays et sur la consolidation du pouvoir militaire en Egypte. Le Hamas n’a de son côté jamais caché qu’il se verrait bien contrôler le Sinaï avec l’aide des forces d’al-Qaida déjà installées sur place et avec l'aide de l'Iran.

Toutes ces hypothèses sont excessivement dangereuses pour Israël. D'autant plus que  les Etats-Unis sont aujourd'hui affaiblis et ne semblent pas savoir comment s’opposer à la volonté d'hégémonie de l’Iran au Proche-Orient. Dans ce contexte, Israël qui se sent acculé et risque de réagir comme toujours quand il est le dos au mur en frappant fort et le premier. La provocation iranienne pourrait amener une riposte de Tsahal qui ne peut laisser longtemps son ennemi mortel parader à ses frontières sans perdre sa crédibilité.

Jacques Benillouche

Photo:  La frégate iranienne Alvand  franchit le canal de Suez Reuters

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