France

Au congrès du FN, Le Pen, Aragon, Orwell, Ron Hubbard et un taux élevé de cholestérol

Choses vues et entendues alors que se prépare la succession à la tête du parti d'extrême droite.

Temps de lecture: 6 minutes

TOURS, ENVOYEE SPECIALE - Première journée du Congrès.

Un congrès du Front national, même avec la meilleure volonté du monde et en ayant avalé toute la déontologie du pays, on n’y va pas complètement vierge et pure de tout a priori. Autant être honnête et assumer quelques préjugés pour voir s’ils vont se vérifier. Je m’attends à y voir quoi?

Des drapeaux français, un stand de merchandising proposant des objets douteux, des vieilles en tailleurs et foulards Hermès, quelques jeunes la tête rasée, un Jean-Marie Le Pen goguenard, de la mauvaise musique, des militants pas très sympas, une Marine Le Pen qui va jouer une petite note d’émotion en début de discours, des flammes en tissus qui se gonflent au moment des discours.

Y a-t-il un suspens quelconque dans ce congrès? Certes, c’est un congrès important qui marque un changement notable pour le parti. Pour autant, on se doute tous que Marine Le Pen va prendre la tête du parti. Mais il y a une vague interrogation sur ce que fera Bruno Gollnisch. Soit il accepte la victoire de Marine Le Pen et c’est un FN unifié qui se présente à la présidentielle, soit il claque la porte et emporte avec lui la fraction la plus extrémiste du parti, fraction dont le FN a encore besoin pour les élections. On peut parier.

Que fera Gollnisch dimanche?

Je mise sur une entente. Bruno Gollnisch restera au Front, malgré la pression des groupuscules d’extrême droite qui ne veulent pas apporter leur soutien à une Marine Le Pen trop light (oui, visiblement, il y a des gens pour qui Marine Le Pen est trop soft). A priori, on aura des indices sur la position de Bruno Gollnisch lors de son discours du dimanche à 10h30. (Officiellement, sur le programme, c’est écrit discours du candidat arrivé en second…)

Ce samedi matin, j’arrive au Palais des congrès de Tours et 12 minutes plus tard, j’ai quasi fini de remplir ma grille de bingo. Je m’approche d’une petite dame avec un foulard Hermès en train de deviser. «Avant, je donnais de l’argent à Chirac et puis j’ai arrêté. En 2000. Maintenant je soutiens Le Pen parce que c’est le seul qui dit non à la chute de la France. C’est le seul, n’est-ce pas?» On est trois benêts à lui sourire sans prononcer un mot. «Franchement, il est LE seul. Il n’y en a pas d’autre, hein?» Je crois qu’elle attend qu’on approuve. En définitive, les militants du FN sont plutôt sympas avec les journalistes. L’ambiance a l’air bonne. Les frontistes se font des blagues entre eux, se saluent chaleureusement. Quant à la composition  de l’assemblée, on dira pudiquement de la moyenne d’âge qu’elle est légèrement supérieure à 50 ans.

Je traîne dans le hall et brusquement je réalise que ce qui menace le plus sérieusement le Front national, ce ne sont pas les querelles internes. Non, le vrai danger qui ronge le Front de l’intérieur, qui le gangrène, c’est le cholestérol. Plus je regarde autour de moi, plus je nourris une très forte inquiétude quant au taux de cholestérol des participants. Je pense que si on collecte tout le cholestérol du Palais, on peut… bon je sais pas trop ce qu’on peut faire avec du cholestérol… peut-être nourrir des bactéries.

Les journalistes autour des Le Pen

Entendu d’un militant: «Regarde-les… Avant ils nous crachaient dessus, maintenant ils sont comme des insectes.»

11h30 début des discours. Bilan de l’état du parti

Sur cette photo, saurez-vous reconnaître les pieds du leader de ceux du trésorier?

Le trésorier, celui avec les pieds rentrés donc, expose l’état de dénuement du parti. Les pertes cumulées étaient de plus de 7 millions d’euros en 2007 (à cause de la catastrophe des législatives donc de Nicolas Sarkozy); en 2008: 2 millions; et en 2009: 863 000 euros. Le paquebot, le siège du parti, n’a pas encore été vendu. Heureusement, le trésorier nous explique que «le trésor du Front National, ce n’est pas son compte en banque mais le Front national lui-même» et donc qu’il faut «le chérir». Dès que le nom de Le Pen est prononcé, père ou fille, c’est l’hystérie dans la salle.

Arrive le moment où le trésorier fait LA gaffe, je pense qu’il en tremble encore ce samedi soir: «Quelle aurait été la vie de la France ces 25 dernières années sans Marine… heu… Jean-Marie Le Pen?»

Entendu en sortant de la salle, par un type débonnaire avec un gros problème de cholestérol: «En Algérie, j’ai tué des arabes qui m’avaient rien fait, en France je pourrais bien en tuer qui m’ont emmerdé.»

