France

Diplomatie: la politique des yeux fermés

S'il est impossible pour un Etat de ne pas avoir des relations avec les régimes autoritaires ou despotiques, cette obligation de réalisme n’implique pas qu’on nourrisse des illusions sur la nature, la stabilité et la crédibilité de ces régimes.

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C’est un exercice facile et cruel: établir un florilège des déclarations successives des dirigeants français, de gauche comme de droite, en soutien au régime Ben Ali. Aujourd’hui, les plus hautes autorités font comme si elles tombaient des nues: «Sans doute avons-nous sous-estimé le degré d'exaspération de l'opinion publique face à un régime policier et dictatorial», déclare le ministre de la Défense Alain Juppé. Il aurait suffi de lire les reportages des journalistes occidentaux, et d’abord français, qui depuis des années rapportaient les violations des droits de l’homme perpétrées par la police tunisienne et le contrôle exercé sur la population par cette même police aux ordres du président et de sa famille, au lieu de critiquer l’hostilité supposée de la presse à l’égard du «peuple tunisien».

Tant que ça dure...

La ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, a reconnu avec une certaine candeur:  

«Nous pensions que le pouvoir [de Ben Ali] était plus solide.»

Autrement dit, aussi longtemps que ce président, élu avec plus de 90% des voix au cours d’élections que tout le monde savait truquées, semblaient tenir solidement les rênes, les autorités françaises ne trouvaient rien à redire à sa manière de gouverner et étaient même prêtes, si l’on en croit toujours les déclarations du chef de la diplomatie, à lui assurer le concours des forces de l’ordre française.

Cet aveuglement était auto-entretenu. Selon les dépêches diplomatiques américaines révélées par Wikileaks, un ambassadeur de France à Tunis faisait une analyse du régime tunisien qui ne pouvait que conforter dans ses erreurs sa hiérarchie. Peut-être pensait-il plaire en haut lieu en expliquant que le système Ben Ali n’avait rien de dictatorial et en s’alignant ainsi sur le discours officiel –il n’aurait pas été le premier dans ce cas– mais dans cette hypothèse il a rendu un bien mauvais service à la diplomatie française.

Car tout le monde à Paris, y compris le président de la République, ont été pris à contre-pied par la «révolution du jasmin». Il y a peu, Nicolas Sarkozy comptait sur Ben Ali pour faire avancer son projet d’Union pour la Méditerranée, encalminée comme les tentatives précédentes qui se sont échouées sur l’obstacle du conflit israélo-palestinien.

Retisser la confiance

En quelques heures, il a fallu improviser une argumentation qui justifie les louanges tressées à Ben Ali dans le passé, le soutien tacite pendant les premiers jours de la révolte populaire et la «solidarité» avec le peuple tunisien dans ses revendications pour la démocratie, les élections libres et honnêtes, et les libertés individuelles. Du temps du général De Gaulle, on disait que la France avait une politique arabe. C’était largement un mythe. En tous cas, il n’en reste plus rien. Sans doute les nouvelles autorités tunisiennes, issues des élections que l’on souhaite prochaines, ne tiendront-elles pas rigueur à la France de ses erreurs présentes. Chez elles aussi, le «réalisme» l’emportera. Les relations avec l’ancienne puissance coloniale sont trop importantes pour être tributaires de difficultés conjoncturelles. Mais la confiance sera difficile à rétablir.

Le cas du Liban

A l’autre bout de la Méditerranée, la politique arabe de Nicolas Sarkozy vient de subir un autre échec. La démission des ministres libanais proches du Hezbollah qui a mis un terme au gouvernement d’union nationale dirigé par Saad Hariri, n’est certes pas imputable à la France. Mais Paris avait œuvré à la réussite de cette solution en renouant avec le régime syrien de Bachar el-Assad qui était encore l’hôte de l’Elysée, il y a quelques semaines. Nicolas Sarkozy avait eu raison de reprendre contact avec Damas après le froid qui avait suivi l’attentat ayant coûté la vie, en 2005, au Premier ministre libanais d’alors, Rafic Hariri, père de Saad. Ami de Rafic Hariri, Jacques Chirac avait fait porter une grande part de responsabilité dans cet assassinat à la Syrie et avait rompu avec Bachar el-Assad, qu’il avait pourtant choyé lorsqu’il avait succédé à son père, Hafez el-Assad.

Nicolas Sarkozy n’avait pas les mêmes raisons que son prédécesseur d’en vouloir au président syrien, et malgré la répugnance à traiter avec des régimes non-démocratiques manifestée pendant la campagne de 2007, il s’était vite rallié à la Realpolitik.

Le rapprochement Paris-Damas n’a pas été totalement vain. Il a permis dans un premier temps de surmonter, sinon de résoudre, les divergences entre les différents groupes rivaux du Liban, de former un gouvernement et d’établir des relations diplomatiques entre le Liban et la Syrie. Il reste que la mise en cause directe ou indirecte du Hezbollah, de la Syrie et de leurs alliés dans le pays du cèdre, dans l’assassinat de Rafic Hariri par le procureur chargé de l’enquête internationale, ne pouvait que ranimer les vieilles querelles. Nicolas Sarkozy pensait-il que Bachar el-Assad paierait son retour en grâce sur la scène internationale d’une acceptation de la justice internationale? La Syrie, au contraire, comptait-elle sur la France pour influencer le procureur et éviter une mise en cause du Hezbollah par ailleurs soutenu par l’Iran?

Toujours est-il que Paris se retrouve pris dans l’imbroglio libanais sans avoir véritablement les moyens de faire pression sur les uns ou sur les autres. La leçon est la même que celle qui doit être tirée des événements de Tunisie: il est impossible pour un Etat démocratique de ne pas avoir des relations avec les régimes autoritaires ou despotiques, mais cette obligation de réalisme, la base du système international, n’implique pas qu’on nourrisse des illusions sur la nature, la stabilité et la crédibilité des régimes avec lesquels, bon gré mal gré, on doit entretenir des relations.

Daniel Vernet

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