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Pourquoi les manifestants anti-Moubarak ont-ils brandi leurs chaussures?

Parce que c'est une insulte dans la majeure partie des pays arabes...

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La chaussure est avant tout un accessoire qui n'est pas propre. Concrètement, à cause de son contact direct avec le sol. Mais aussi parce qu'elle est associée au pied, la partie du corps la plus basse et la plus proche du «par terre». Dans le monde arabe, toucher un individu avec son pied n'est pas forcément un geste affectueux ou agréable, mais le toucher avec une chaussure est une insulte et revient à traiter la victime comme une personne «plus bas que terre».

Cette insulte a connu un écho particulier en décembre 2008, lorsqu'un journaliste et caméraman irakien décide de lancer sa paire de chaussures à la figure de George W. Bush lors d'une conférence de presse à Bagdad.

Le geste de Muntadar al-Zeidi a été largement diffusé et amplifié. Sur Internet, on pouvait trouver les images de son geste, parfois détournées.

Elles sont devenues hautement symbolique dans le reste du monde et al-Zeidi a été considéré comme un héros, avant d'être condamné par un tribunal irakien à 9 mois de prison.

Mais des épisodes antérieurs prouvent que les chaussures étaient synonymes d'insulte bien avant cet événement, notamment dans le Moyen-Orient. Elles ont par exemple été souvent utilisées pour piétiner les symboles d'un ennemi, un acte parfois plus humiliant que la destruction. Ces dernières années, il s'agissait surtout de symboles américains, comme le drapeau ou des portraits de présidents.

Une mosaïque dans le lobby de l'Hôtel Al-Rashid à Bagdad représentait la tête de George Bush Senior. Elle aurait été construite juste après la première Guerre du Golf pour que les visiteurs qui traversent le hall de l'établissement marchent sur la figure de l'ancien président américain. La mosaïque a été détruite par les soldats américains en 2003. Selon The Telegraph, elle a été immédiatement remplacée par un portrait de Saddam Hussein.

Ce n’est pas le seul exemple: Condoleeza Rice, la secrétaire d'Etat de 2004 à 2009 et ancienne conseillère à la sécurité nationale, était surnommée Kundara Rice —chaussure en arabe. Plusieurs personnalités, parmi lesquelles Dominique Strauss-Kahn, Tony Blair, Wen Jiabao, Mahmoud Ahmadinejad ou encore Pervez Mousharraf, se sont ensuite fait «chaussurer» en signe de protestation.

Considérée dans la religion musulmane comme un objet impropre à un lieu de recueillement, les croyants doivent enlever leurs chaussures avant d'entrer dans une mosquée ou de faire leur prière. Si on ne laisse pas ses chaussures à l'extérieur de la mosquée, il est d'ailleurs préférable de tenir sa paire de façon à ce que les deux semelles soient pressées l'une contre l'autre, pour qu’elles ne soient pas visibles.

Le professeur Faleh Jabar, spécialiste de la culture irakienne, souligne aussi que c'est un symbole de dégradation dans le monde arabe.

«Aller dans la maison de quelqu'un ou une mosquée, ça veut dire enlever systématiquement ses chaussures avant de franchir le seuil. Les chaussures étaient utilisées pour frapper les serviteurs, les voleurs ou les prostitués. C'est une preuve de servilité. Que vous soyez par exemple contraint de frapper vos enfants, il faudrait le faire avec une main ou un bâton, mais jamais avec la chaussure.»

Akram Belkaïd, journaliste qui collabore avec Slate.fr et SlateAfrique, explique:

«Ce n'est pas la fin du monde, si on enlève pas ses chaussures chez soi. Mais cela peut poser des problèmes aux arabes qui vivent en Europe et qui n'osent pas demander à leur invités de les enlever. En revanche, dans une mosquée, c'est vécu comme un sacrilège.»

Dans le cas des manifestations en Egypte, «il y aussi forcément l'image de la marche, du départ, le message envoyé à Moubarak, c'est “prend tes chaussures et dégage”. Ce symbole a été en plus décuplé dans l'imaginaire collectif par ce qui est arrivé à George W. Bush».

Il ajoute: «Brandir une chaussure, c'est signifier un mépris et une volonté de voir la personne chassée. Ce qui revient aussi en mémoire, c'est lors de la chute de Saddam Hussein, l'image des ces gens qui poursuivaient sa statue fraîchement détruite et qui la frappaient avec des tongs ou des mules.»

La semelle de la chaussure peut aussi représenter une offense. Il est culturellement très mal vécu de croiser une jambe par dessus un genou et ainsi exposer le dessous. Belkaïd précise: «Plus au Machrek qu'au Maghreb, c'est très malpoli de montrer la semelle de sa chaussure à son vis-à-vis. Une chose que Nicolas Sarkozy n'avait pu s'empêcher de faire à plusieurs reprises lors de ses différents passages dans la région.»

Alexis Ferenczi

L'explication remercie Akram Belkaïd.

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