Temps de lecture: 3 minutes
L’affaire tient en haleine la presse pakistanaise depuis plus de 15 jours, nourrit quotidiennement la propagande anti-gouvernementale des partis religieux et menace gravement les relations entre le Pakistan et les Etats-Unis.
Raymond Davis, 36 ans, un employé du consulat américain à Lahore, est détenu depuis le 27 janvier pour avoir tué avec un pistolet qu’il portait sur lui deux jeunes motocyclistes qu’il soupçonnait de vouloir le voler.
Affirmant que son ressortissant est détenteur d’un passeport diplomatique, Washington s’indigne et menace de couper l’aide à Islamabad –plus de 1,5 milliard de dollars par an. Le gouvernement pakistanais s’abrite pour l’instant derrière la décision de la cour provinciale de Lahore qui a décidé d’une nouvelle audience le 25 février, en attendant que la police termine ses investigations. Le procureur a également demandé au gouvernement fédéral de dire si oui ou non l’accusé était couvert par l’immunité. En attendant, Raymond Davis a été conduit sous très haute escorte à la prison de la ville, alors qu’il était jusque-là détenu dans un poste de police.
Refusant la thèse de la légitime défense, le 11 février, la police a accusé le Raymond Davis de meurtre. Dans une conférence de presse, le chef de la police de Lahore Aslam Tareen a affirmé crument:
«C’était un meurtre de sang froid. Des témoins oculaires nous ont dit qu’il avait directement visé les deux hommes et continué à tirer alors même que l’un des deux s’enfuyait. C’était un meurtre intentionnel.»
Pour ajouter à la gravité de l’affaire, un véhicule du Consulat américain à Lahore appelé à la rescousse par Raymond Davis a, dans sa précipitation, tué un passant dont le seul tort a été de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. La police cherche toujours à identifier et interroger le chauffeur du véhicule à propos duquel le consulat américain reste muet.
Ras-le-bol
Ce qui aurait pu n’être qu’un malheureux fait divers est devenu une affaire d’Etat. Au ressentiment très profond de la population pakistanaise contre la politique américaine, lié en particulier aux tirs incessants et meurtriers des avions sans pilote sur les zones tribales, s’ajoute depuis plusieurs mois un ras-le-bol du comportement de beaucoup d’officiels américains qui se conduisent au Pakistan comme en terrain conquis, faisant fi de toute loi. Ces derniers ont par exemple ordre de ne pas s’arrêter en cas d’accident ou d’incident quelle qu’en soit la gravité. Ils se contentent de prévenir une cellule spéciale de leur ambassade composée de nombreux Américains d’origine pakistanaise qui vient plus tard aux nouvelles.
Beaucoup ne craignent pas d’afficher un mépris total pour les locaux, policiers, gardes de sécurité, simples citoyens. L’augmentation continue des effectifs de l’ambassade américaine depuis plusieurs mois a provoqué une multiplication d’incidents que la presse se fait un plaisir de relater et inquiète une population prompte à croire toutes les rumeurs sur les «noirs desseins» supposés des Etats-Unis.
La personnalité de Raymond Davis –un ancien membre des forces spéciales selon l’agence américaine Associated Press, qui a fondé avec sa femme une compagnie de sécurité— n’est pas faite pour calmer les esprits dans un pays où la théorie du complot est omniprésente et où Blackwater (compagnie de sécurité aux nombreux excès) est devenu le symbole du mal américain.
Que faisait-il?
Peu prolixe sur la fonction exacte de son employé, l’ambassade américaine se contente de dire que celui-ci fait partie de «l’équipe administrative et technique». Cela lui donnait-il le droit de porter une arme alors qu’il circulait en plein jour dans une grande ville pakistanaise? L’ambassade dit oui, les autorités pakistanaises qui déplorent depuis longtemps la manière dont les ambassades s’arrogent le droit de protéger leurs cadres comme bon leur semblent restent silencieuses.
Pris entre les pressions américaines qui s’intensifient et la crainte d’une violente réaction de la population instrumentalisée par les extrémistes religieux, le gouvernement fédéral tout juste remanié hésite sur la conduite à tenir.
Pour l’instant, il laisse entendre que la gestion de la crise incombe au gouvernement provincial du Pendjab dont Lahore est la capitale. Celui-ci est dirigé par le principal parti d’opposition, ce qui n’arrange pas les choses, personne ne voulant passer auprès de l’opinion pour celui qui aura cédé aux Etats-Unis.
Le Pakistan qui se débat dans des problèmes qui menacent sa survie et ne peut en aucun cas se passer de l’aide américaine n’avait sans doute pas besoin de ce nouvel incident. Une affaire qui menace également la conduite de la guerre en Afghanistan tant il est vrai aussi que Washington ne peut se passer de l’aide d’Islamabad sur ce dossier.
Françoise Chipaux