France

Alzheimer: des médicaments inutiles, meurtriers, mais remboursés

Depuis six ans, la revue «Prescrire» alerte sur l’inefficacité et les effets secondaires, parfois mortels, des spécialités pharmaceutiques autorisées (et remboursées) contre cette maladie. En vain.

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L’affaire n’est pas sans rappeler celle du Mediator. Elle concerne quatre médicaments prescrits (et remboursés) pour lutter contre la maladie d’Alzheimer. Personne ne conteste que ces médicaments sont, en pratique, inefficaces. Nicolas Sarkozy expliquait lui-même, lors de la récente émission «Paroles de Français», qu’il «n’existait pas de médicaments» contre la maladie d’Alzheimer. 

Dans le meilleur des cas, les quatre spécialités ne retarderaient que «de quelques mois» l’évolution irréversible du «déclin cognitif», principal symptôme de cette affection. Mais plusieurs études témoignent de leur toxicité potentielle et de leurs possibles effets secondaires cardiaques graves, parfois mortels.

Depuis six ans la revue mensuelle Prescrire alerte sur ce sujet professionnels de santé et pouvoirs publics. Pour l’heure, aucune décision préventive concernant ces médicaments n’a été prise par les autorités sanitaires. Et, curieusement, aucun d’entre eux ne figure dans la récente liste des médicaments qui, à la suite de l’affaire du Mediator, font l’objet d’une «surveillance renforcée» de la part des services de pharmacovigilance de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). 

Les quatre médicaments «anti-Alzheimer» concernés sont l’Aricept (donepezil) de la firme Eisai (commercialisé depuis septembre 1997) l’Exelon (rivastigmine) de Novartis (mai 1998), le Reminyl (galantamine) de Jansen-Cilag (octobre 2000) et l’Exiba (mémantine) de Lundbrek (mai 2002). Les trois premiers font partie de la famille dite des «anticholinestérasiques». Tous furent généralement perçus au départ comme de possibles innovations thérapeutiques face à une maladie dégénérative incurable.

Avec le temps, on devait toutefois conclure à leur quasi-inefficacité comme le résume un rapport [PDF], daté de janvier 2009, de la Haute Autorité de Santé (HAS).

La HAS précisait que ce rapport résultait «de la gravité de la maladie d’Alzheimer, de l’enjeu de santé publique qu’elle représente et des débats suscités par des rapports publiés à l’étranger». Premier constat: à la question de savoir s’il les malades peuvent trouver un bénéfice à la consommation de ces médicaments, la HAS observe que les résultats des études disponibles ne sont guère «pertinents». Ces études n’ont généralement pas dépassé 6 mois; une donnée d’autant moins compréhensible que ces médicaments sont a priori prescrits durant plusieurs années.

Et la HAS d’ajouter que dans la majorité des études, l’évaluation de l’efficacité est difficilement interprétable et que «l’utilisation de ces médicaments est largement empirique». Un euphémisme. Et la HAS de souligner que «dans le domaine cognitif, des interventions non médicamenteuses: ateliers mémoire, ergothérapie, art-thérapie… sont utiles au patient. Elles stimulent les capacités qui lui restent en vue d’améliorer sa qualité de vie».

Les conclusions de la HAS méritent d’être lues et relues:

«Compte tenu de la gravité de la maladie d’Alzheimer et du possible rôle structurant du médicament dans la prise en charge globale de cette maladie, la Commission de la Transparence considère que, malgré un rapport efficacité/effets indésirables modeste, la prise en charge par la collectivité reste justifiée. (…) La consultation de prescription des anti-Alzheimer doit être l’occasion de coordonner les interventions de l’ensemble des acteurs médicaux, paramédicaux et sociaux pour une prise en charge globale du patient et le soutien de ses “aidants familiaux”».

