France

35 heures: Valls a tort et a raison

La question qui est posée derrière le temps de travail est celle de la compétitivité de l’économie française et du coût du travail: cette question-là est centrale, contrairement à celle des 35 heures.

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Entendons-nous: Manuel Valls a eu raison de lever, pour la gauche, le lièvre de la compétitivité de l’économie française. Je trouve cela très courageux de démolir les idées toutes faites et de n’avoir aucun tabou. Il a bien vu le piège qui se dessinait: l’UMP veut revenir sur les 35 heures et, ce faisant, s’attribuer le camp de l’économie (comprenez du réalisme) tandis que la gauche est renvoyée dans le social et les RTT (comprenez le camp des bisounours, des loisirs, des archéos et des irréalistes). Piège grossier où refuse de se laisser coincer le quadra «réformateur» du PS. Il a raison.

Pour autant, je doute que les 35 heures deviennent un sujet majeur de la campagne présidentielle de 2012. Parce qu’il y en a d’autres plus urgents, parce que les «déverrouiller» n’est pas facile et parce que les Français s’y sont accommodés et même attachés. La question qui est posée derrière le temps de travail est celle de la compétitivité de l’économie française et du coût du travail: cette question-là est centrale. Mais il faudra sans doute l’aborder autrement et de façon plus large.

Le but n'est pas de travailler «comme des Chinois»

Travailler 35 heures «seulement» n’est pas un problème en tant que tel. Il faut rappeler que ce qui est déterminant est la productivité (la quantité produite par personne par heure). Un Français produit en une heure beaucoup qu’un Chinois grâce au capital employé (les machines plus perfectionnées), grâce aux objets produits de plus haut de gamme, grâce à ses qualifications supérieures. Certains Chinois ont des productivités égales à celles des Occidentaux mais c’est loin d’être le cas de tous: la Chine est en rattrapage.

La Chine progresse et nous rejoint? Sans doute. Mais il faut dire et redire que la solution face à la Chine n’est pas de travailler «plus» (entendez «comme les Chinois!», sans qu’on connaisse vraiment la durée «effective» de travail en Chine), ni d’avoir des salaires et des prestations sociales à la baisse. C’est là une mauvaise idée de la mondialisation qui est partagée à droite comme à gauche. A droite parce qu’on trouve que le niveau social français est «trop cher», affirmation qui ne tient pas compte des pays nordiques où le social est encore plus cher mais le chômage plus bas et même de l’Allemagne où le coût du travail ouvrier est encore supérieur à la France.

A gauche, parce que convaincu, au fond de la même manière, que le social est trop cher, on en tire la conclusion qu’il faut le «défendre», soit en taxant le capital, soit en élevant des barrières de protection, soit les deux. Cette vision de la mondialisation est erronée: la seule solution contre la Chine est d’élever la productivité du travail en France.

Est-ce que cela passe par une élévation du temps de travail? Non. Seulement de façon très marginale et en tout cas sans rapport avec l’enjeu de la concurrence de la Chine et celle de l’Allemagne. Les grandes entreprises se sont arrangées avec les 35 heures dès l’origine, en réorganisant les ateliers, engagant en flexibilité. Les moyennes et petites ont eu beaucoup plus de mal, c’est exact. Les 35 heures leur ont coûté cher et ont bloqué leur croissance. Il en est de même dans beaucoup d’entreprises du secteur tertiaire où le résultat a été désastreux (les hôpitaux), et s'est traduit tout simplement par une dégradation du service rendu (les garages).

Par ailleurs, cette baisse du travail a été fiscalement «compensée» par des milliards d’euros de dégrèvements de charges. Les entreprises voient d’un très mauvais œil l’éventuelle disparition de ces détaxations. La preuve que les 35 heures sont finalement «digérées» par les entreprises (plutôt mal que bien, mais c’est fait, donc) est qu’elles ont été très peu nombreuses à utiliser la loi du 20 août 2008 qui permet leur remise en question, en concluant des accords collectifs.

La bonne direction est pourtant celle-là: organiser le temps de travail dans les branches ou les entreprises grâce à des accords négociés. Mais la faiblesse des syndicats français, leur absence de beaucoup d’entreprises, rendent cette direction difficile ou impossible. Le thème est donc explosif sans être fructueux pour résoudre le problème de la compétitivité française.

Regardons l'Allemagne

Comment l’aborder utilement? Pour le comprendre, il suffit d’observer la différence avec l’Allemagne dans l’automobile. Nos voisins ont réussi à conserver une forte industrie tandis que la production de voitures en France a été divisée pratiquement par deux ces dix dernières années. La raison est complexe: à la fois des meilleures organisations du travail sur les chaînes, une meilleure utilisation de toute la «filière» des sous-traitants, mais aussi et d’abord le fait de construire des voitures de plus haut de gamme vendues plus cher. C’est à ce niveau d’ensemble que la réponse doit être trouvée.

Concrètement, rehausser la productivité passe toute une série de mesures de long terme: améliorer le système éducatif, révolutionner la formation permanente, permettre aux PME de grossir, spécialiser le pays dans les secteurs d’avenir, développer la concurrence, baisser le coût des charges en basculant la fiscalité sur la consommation… Je renvoie au rapport de la commission présidée par Jacques Attali (dont je faisais partie) pour avoir une liste plus exhaustive. Nous ne demandions pas dans cette commission de revenir sur les 35 heures.

La campagne présidentielle est l’occasion d’aborder le sujet de fond de l’insuffisante croissance française. Le débat sur les 35 heures ne me paraît pas le plus urgent. Mais Copé et Valls ouvrent le débat de cette manière. Allons-y…

Eric Le Boucher

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