Monde

Femme de dictateur

Elles sont souvent encore plus détestées que leur mari.

Temps de lecture: 4 minutes

Voler de l’or comme Leila Trabelsi, appeler aux meurtres des partisans de Ouattara comme Simone Gbagbo ou trafiquer des diamants comme Grace Mugabe, les épouses de dictateurs jouent souvent un rôle central dans la vie économique et politique de leur pays.

En Tunisie, Ben Ali était honni de la grande majorité de la population tunisienne, mais une personne était sans doute encore plus détestée que lui: sa femme. Entourée de sa famille, Leila Trabelsi avait mis la main sur une grande partie des richesses du pays. Elle avait créé un véritable système familial mafieux. Elle aurait même, dans un dernier coup d’éclat, dérobé 1,5 tonne d’or dans les réserves de la Banque nationale avant de s’enfuir du pays. Un casse d’une valeur de plus de 45 millions d’euros. Si l’affaire n’a pas encore été confirmée, personne n’a été surpris par l’hypothèse, tant cela correspond au profil du personnage.

Leila Trabelsi ou Simone Gbabgo, comme d’autres, semblent incarner la femme de dictateur moderne: impliquées dans les affaires de l’Etat, sans scrupule, aussi puissantes que des ministres voire que leur mari, et donc, le plus souvent, autant détestées.

De l'effacée à la mafieuse

Pour Diane Ducret, auteur de Femmes de Dictateur, paru en janvier 2011 aux Editions Perrin, ce profil type «commence à partir surtout des années 80. Dans la première moitié du XXe siècle, derrière Hitler ou Mussolini, ce sont des femmes effacées qui adhèrent aux idées de leurs maris». Elles subissent en silence et meurent avec eux. Mais ensuite, toujours selon Diane Ducret, «l’époque a changé. Avec l’effondrement des grands systèmes totalitaires, les dictateurs vont devoir montrer patte blanche, faire preuve d’un semblant de démocratie. Leurs femmes vont donc combler les espaces de l’ombre disponible, et créer leurs propres réseaux».

A Ben Ali les accolades avec Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy, Dominique Strauss-Kahn (etc, etc), à Leila Trabelsi la gestion du système corrompu. Selon Diane Ducret, «comme il n’y a jamais eu de femmes dictateurs, le fait qu’elles participent à ce genre de régime, c’est incompréhensible pour les gens. Normalement, la femme, c’est la figure de la maternité, la figure de la protection. Du coup, on ne leur pardonne pas». Trois femmes peuvent incarner selon l’auteur ce passage de la femme au foyer effacée à la mafieuse sans scrupule: Jiang Qing en Chine, Eva Peron en Argentine et Elena Ceausescu en Roumanie.

Jian Qing, un homme comme un autre

Ainsi, si Mao garde a posteriori à peu près une bonne image pour une partie de la population chinoise, sa dernière et quatrième femme, Jiang Qing, est vraiment détestée. Originaire d’une famille pauvre, elle a été l’un des actrices majeures de la révolution culturelle dans les années 60-70, une «campagne contre la culture, l'éducation et l'intelligence sans parallèle dans l'histoire du XXe siècle», comme le décrit l’historien Eric Hobsbawm.

«Pendant longtemps tenue à l’écart de la vie publique, la Révolution culturelle lui permet de monter sur scène, de régler ses comptes avec ses ennemis, nombreux, et d’orchestrer une nouvelle politique dans le domaine artistique», raconte le sinologue Claude Hudelot dans son livre Le Mao. Associée à trois autres dignitaires du PCC, formant ainsi «la bande des quatre», elle décide alors «qu’il nous faut en conséquence nous assurer qu’on lit bien des livres révolutionnaires, que l’on chante bien des chansons révolutionnaires, que l’on joue bien des pièces révolutionnaires». Tous les spectacles existants sont alors interdits.

Comme son mari, elle se met elle-même en scène sur des affiches de propagande, représentée de manière très masculine et militaire. Un homme comme un autre finalement. Dès la mort de Mao, elle est écartée du pouvoir et emprisonnée.

Evita et Elena à la recherche d'une légitimité

Diane Ducret note que ce sont «souvent des femmes d’origine très modestes, souvent sans éducation, pas du tout des femmes de bonne famille. Elena Ceausescu savait à peine lire, Leila Trabelsi était coiffeuse dans un quartier pauvre. Elles vont toujours alors essayer d’acquérir une légitimité». Eva «Evita» Peron créa ainsi une fondation pour les pauvres, avant de devoir renoncer à sa nomination comme vice-présidente, en 1951. La petite fille de province était détestée par la riche bourgeoisie de Buenos Aires qui criera «Vive le Cancer» à sa mort.

Elena Ceausecu chercha elle la légitimité universitaire. Elle a reçu une multitude de prix universitaires en chimie, malgré son faible niveau d’éducation au départ. En Roumanie, évidemment, mais aussi un peu partout dans le monde. De nombreuses universités lui accordèrent des prix ou un statut de doctor honoris causa, sous la pression des gouvernements, comme en France l’université de Nice. Il était important d’entretenir les bonnes relations avec le régime de son mari. Numéro 2 du parti, elle a décidé notamment d’interdire la contraception, ce qui provoqua un recours massif à l’avortement.

A la recherche de pouvoir et d'argent

Au fil du temps, ces femmes recherchent juste le pouvoir et l’argent, tout comme leurs maris. La femme de  Milosevic, Mirjana Marković, dirigea ainsi le tout puissant JUL, formé en 1994, une coalition de partis de gauche, qui n’est, ni plus ni moins, pour l’auteur de Femmes de Dictateur, qu’une «grande organisation de racket». Madame Markovic, actuellement en exil en Russie, est à l’époque «le chef de mafia le plus puissant de toute la Yougoslavie».

Cette capacité à accumuler les richesses, à faire main basse sur l’économie pour ses propres profits, marque souvent durablement les populations. Elles tombent parfois, il est vrai, dans des excès qui feraient passer Marie-Antoinette pour une bonne gestionnaire. L’ex-femme du dictateur haïtien Jean-Claude «Baby Doc» Duvalier, Michele Bennett, organisait ainsi des bals somptueux dans le palais présidentiel, diffusés en direct à la télé nationale, comme le raconte un documentaire américain de 60 minutes.

Et alors que le pays était touché par la famine, elle dépensa un million de dollars en shopping à Paris, puis en demanda un second au gouvernement, qui accepta, provoquant la colère de la population. Pour qu’elle puisse porter ses manteaux de fourrures sous le climat tropical, elle fit même aménager une pièce complètement réfrigérée dans le palais!

La femme de Mugabe, Grace Mugabe, est elle connue sous le surnom de «Dis Grace» (à prononcer à l’anglaise, «disgrace», honte) pour tout l’argent qu’elle dépense dans les vêtements et les bijoux. Elle a également été mise en cause en décembre dernier par des câbles révélées par Wikileaks. La diplomatie américaine la soupçonne d’avoir gagné plusieurs millions de dollars grâce au trafic illégal de diamants.

L’avidité des ces femmes les fait souvent tomber dans le pathétique. Felicidad Sieiro, la femme du dictateur panaméen Noriega, fut ainsi attrapée en train d‘essayer de voler les boutons sur une création d’un grand couturier parisien...

Quentin Girard

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