On peut le dire autrement: ces médicaments ne sont pas efficaces mais il faut les laisser sur le marché et collectivement les rembourser. Pourquoi?  De manière à ce que leur prescription (réservée aux gériatres, neurologues et psychiatres mais pouvant ensuite être renouvelée par les médecins généralistes) permette d’améliorer la nécessaire prise en charge globale des malades. Médicament-alibi en quelque sorte. Il y a deux ans, toujours selon la HAS, le coût journalier de traitement se situait entre 1,49 et 3,17 euros. La question était dès lors soulevée de savoir de substituer la prescription d’un «placebo» à celle d’un «médicament» de même efficacité.

En réalité la donne a changé: il est aujourd’hui démontré que la consommation au long cours de ces médicaments inefficaces peut être dangereuse, voire mortelle. En témoignent les propos tenus, le 28 janvier, lors de l’émission «Science Publique» de France Culture  à laquelle participaient notamment Claude Leicher, président du syndicat de la médecine générale et Bruno Toussaint, directeur de la rédaction de la revue Prescrire.

Ces deux médecins y dénoncent le maintien sur le marché de ces médicaments.

Extraits de cette émission (disponibles via ce lien):

Bruno Toussaint: «Nous sommes ici très au-delà des limites acceptables. Ces médicaments ne sont pas des placebos. Ce sont des médicaments qui tuent. Certes ils ne tuent pas toujours et pas tout de suite mais ce sont des médicaments qui tuent comme le montrent les quelques études qui ont comparé les conséquences, au-delà de six ou neuf mois, de la prise de ces médicaments à celle d’un placebo. La maladie d’Alzheimer est souvent un drame et nous ne savons ni guérir ni prendre en charge d’un point de vue médicamenteux. Le placebo peut être très utile. Mais un vrai placebo, qui n’a pas d’effets indésirables».

Claude Leicher: «Pourquoi continue-t-on à mettre systématiquement des personnes de plus de 80 ans qui ne demandent rien à personne sous des médicaments dont le service médical rendu est considéré comme nul et dont la toxicité commence à émerger? Il y a beaucoup plus besoin d’un accompagnement des patients que d’une prescription médicamenteuse. Il faut ajouter que la prescription initiale de ces médicaments est réservée à quelques spécialistes dont les neurologues et les gériatres ce nous pose, à nous les généralistes, beaucoup de problèmes. Quand nous commençons à voir une personne commençant à avoir un déclin dans ses capacités cognitives et relationnelles la famille nous interroge. Nous souhaitons que l’on ne mette pas ces patients sous traitement.

Mais que se passe-t-il ? On fait un “bilan de mémoire” et on entre dans une chaîne où nous, médecins généralistes traitants, n’arrivons plus à sortir. Car mettre en route un traitement, c’est lourd; mais l’arrêter c’est encore plus lourd. Nous avons des patients qui reviennent de l’hôpital avec des prescriptions de médicaments. Nous disons que ce n’est pas utile, pas efficace et que cela peut même être dangereux. Mais il est très difficile de convaincre que le rapport bénéfice/risque n’est pas en faveur de la prescription faite par un spécialiste. (…) Nous devenons prisonniers de la prescription des spécialistes parce que les patients eux-mêmes sont devenus prisonniers de ces prescriptions. Il faut retirer ces médicaments du marché.»

Bruno Toussaint: «Il faut que l’on sache que l’information des médecins spécialistes pour choisir des médicaments est encore plus sous l’influence des laboratoires pharmaceutiques que celle des médecins généralistes. J’ai bien dit : la pression de ces firmes est encore plus forte chez les spécialistes.»  

Comme dans le cas de l’affaire du Mediator, ces déclarations s’inscrivent dans le contexte plus général des alertes récurrentes lancées par la revue Prescrire concernant l’efficacité, puis l’innocuité de ces médicaments. Alertes qui ont commencé à être lancées dès 2003. Pour l’heure, tous les éléments sont là qui, après le Mediator, font des médicaments «anti-Alzheimer» une nouvelle crise sanitaire – un nouveau scandale — en gestation; et ce au moment même où Xavier Bertrand, à nouveau ministre de la Santé, ne cesse de faire publiquement savoir qu’il entend obtenir, au plus vite, une profonde réforme du système national de sécurité sanitaire des médicaments.

Jean-Yves Nau

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