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Messieurs, votre pénis n'est plus un problème

Mal-aimé de la libération sexuelle, le pénis doit désormais être redéfini une bonne fois pour toute pour ce qu'il est: une source de plaisir, mais parmi d'autres.

<a href="http://www.flickr.com/photos/jojakeman/2478618028/">That's a Big 'Un! Flickr CC by Jo Jakerman</a>
That's a Big 'Un! Flickr CC by Jo Jakerman

Temps de lecture: 6 minutes

Sale temps pour la bite. «Parfois, j’ai l’impression que ma queue ne sert plus à rien», «A quoi bon l’avoir grosse si elle ne procure aucun plaisir?», «Quand on voit les statistiques sur l’orgasme féminin, ça fait débander direct…»: ces paroles d’hommes en disent long sur l’actuelle morosité du climat sexuel masculin. Ils doutent et s’interrogent. Tandis que la dissociation entre sexualité et reproduction achève de bouleverser les règles du jeu, l’homme nouveau doit faire face au déclin de ce qui fut, au cours des siècles, le fondement même de sa toute-puissance sexuelle: la pénétration.

Cette crise est-elle réellement une surprise? L’histoire tend à prouver qu’un krach n’est jamais inattendu: il existe quantité de signes annonciateurs, pour qui veut bien se donner la peine de les décrypter. La crise du pénis, comme toutes les autres, était largement prévisible.

Première alerte, en 1976. La chercheuse Shere Hite [1] gifle des millions d’hommes éberlués avec son rapport portant sur la sexualité féminine: non, la pénétration ne fait pas forcément jouir les femmes. L’outil principal de la jouissance féminine est en fait le clitoris qui, adroitement stimulé, procure un véritable orgasme. Des centaines de milliers d’hommes contemplent alors leur pénis d’un œil accusateur.

L’arrivée sur le marché des premiers contraceptifs hormonaux avait déjà porté un coup très rude à la pénétration: expurgée de sa fonction reproductrice, elle était simplement devenue une source de plaisir. Cette reconversion de fait, a priori confortable pour les hommes qui se voyaient ainsi libérés de l’obligation de pratiquer le coïtus interruptus, eut pourtant des effets pervers: contre toute attente, l’affranchissement contraceptif provoqua des troubles érectiles chez certains hommes [2].

Pour autant, cette évolution laissait à la pénétration une certaine raison d’être, du moins en théorie: une fois les baisers et les préliminaires accomplis, le «vrai» rapport sexuel, dont la pénétration constituait l’acte paroxystique, promettait aux deux partenaires plénitude et satisfaction sexuelle. Avec Shere Hite, cette illusion s’écroule.

Le coup de grâce: l’anatomie féminine dans son assassine splendeur

Au fil des années, les révélations s’enchaînent: on apprend ainsi que le clitoris est doté de volumineuses ramifications internes [3] (nombreux étant les professionnels à s’en attribuer la découverte), que le vagin, très peu innervé, n’est pas la voie la plus simple pour parvenir à l’orgasme, et que pas moins de 40% des femmes affirment que la pénétration n’est pas nécessaire à un rapport sexuel satisfaisant, comme en témoigne Yves Ferroul [4].

La pénétration peut donc être source de plaisir, voire d’orgasme pour les femmes, mais ce n’est ni systématique ni obligatoire, contrairement à ce qui était affirmé avant que l’accès à l’information en matière de sexualité se démocratise, et que les recherches démontrent l’inexactitude des théories freudiennes relatives à l’orgasme féminin (il établissait une différence entre l’orgasme vaginal, considéré comme celui de la femme sexuellement mature, et l’orgasme clitoridien, résultat d’un plaisir immature).

La certitude anatomique d’un orgasme unique, toujours d’inspiration clitoridienne mais pouvant être ressenti de multiples façons –y compris au niveau du vagin–, semble donc ouvrir la voie à une sexualité plus riche et plus équitable: la pénétration ne ferait donc pas forcément jouir toutes les femmes? Et alors? Ce n’est pas un drame… Mieux, celles qui auparavant culpabilisaient de ne pas ressentir d’orgasme pendant le coït vaginal sont maintenant conscientes d’être parfaitement normales.

On pourrait penser que tout cela encourage globalement le couple à enrichir l’échange érotique et à se pencher sur d’autres pratiques, sources reconnues d’orgasmes pour les femmes (masturbation, cunnilingus…), tout en pratiquant la pénétration par plaisir. L’accès à une information pertinente concernant l’anatomie féminine laisse donc entrevoir la disparition progressive de la hiérarchisation des pratiques sexuelles, faisant de la pénétration un plaisir parmi d’autres.

Hélas, la survivance du mythe de l’orgasme vaginal, et des acrobatiques positions permettant de l’atteindre, pousse encore des apprentis contorsionnistes à se briser les reins dans l’hypothétique espoir de voir le ramonage acharné porter ses fruits. Peine perdue: une langue un peu habile, des doigts judicieusement placés ou un sextoy bien conçu apportent confirmation que le clitoris est bien la star de l’orgasme féminin et que ce n’est pas une mode éphémère.

Pénis et gestion de crise: le facteur générationnel

Comment les hommes gèrent-ils cette relégation de la pénétration en seconde division? Pas trop mal pour les trentenaires et quarantenaires, que l’on suppose pourtant imprégnés par les stéréotypes de la pornographie (pelotage de seins + fellation + pénétration vaginale intensive pendant un quart d’heure = orgasme bruyant de Madame, suivi d’une gratifiante éjaculation faciale pour solidifier son brushing); un peu moins bien pour les quinquas.

