France

Zemmour et Dieudonné n'ont rien à faire devant un juge

En démocratie, les opinions, même de très mauvais goût, ne sauraient être des délits. Ce n'est pas à la justice de faire taire Eric Zemmour ou Dieudonné.

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Eric Zemmour divise l'humanité en groupes que séparent couleur de peau et pratiques culturelles et affirme qu'«Arabes et noirs» ont une propension particulière à commettre des délits (même s'il admet du bout des lèvres qu'un environnement socio-économique difficile peut constituer un facteur aggravant).

Dieudonné passe son temps à dénoncer l'influence néfaste des juifs dans le monde, les rendant responsables de toutes les horreurs de l'aventure humaine ― traite négrière comprise! ― et décerne à l'occasion des récompenses à des révisionnistes pendant ses spectacles.

Et alors? Est-ce si nouveau?

Ces visions du monde ont-elles été inventées, initiées, brevetées par les deux sulfureux histrions? Ne suffit-il pas d'aller faire un tour au bistrot du coin pour entendre dix fois plus violent ? Ne suffit-il pas de parcourir les commentaires sous les articles de Libé, du Figaro ou de Fdesouche pour lire cent fois  plus grotesque, cent fois plus haineux même?

L'harmonie républicaine serait-elle désormais menacée par l'irruption, sur les plateaux de télé, de propos tenus quotidiennement par une frange, minoritaire mais bien réelle, de la population française? Et bâillonner ses têtes d'affiches via les tribunaux permettra-t-il d'extirper les pensées impures de la psyché nationale? N'en déplaise aux promoteurs béats du «vivre ensemble» ― ce prêt-à-penser lénifiant qui, en éliminant les concepts «malsains», doit provoquer l'avènement d'un nouvel humain œcuménique et syncrétique ― c'est assez peu probable.

On le sait, les opinions racistes et antisémites ne datent ni du «Heil Israël» d'un comique pas drôle, ni des affirmations déplaisantes d'un chroniqueur du samedi soir. Et elles sont là pour un bon moment encore. Sans doute pour toujours, en fait... Après tout, si Orwell suggère que la «novlangue» officielle, en fichant le vocabulaire subversif à la porte, ne l'empêche jamais de revenir par la fenêtre, le mécanisme doit également fonctionner lorsque les intentions sont bonnes

De toute évidence, on ne décrétera pas plus l'extinction de la bêtise et de la méchanceté que celle du paupérisme après 22h00. On ne métamorphosera pas des humains standards, avec leurs passions, leurs agacements, leur ignorance, leurs préjugés, en philosophes éclairés et généreux parce qu'on aura martyrisé leurs idoles à coups de sanctions pénales et de références indignées à des valeurs dont ils se moquent.

En 1990, la loi Gayssot est pourtant venue établir qu'il deviendrait illégal ― oui illégal, comme un braquage de banque ou un excès de vitesse ― de penser comme les piliers de bistrots et les anonymes fielleux du Web, ouvrant alors un boulevard à ceux qui prétendaient dire tout haut ce que tout le monde marmonnait tout bas.

Mais ni Zemmour, ni Dieudonné, ni Le Pen père et fille n'expriment pourtant la moindre vérité universelle. Et le citoyen d'une démocratie moderne est certainement suffisamment adulte pour distinguer, même sans l'assistance d'une tripotée d'associations bienveillantes et de moralisateurs professionnels, un baratin démagogique d'une réflexion argumentée. Les Américains, qui célèbrent le «free speech» dans leur constitution depuis 1791, en font d'ailleurs régulièrement la démonstration. De l'autre côté de la grande bleue, l'expression publique d'opinions zemmouriennes n'a pas empêché l'élection d'un président noir, pas plus que celle de délires dieudonnesques n'a empêché ce dernier de faire d'un juif son chief of staff.

Quoi qu'il en soit, et ceux que le contrôle du Pouvoir sur l'échange de fichiers MP3 chipés par Internet scandalisent en conviendront, la loi Gayssot est déjà aussi archaïque que sa cousine Hadopi. Si Zemmour et Dieudonné ne sont plus à la télé ou dans les journaux, s'ils n'ont plus le droit de proférer leurs énormités à la radio sans risquer la taule, ils feront comme le premier pirate numérique venu et s'ouvriront un site Web aux Tuamotu...

Les piliers de bistrots racistes et antisémites continueront de les lire avec délectation; les naïfs à se demander si l'interdiction de dire ceci ou cela n'est pas la preuve qu'on leur cache quelque chose; les gentils à exiger l'érection de nouvelles lignes Maginot juridiques contre les assauts de la bête immonde.

Remarquez, le plus rigolo avec la loi Gayssot, c'est qu'elle porte le nom de l'un des plus fidèles compagnons de route de Georges Frêche en Languedoc-Roussillon, un type que ses saillies racistes emmenaient aussi souvent du côté du zemmourisme que du dieudonnisme...

Enfin, ça, c'est juste mon opinion. Ce n'est tout de même pas un délit? Si?

Hugues Serraf

Photo: Eric Zemmour sur le plateau de «On est pas couché» / Laurent Denis / France 2

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