France

Les Français must speak english

Il faut faire de la maîtrise des langues étrangères une priorité en France, estime Jean-François Copé.

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A l’occasion d’un déplacement dans les Vosges, lors d’une table ronde avec des chefs d’entreprises locales, j’avais rencontré une entrepreneuse jeune et énergique qui dirige une de ces PME qui sont le creuset de notre économie. Alors que nous abordions la question de l’export, j’avais senti chez elle une réticence. Je l’avais alors interrogé:

«Vous avez du mal à obtenir l’accompagnement financier? Vous n’avez pas une offre adaptée?»

Elle m’avait répondu spontanément que les problèmes n’étaient pas du tout de cet ordre:

«Au contraire, la qualité de la chocolaterie française est reconnue à l’international. Nous bénéficions du prestige de la gastronomie nationale. On m’a même sollicitée à plusieurs reprises pour participer à des salons internationaux mais je n’ose pas y aller… Je ne parle vraiment pas bien anglais. Les langues étrangères, ça n’a jamais été mon point fort!»

Bien sûr, le cas de cette chocolatière des Vosges n’est pas représentatif de toutes nos PME, mais il est à mon sens symptomatique du complexe que les Français –notamment lorsqu’ils sont nés avant les années 1990– entretiennent avec les langues étrangères. Cela peut paraître anecdotique mais en fait, c’est à mon sens un véritable problème qui nous pénalise terriblement.

Cette méfiance n’est pas nouvelle. D’ailleurs le manque d’études à ce sujet dans notre pays trahit en lui-même un désintérêt pour l’apprentissage des langues étrangères. L’évaluation de nos compétences en langues étrangères est l’angle mort de nos statistique sur l’enseignement: dans «l’état de l’école», le document qui produit chaque année des indicateurs de performance et de statistiques sur l’Education nationale, il y a 29 indicateurs (dont le niveau en lecture ou en mathématiques) mais pas un sur la maîtrise des langues! L’étude la plus récente à laquelle j’ai eu accès sur notre niveau de langues date ainsi de 2002…

Cette étude comparait la maîtrise de l’anglais chez les élèves de 15 à 16 ans en France, au Danemark, en Finlande, aux Pays-Bas, en Norvège, en Espagne et en Suède. Notre pays arrivait bon dernier avec en moyenne 30,6% de bonnes réponses aux questions posées aux élèves contre 38,3% à leurs homologues espagnols, 59,7% pour les Finlandais, 61,6% pour les Hollandais et plus de 70% pour les Suédois et les Norvégiens! Pire, notre niveau avait même baissé par rapport à 1996, date à laquelle une étude comparable avait été menée: à l’époque notre niveau était proche de celui des Espagnols.

Ces lacunes doivent évidement beaucoup à notre histoire: pendant des siècles la France a été la langue de la diplomatie et de la culture. C’est Charles Quint –alors que son empire hispano-autrichien était à son apogée et avant même le grand siècle de Louis XIV– qui disait «la langue française est langue d'Etat, la seule propre aux grandes affaires». Les Français en ont tiré une fierté légitime et ont longtemps estimé que c’était aux autres de faire l’effort de parler notre langue, et pas l’inverse. Ce réflexe est compréhensible: les «anglicisants» ont le même réflexe aujourd’hui, ils parlent encore moins de langues étrangères que les Français!

Mais les temps ont changé. Qu’on le veuille ou non, c’est l’anglais –ou au moins, une forme d’anglais– qui a supplanté le français comme langue véhiculaire dans le monde. On peut le regretter, mais on ne peut pas se permettre de ne pas en tirer les conséquences. Notre mauvaise maîtrise des langues nous coûte trop cher à au moins deux niveaux:

  • 1/ Au niveau économique, comme le montre cette expérience vosgienne. Beaucoup de marchés à l’international échappent à nos PME, freinés par la barrière de la langue, quand les Allemands gagnent des parts de marchés notamment parce qu’ils ne rechignent pas à parler un bon anglais!
  • 2/ Mais cela limite aussi notre capacité à nous ouvrir au monde. Comment les Français peuvent-ils comprendre les défis nouveaux du monde en ne comprenant que leur langue? Bien souvent, nous nous replions alors sur des comparaisons historiques –la France de 2010 par rapport à celle de 1981– plutôt que de faire des comparaisons internationales –la France d’aujourd’hui par rapport à nos voisins. On le voit encore dans le débat sur les 35 heures que j’ai voulu relancer: pour comprendre les enjeux de ce débat, il est préférable d’avoir une vision de la compétition internationale.