Cela ne fait pas pour autant des trentenaires des amants idéaux —on ne saurait généraliser les aptitudes sexuelles et érotiques d’un homme en fonction de son âge— on peut estimer qu’ils gèrent bien les conceptions modernes du jeu érotique, car ils ont abordé la sexualité aux côtés de femmes déjà émancipées: celles qui avaient 20 ans dans les années 1990, ou en 2000. Ces filles de la révolution sexuelle connaissent bien leur corps et n’ont pas eu à repenser totalement leur vision du sexe, du couple, et de la communication entre hommes et femmes qui concernaient plutôt la génération précédente.

Concevant spontanément l’acte sexuel comme un moment d’échange érotique, ces hommes «jeunes» considèrent leur pénis comme un instrument de plaisir plutôt qu’un outil de puissance: nul besoin de s’acharner sur la pénétration pour se sentir les rois du monde. Puisqu’ils ont évolué dans une société reconnaissant officiellement aux femmes le droit d’exprimer leurs désirs, il est donc naturel pour eux d’entendre leurs partenaires partager ce qu’elles attendent d’un rapport sexuel, leurs préférences, leurs envies…

Le désespoir d'une génération

Et ce dialogue peut parfois révéler que la pénétration n’est pas forcément la voie royale vers l’orgasme sans que cela ne remette en question les qualités de l’homme en tant qu’amant. La pénétration, envisagée comme un plaisir parmi d’autres, ne pèse pas la même charge symbolique que pour la génération des cinquantenaires et plus, touchés de plein fouet par la crise du pénis.

Jeunes adultes en 1980, dans une société émergeant tout juste du choc de la libération sexuelle des femmes, ils ont certes pu constater la révolution en marche et l’essor de la communication autour de la sexualité féminine; mais si les mouvements féministes étaient effectivement en pleine expansion, ils n’avaient pas encore concrètement et durablement imprégné la société.

Les cinquantenaires d’aujourd’hui n’ont donc pas forcément côtoyé dès le début de leur vie sexuelle des femmes pour qui l’émancipation érotique était totalement acquise. Et leur «norme sexuelle» est longtemps restée très classique. Ils ne savent donc pas toujours comment gérer la transition vers une sexualité moins phallique.

En témoignent ces propos empreints d’indignation et de désespoir: «Si 95 fois sur 100 la femme s’emmerde en baisant, comme l’affirmait Brassens, que faut-il donc faire pour que nos chères et tendres fassent partie des 5% restants? Si le pénis ne les fait pas forcément jouir, il n’en reste pas moins qu’il nous fait jouir NOUS! Alors, on fait quoi? Est-il tout de même possible d’envisager un rapport sexuel épanouissant pour les deux partenaires?»

Pour la majorité de ces hommes désorientés par la nouvelle donne du plaisir féminin, le désir de procurer un orgasme à la partenaire est sincère. Mais comme ils sont persuadés que c’est avec leur pénis ET par pénétration vaginale qu’ils doivent y parvenir, ils se trouvent un peu démunis: «Par le pénis tu jouiras, Femme, ou tu ne jouiras point, non que je m’y oppose, mais euh… Je ne vois pas trop ce que je peux te proposer d’autre: tout le reste, ce sont des préliminaires, non?».

On note toutefois que pour les hommes ouverts d’esprit, attentifs, et se trouvant face à une partenaire qui exprime clairement ses désirs, la transition s’effectue en douceur et les pratiques telles que le cunnilingus et la masturbation prennent alors leur place dans l’échange érotique en tant que sources d’orgasmes à part entière, enrichissant la sexualité sans dévaloriser le rôle masculin.

La pénétration vaginale, condamnée à mort par l’orgasme féminin?

Il semblerait que non, finalement: au terme d’une période transitoire dont on souhaite qu’elle prenne fin au plus vite, la crise du pénis pourrait bien s’avérer profitable au couple hétérosexuel, et constituer une passerelle vers la pénétration enfin affranchie des contraintes historiques et sociales: oubliée la crainte de procréer sans le faire exprès, oublié le défi orgasmique parfois difficile à relever, oubliés les malentendus érotiques, et surtout oubliée l’obligation pour Madame de simuler l’orgasme pour mettre un terme à une (trop) longue chevauchée: chacun est libre de prendre et donner du plaisir à sa guise, l’orgasme féminin étant enfin affranchi de la prépondérance freudienne dans la psychologie féminine, qui survalorisait le coït vaginal.

Le pénis, involontairement malmené par les évidences anatomiques féminines, a donc vu sa fonction de déclencheur d’orgasmes reculer face aux diverses manières de procurer du plaisir à une femme. Mais que cela ne prive pas les hommes de savourer le plaisir de la pénétration sans culpabiliser, ni se sentir seuls dans le cas où leur partenaire n’en tirerait pas d’orgasme: même si l’on sait aujourd’hui qu’elle ne fait pas systématiquement jouir les femmes, la pénétration a sa place dans la relation sexuelle, et les hommes devraient pouvoir savourer cette pratique pour ce qu’elle est: une source de plaisir, diversement partagé selon les partenaires. Et le droit au plaisir, revendication du féminisme, ne vaut-il pas également pour les hommes?


[1] Le Nouveau Rapport Hite, L'enquête la plus révolutionnaire jamais menée sur la sexualité féminine, Shere Hite, Théo Carlier, Catherine Vacherat. Editions Robert Laffont, 2002.

[2] Suzanne Képès, Le corps libéré, psychosomatique de la sexualité, Editions La Découverte, 2003.

[3] Jambes (les « crura »), bulbes vestibulaire ou corps caverneux, le tout enserrant l’urètre et le vagin et mesurant une bonne dizaine de centimètres.

[4] Sexologue, auteur du livre Le secret des femmes – Voyage au cœur du plaisir et de la jouissance, avec Elisa Brune. Editions Odile Jacob, 2010.

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