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Les JO de la bonne chère

Autour de Paul Bocuse, le gratin de la gastronomie mondiale.

Temps de lecture: 3 minutes

Du jamais vu dans les annales de la gastronomie internationale: 180.000 professionnels de tables réunis au Sirha de Lyon, pour notamment participer ou assister aux épreuves du Bocuse d’Or 2011, ce concours mondial de chefs venus de 24 pays, inventé par Paul Bocuse en 1987 –chacun des candidats débarqués d’Asie, d’Europe, des Etats-Unis, d’Amérique du Sud devant travailler des produits imposés, selon leur créativité, leur talent et leurs goûts.

En 2011, les vingt-quatre chefs en présence, logés dans les boxes de cuisine d’Eurexpo, avaient au menu de la baudroie, du tourteau vivant et des langoustines écossaises pour le plat de poisson, et de l’agneau d’Écosse, de la selle et des rognons, pour les viandes: deux préparations à réaliser en 5h30 devant un public plutôt chahuteur, un brin chauvin et devant le jury de 24 super chefs dont le Français Yannick Alleno, chef trois étoiles au Meurice à Paris, et le nordique Geir Skeie, Bocuse d’Or 2009.

Une ambiance survoltée

Dans la salle, installée comme une arène, le Bocuse d’Or se déroule à la façon d’un spectacle grandiose, amplifié par des centaines de supporters agitant des drapeaux, soutenant leur chef en action –le tout supervisé par mille journalistes et 400 télévisions: c’est l’ambiance survoltée, surchauffée, électrique des Jeux olympiques de la haute cuisine pendant deux jours. Une fête bruyante, cocardière des casseroles internationales.

En fait, Paul Bocuse et son bras droit, le chef Jean Fleury, tous deux M.O.F., ont inventé une gastronomie de compétition, riche en gestuelles innovantes, en surprises au piano et en émotions gourmandes. À l’origine, ce que voulait Paul Bocuse, trois étoiles depuis 1965, c’était de vérifier, la fourchette à la main, que des cuisinières de Malaisie, des chefs d’Uruguay, du Mexique, du Guatemala, d’Indonésie, de Norvège pouvaient traiter, valoriser, embellir les poissons et les viandes sélectionnées pour le concours.

«Dans la formidable mondialisation de la cuisine, comment les chefs d’aujourd’hui de la planète cuisine parviennent-ils à conserver leur personnalité, à délivrer des spécialités et des gestuelles bien à eux, confie-t-il, assis dans son bureau salle à manger de l’Auberge du Pont de Collonges. Le propos du Bocuse d’Or, sa raison d’être depuis 24 ans, est de montrer la diversité culinaire, le maintien des tours de mains, les spécificités de goûts selon la nationalité de chacun. À Lyon, tous les deux ans, nous luttons contre l’uniformisation des saveurs. Un hamburger Big Mac offre les mêmes sensations en bouche partout sur le globe. »

N’allez pas croire que ce formidable concours, hexagonal dans sa conception, unique au monde, a été taillé sur mesure pour les toqués de France. En treize compétitions depuis 1987, les chefs français ont obtenu le Bocuse d’Or six fois seulement: Jacky Fréon, Michel Roth, Régis Marcon, Fabrice Desvignes, François Adamski et Serge Vieira. Pour les pays scandinaves: la Suède une fois et la Norvège quatre fois –sans compter les Bocuse d’Argent et de Bronze récoltés par les chefs du Nord, passionnés par le concours, très valorisant pour leur carrière. Des mois de répétition, touchant les figures imposées, le cœur du concours –30 à 40 heures d’entraînement par semaine pour l’Américain James Kent. Un véritable marathon culinaire.

Le triomphe de Rasmus Kofoed

En janvier 2011, c’est le Danois Rasmus Kofoed, chef du Geranium à Copenhague, qui a devancé ses 23 confrères en toque dont le Suédois Tommy Myllymäki, Bocuse d’Argent, et le Norvégien Gunnar Hvarnes –trois toqués de Scandinavie, ce qui a fait dire à Paul Bocuse: «Cette année, c’était le Bocuse Nord!»

Récompenses méritées (20.000 euros au vainqueur plus la statue dorée de Bocuse), les deux préparations, poissons et viandes, du Danois, mince, brun, juvénile, au sourire angélique, tenaient du chef-d’œuvre pour l’esthétique, le coup d’œil de la présentation sur les deux plateaux montrés au jury, avant la dégustation – les goûts bien marqués des garnitures, la finesse des gelées, le montage des aspics et gâteaux de légumes, de véritables tableaux abstraits, sculptés par un artiste des nourritures: «Je ne me doutais pas qu’on pouvait aller aussi loin, faire si beau avec des poissons, des viandes et des légumes», s’est exclamé Paul Bocuse, sidéré par la maîtrise du Danois.

Il faut dire que Rasmus Kofoed est un acharné du concours lyonnais: il en est à sa troisième participation et il a déjà remporté le Bocuse de Bronze, le Bocuse d’Argent et l’Or était son objectif avéré. La preuve, il a fermé son restaurant de Copenhague pour mieux se consacrer à la finition des plats proposés. Là aussi, du jamais vu. Un engagement total.

Plus de 220 étoiles autour de leur chef spirituel

Fier d’avoir fait de sa ville la capitale mondiale de la bonne chère, le créateur du Bocuse d’Or a le triomphe modeste.

La veille du concours, à la mairie de Lyon, un dîner de gala mitonné par cinq cuisinières trois étoiles d’Europe pilotées par Anne-Sophie Pic, la seule Française au top niveau, a réuni 200 invités, tous des chefs prestigieux, archi-célèbres, d’Alain Ducasse à l’Américain Thomas Keller (six étoiles aux Etats-Unis) en passant par Pierre Gagnaire, Joël Robuchon, les frères Pourcel, Michel Troisgros –soit plus de 220 étoiles de la gastronomie mondiale. Quel palmarès!

C’était l’hommage chaleureux de la profession des toqués à leur père spirituel, à ce Lyonnais si charismatique qui accueille tous ses clients à l’Auberge bariolée du Pont de Collonges au décor plus kitsch tu meurs. Oui, un formidable chef de file, «l’ambassadeur de ses pairs en toque qui diffuse de l’amour autour de lui» (François Pipala, directeur du trois étoiles), Paulo au grand cœur, ouvert aux autres, soixante années aux fourneaux, aura le 11 février 85 ans. Bon anniversaire à lui.

Nicolas de Rabaudy

Paul Bocuse. L’Auberge du Pont de Collonges. 40 rue de la Plage 69660 Collonges au Mont d’Or. À 30 minutes de la gare de Lyon-Part-Dieu. Tél. : 04 72 42 90 90. Menus à 135, 170, 220 euros. Carte de 120 à 190 euros. Pas de fermeture. Parking. Voiturier.

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