15h - Séance de travail sur les cantonales

Ouvertement présentées comme un moyen de renforcer l’appareil militant pour préparer la présidentielle et les législatives qui suivent. Il est recommandé aux candidats de rencontrer leurs maires parce que cela servira au moment d’obtenir les 500 signatures pour se présenter à la présidentielle.

Entendu: «Vous imaginez un petit Tunisien qui s’immolerait par le feu en France? C’est toutes les banlieues qui explosent.» Je n’ai pas le courage de demander si le terme «petit Tunisien» désigne simplement un arabe de banlieue ou un ressortant de Tunisie.

16h - Le grand moment de la journée: le discours d’adieu de Jean-Marie Le Pen, président sortant

Jean-Marie Le Pen et un ventilateur

Un discours incroyablement bien écrit et innervé de références littéraires plutôt inattendues: Platon, Valéry, Orwell, Hobbes, Aragon. C’est un demi-siècle de l’histoire de la France qui défile. Evidemment, on y retrouve aussi tous les poncifs lepénistes. «Nous ne sommes de droite que par droiture.» «L’œuvre civilisatrice que fut la colonisation se résume dans les manuels d’histoire d’aujourd’hui à l’oppression.» L’Islam est «une religion conquérante qui veut, à terme, imposer la charia». «Mise à mort de notre civilisation», «pleureuses médiatiques», «clercs de la bien-pensance»...

Jean-Marie Le Pen revient également sans gêne sur ses anciens dérapages (d’ailleurs, il dit que «le dérapage, c’est ne pas aller dans le droit chemin»; il a décidément le sens de la formule séduisante et absurde). Il évoque le «détail de l’histoire», le «Durafour crématoire» autant de propos qui, selon lui, ont été détournés pour le condamner parce qu’il refusait de se soumettre à la «police de la pensée».

Au sujet de leur tract censuré : «Ceux qui nous gouvernent sont plus choqués de voir une femme en burqa en dessin que dans la rue.»

Il finira sur un tonitruant «Patriotes de tous les pays, unissez-vous», formule qui, loin de choquer le public par son ineptie totale, met le feu à la salle.

FN=Eglise de scientologie

Au terme d’une journée de discours frontistes, j’ai la même sensation qu’avec l’Eglise de scientologie. C’est le principe d’une vision du monde renversée par rapport à d’habitude. A priori, on considère plutôt les scientologues comme de vilains individus. Mais selon eux et leur théorie de science-fiction, la plupart d’entre nous sommes en réalité noyautés par des corps d’aliens, envoyés sur terre par Xenu, le dictateur de la fédération galactique, il y a 75 millions d’années.

De même, pour les frontistes, le FN est le seul parti réellement républicain. On peut me répondre que tout cela c’est de la rhétorique démagogique, que ni Le Pen ni Hubbard n’y croient mais, et c’est l’avantage d’assister à ce congrès, pour les adhérents, c’est perçu comme une réalité. Ils vivent dans une dictature depuis des dizaines d’années, une dictature UMPS qui prétend être un régime démocratique mais, qui en réalité, conspire à la décadence de la France. Ils se perçoivent réellement comme des résistants qui luttent pour sauver l’idéal républicain.

Pendant ce temps, à deux cent mètres, des jeunes ont organisé une manif anti-FN.

J’assiste à quelques arrestations. J’entends un CRS dire dans son talkie «Rebelle? Raton laveur». Un autre CRS me fait une bonne blague sur la taille de son phallus proportionnellement à mon appareil photo et puis demande: «Vous travaillez pour qui?» Il ne connaît pas Slate. On lui demande en rigolant: «Et toi? Tu bosses pour qui?» Il répond, l’air dégoûté: «Sarkozy.com». Ah…

CRS qui en a marre

Bilan de la journée: c’est la fin d’une époque pour le Front national. D’ailleurs, Roger Holeindre, l’un des fondateurs du FN, a annoncé samedi qu’il quittait un parti qui ne représentait plus ses idées. Dimanche, discours de Bruno Gollnisch et Marine Le Pen, tournés vers l’avenir, vers autre chose. Malgré quelques larmes dans le public à la fin du discours d’adieu du président sortant, j’ai l’impression que les frontistes ont plutôt hâte. Marine Le Pen, qu’on disait mal vue par les militants, a plutôt l’air de susciter l’enthousiasme, la ferveur et un espoir très précis, sensible dans tous les discours: celui de prendre le pouvoir. Gouverner enfin la France.

Les journalistes tournant le dos à Jean-Marie Le Pen

Texte et photos: Titiou Lecoq, envoyée spéciale à Tours

(Pour suivre la seconde journée du congrès, c'est par là)

***

Une sélection de nos articles sur le FN, Marine et Jean-Marie Le Pen…

-       Marine Le Pen à l’heure du Tea Party [Vendredi 14 janvier 2011]

-       Portrait robot des adhérents du FN [Jeudi 13 janvier 2011]

-       Si Marine Le Pen était élue… [Lundi 10 janvier 2011]

-       Marine Le Pen, la Front tireuse [Le 9 décembre 2010]

Tout le dossier sur le FN

cover
-
/
cover

Liste de lecture