Monde

Tunisie, la révolution trahie

Pour l'écrivain Taoufik Ben Brik, les hommes changent, mais le système reste.

Temps de lecture: 2 minutes

Une révolution ne l’est —n’est une révolution— que si elle fait table rase du passé. On ne tourne pas la page, on la déchire. Il est vrai qu’on s’est débarrassé de Ben Ali mais son legs est toujours resplendissant. On a coupé la tête mais le canard court toujours, vif. Le système bâti minutieusement par le général des services de Renseignements, Ben Ali, perdure à travers ses PPP. Pègre, Parti, Police. Son régime de Renseignements, unique au monde, fondé sur l’auto-délation, garde toujours sa capacité de nuisance. Sa police, la gardienne du temple du «benalisme», défend toujours ses «bastillons».

Le RCD, le parti-Etat, l’antre de tous les maux (régionalisme, clientélisme, élection truquée, dictature de proximité), affiche avec superbe son hégémonie. Le parlement unicolore-non-élu légifère. La justice et ses juges corrompus hantent toujours les dédales du Palais de l’injustice. La classe affairiste alliée à Ben Ali est rassurée. La constitution, ce parchemin hétéroclite confectionné sur mesure pour «El Presidente», n’est pas caduque. L’administration reste aux mains des orphelins du benalisme: gouverneurs, sous-préfets, ambassadeurs, consuls, PDG et directeurs généraux.

Le pouvoir exécutif est exercé par ses lieutenants; Foued M’bazaâ, président, Mohamed Ghannouchi, premier ministre, des ministres qui doivent toute leur carrière et qui ont parié jusqu’au bout sur lui. Avec, en prime, la course effrénée des nouveaux «collabos»: Néjib Chebbi, Mustapha Ben Jaafar, Ahmed Ibrahim; des inconnus au bataillon, sans ancrage populaire, sans charisme, des «sans» en puissance… qui ont toujours rêvé d’être «vizirs» sous Ben Ali. Un dream à la con.

Ils se disent représentatifs. De qui? De Mohamed Bouazizi, l’immolé, ce guerrier du trottoir? Représentatifs des Frechich, des Hmama, des Mejers, des M’thalith de Kasserine, de Tala, de Sidi Bouzid et de Jendouba, mes cousins, ces «apaches» de l’Atlas? Des mineurs de Jerissa, de Rdyed ou de Oum Leklil? Des chômeurs diplômés ou bidoun [«ceux qui n’ont rien»] des quartiers poudrières de Tunis, Sfax, Sousse et Bizerte? Des marins-pêcheurs de Zarzis ou de Kelibia? Des petites bonnes de Kroumirie? Des paysans du Kef, le far-west tunisien? Représentatifs des syndicalistes qui ont gardé le brasier de la colère intact? Des jeunes qui ont déferlé dans la rue? Des internautes, ces magnifiques «cyberguerilleros»? Des villes —ces cités grecques; l’Agora, la Polis— qui ont repris leurs mots à dire? Permettez-moi d’en douter, visages pâles. Vous nous avez leurré, arnaqué, volé un quart de siècle durant et vous vous apprêtez, ici et maintenant, à voler le rêve de la Tunisie vaillante. Vous ne cherchez pas à confisquer la révolution, plutôt vous complotez pour l’achever. Révolutionnaires de mon pays, réveillez-vous et brandissez l’étendard du refus face à l’ignominie.          

«NO PASARAN!»

Taoufik Ben Brik


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