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Nadal et Federer s'aiment, envers et contre leurs fans

Les deux champions, qui dominent leur sport sans partage depuis plusieurs années, nourrissent une rivalité teintée de respect et d'amitié. On ne peut pas en dire autant de leurs fans.

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Federer-Nadal: la finale de Roland-Garros réunit une nouvelle fois les deux champions.  A l'occasion de l'Open d'Australie, Yannick Cochennec s'était penché sur la relation particulière entre les deux tennismen.

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Il y a quelque chose de presque sexuellement troublant dans la rivalité entre Rafael Nadal et Roger Federer. Elle est supposée être le plus grand duel du sport actuel, mais étrangement, elle ne suscite pas la moindre animosité, pas le moindre ressentiment de la part des deux héros. Pis: ils s'aiment.

Alors qu’il serait compréhensible de les voir mettre de la distance entre eux dans la mesure où leurs intérêts sont, par nature, divergents, ils paraissent toujours devoir aller l’un avec l’autre. Samedi 15 janvier, dans le restaurant des joueurs de Melbourne Park, où se déroule l’Open d’Australie jusqu’à la fin du mois, l’un et l’autre déjeunaient ainsi tranquillement à des tables voisines dans une proximité chaleureuse.

Le lendemain, sur le central de Melbourne Park, ils étaient encore côte à côte, rigolant de concert, lors d’un double d’exhibition joué pour récolter des fonds afin de venir en aide aux victimes des récentes inondations du Queensland. Et dans les interviews que l’un et l’autre ont données avant le coup d’envoi du tournoi, leurs propos dégoulinaient de miel. «Rafa est le favori», assurait Federer. «Je ne suis pas le favori, il y a Roger», répondait Nadal.

Entre gens bien élevés

En décembre, histoire de souligner davantage leur amitié, les deux champions ont été jusqu’à organiser deux exhibitions deux jours consécutivement dans le but de lever de l’argent pour les causes qui leur tiennent à cœur. Le premier match a eu lieu à Zurich où Federer est venu chercher Nadal à l’aéroport dans sa voiture personnelle. Le second s’est déroulé à Madrid où l’Espagnol jouait cette fois les hôtes. Evidemment, comme nous sommes entre gens bien élevés, Federer a gagné le match de Zurich et Nadal celui de Madrid.

Tout cela est d’une sportivité remarquable, les deux hommes gardant leur agressivité pour leurs matches, souvent passionnants, même si le vainqueur n’oublie jamais de paraître sincèrement désolé pour le vaincu. A ce titre, la remise des prix de l’Open d’Australie, en 2009, avait été un moment de douceur rarement vu dans une arène sportive. Battu, Federer avait craqué lors de son discours de remerciements. Aussi interloqué que bouleversé par la petite crise de nerfs de sa victime, Nadal était venu lui donner une accolade consolatrice extrêmement touchante.

Inconsciemment, toutes ces amabilités tapent sur les nerfs de leurs supporters, les Nadaliens et les Federiens comme ils se nomment souvent sur les forums ou dans les flots de commentaires qu’ils laissent sur les sites sportifs. Car autant les deux champions s’apprécient, autant les fans des deux idoles se vouent une haine violente, peut-être inédite dans le sport depuis que le Net existe.

Les Federiens ont toujours le même angle d’attaque: Nadal est forcément dopé et est un ami du célèbre Docteur Fuentès. Les Nadaliens se concentrent, eux, sur le caractère melonné de la personnalité du Suisse qui, soulagement pour eux, est battu deux fois sur trois par leur icône –statistique qu’ils ne manquent jamais de reprendre en choeur, les autres répondant inévitablement qu’il est facile de battre Roger lorsque l’on est chargé comme une mule.

La rivalité particulière du tennnis

Le monde des fans est forcément irrationnel et baigne dans une certaine puérilité. Les amateurs de sport son tous passés par cette phase de l’adolescence qui vous voit déifier un champion et diaboliser un autre. Le tennis accentue ces traits ou ces travers parce qu’il s’agit d’un sport qui oppose frontalement deux êtres sur une période plus ou moins longue.

La boxe est un combat extrême, mais il est bref alors qu’au tennis, le bras de fer peut s’étaler sur cinq heures. En boxe, il est difficile pour deux vedettes de s’affronter régulièrement. Au tennis, en l’espace d’un seul mois, Nadal et Federer peuvent en découdre à Roland-Garros et à Wimbledon. La tension dramatique ne retombe jamais avec un classement mondial réactualisé chaque lundi et dont les moindres soubresauts sismiques sont analysés à la loupe par les aficionados.

Le tennis a cette particularité d’être également télégénique et très bien mis en scène. Tous les rictus des joueurs sont grossis par les caméras qui installent le drame dans nos salons. Pour un fan, c’est du pain béni tant il colle littéralement aux bonheurs et aux souffrances de son favori.

Depuis qu’il est apparu sur les écrans du monde entier au milieu des années 1970 à la faveur du boom engendré par la percée fulgurante de Björn Borg, le tennis a su se développer au gré de grandes rivalités reposant souvent sur des oppositions fortes et parfois sur de la détestation.

Qu’il s’agisse de Lendl-McEnroe, Connors-Lendl, Connors-McEnroe, Agassi-Sampras, Navratilova-Evert, Graf-Seles, beaucoup de supporters avaient choisi leur camp, mais ils ne pouvaient vraiment s’accrocher les uns avec les autres, faute d’un terrain de jeu constitué aujourd’hui par la Toile.

Internet, nouveau terrain de jeu des fans

A l’époque où je travaillais à Tennis Magazine, je me souviens d’un certain Alexandre Cherel qui sortait systématiquement sa plume dès lors qu’il avait eu le sentiment que «sa» Steffi Graf avait été attaquée dans le journal surtout quand cela venait d’un amateur de Monica Seles. Sa correspondance a dû peser quelques kilos. Aujourd’hui, j’imagine qu’il doit animer un site dédié à son idole et batailler, comme toujours, avec les fans de Monica Seles, l’ennemie irréductible.

Car le Net a fait basculer le sport et le monde des supporters dans une autre dimension. Eux aussi participent désormais au match et le jouent pleinement à leur manière. La rivalité Nadal-Federer charrie des commentaires qui sont souvent autant d’injures pour l’un que pour l’autre.

En fait, elle est irrationnelle et impossible à trancher. Federer est jugé comme étant le plus grand joueur de l’histoire, mais, c’est le problème, il a peut-être trouvé encore plus grand que lui avec le Majorquin. La guerre entre Federiens et Nadaliens a donc encore quelques belles années devant elle. Pour certains, elle pourrait même durer éternellement tant le débat restera vif entre ces irréconciliables.

Quant à Federer et Nadal, on les imagine bien monnayer leur rivalité dans quelques années lors d’épreuves de légendes comme un vieux couple qui ne peut pas se quitter. Car ces deux-là s’aiment pour la vie…

Yannick Cochennec

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