Je ne suis bien sûr pas le premier à faire ce constat. Depuis une dizaine d’années, l’Education nationale a fait des efforts importants pour développer les langues vivantes dès le primaire. Ainsi, en 2002, 24,7% des classes de CE2 bénéficiaient d’un enseignement d’une langue étrangère. En 2010, la proportion est passée à 99,7% (dont 90% apprennent l’anglais)! C’est un progrès impressionnant qu’il faut saluer: il montre que l’Education nationale peut faire la preuve d’une faculté d’adaptation remarquable!

Il est encore trop tôt pour tirer un bilan de ce tournant spectaculaire pris par l’Education nationale. Nous devrions en voir tout le bénéfice dans les années à venir. Mais, avant même ce bilan, je crois que nous devons aller encore plus loin dans notre action en faveur des langues étrangères. L’étude de 2002 sur la comparaison des niveaux de langues en Europe pointait notamment deux lacunes de l’enseignement des langues en France:

1/ L’enseignement commence trop tard

Cette faiblesse a été corrigée puisque quasiment 100% des élèves de CE2 sont initiés à une langue étrangère. La familiarisation avec l’anglais se fait aussi –par le jeu et les chansons– dans des classes maternelles. C’est une option qu’il faudra généraliser au-delà des établissements «favorisés». Mais ce qui compte, c’est aussi la méthode d’apprentissage. On a souvent pointé du doigt la focalisation de l’enseignement scolaire sur la grammaire et l’écrit, au détriment de l’oral et de l’amélioration de l’aisance. En mettant la barre assez haut sur les règles à maîtriser, on complexe parfois les élèves qui n’osent plus prendre la parole de peur de se tromper. L’évaluation systématique des méthodes d’apprentissage pour voir celles qui marchent et celles qui ne marchent pas est désormais indispensable à l’échelle nationale. Au-delà de la formation initiale, il faut que les entreprises comprennent l’avantage qu’elles auraient à développer massivement l’apprentissage/le perfectionnement de leurs salariés en anglais. Des cours d’anglais de qualité dispensés à des salariés motivés pour partie «à la conquête du monde» peuvent offrir un retour sur investissement considérable. Mais là aussi, l’évaluation des méthodes est primordiale: attention aux charlatans!

2/ Les élèves français étaient moins «exposés» que les autres élèves européens à une langue étrangère

Les Français ne sont confrontés à l’anglais qu’en cours, alors que les élèves des pays nordiques ou des Pays-Bas regardent fréquemment à la télévision des films ou des émissions en VO et sous-titrées dans leur langue maternelle –les coûts de postsynchronisation n’étant pas rentables pour les langues les moins parlées. Cette différence est décisive! Pourquoi aujourd’hui n’adopterions-nous pas la même politique en France? Les films ou les séries anglo-saxonnes qui sont diffusées à la télévision française pourraient l’être en anglais et sous-titrées en français, au moins sur le service public. Ce serait d’ailleurs l’occasion de faire «d’une pierre trois coups»: les Français amélioreraient mécaniquement leur maîtrise de l’anglais mais aussi leur niveau de français via la lecture des sous-titres, tandis que les malentendants pourraient enfin profiter plus de la télévision! Il faut d’ailleurs noter que, parmi les jeunes générations, ils sont déjà de plus en plus nombreux à regarder en VO les films et séries sur internet.

Je crois que cette proposition –même si elle ne peut pas changer toute la donne à elle seule– mérite d’être étudiée sans tabou, d’autant qu’elle ne coûterait pas un euro à l’Etat français et pourrait enrichir beaucoup à nos enfants!

J’entends déjà les critiques des ardents défenseurs de la francophonie: «Qu’ils maîtrisent déjà le français!». Ce n’est pas moi, qui aime passionnément notre langue, qui vais leur donner tort: la maîtrise du français n’est évidemment pas négociable! C’est d’ailleurs pour cela que j’ai proposé d’introduire un examen à la fin du primaire pour vérifier que les savoirs fondamentaux (lire, écrire, compter) sont acquis avant l’entrée en sixième. Mais la maîtrise du français et d’une langue étrangère ne sont pas incompatibles. Bien au contraire!

A ce stade, il ne s’agit que de pistes de réflexion. Avec l’UMP, nous allons organiser une réflexion en profondeur pour proposer un plan de bataille sur ce thème. Je souhaite que, dans la perspective de 2012, nous fassions de l’apprentissage des langues étrangères un chantier majeur pour notre pays. Le développement et l’influence de la France dans le monde dépendent d’abord de notre capacité à comprendre et à être compris!

Jean-François Copé

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