Culture

Les incongruités d'Hadopi

La loi «Création et Internet» est déjà dépassée.

Temps de lecture: 4 minutes

Au lendemain de l'adoption par l'Assemblée nationale de la loi Création et Internet - dite Hadopi, du nom de l'instance qui sera chargée d'appliquer les sanctions contre les téléchargeurs illégaux présumés, j'ai noté quelques incongruités:

- Taper «Torrent crypté» sur Google vous permettra de découvrir les mille et une formules qui permettent (si vous téléchargez illégalement) d'être à l'abri de toute indiscrétion.

- The Onion Routage (Tor) est en train de créer un réseau qui renvoie les communications d'ordinateur en ordinateur et dissimule ainsi les adresses IP.

- Ipredator met actuellement en place sous les auspices de Pirate Bay. Moyennant cinq euros par mois vous disposez d'un canal VPN (réseau privé virtuel) qui rend illisible par un tiers les messages ou les fichiers que vous échangez.

- Le constat d'huissier réalisé à la demande de l'UFC démontre la facilité avec laquelle une adresse IP peut être usurpée.

Les constatations me semblent évidentes : d'abord, pour les pirates, les outils sont nombreux pour faire transiter des données illisibles par des tiers sur le Net et donc échapper à tout contrôle ; ensuite, n'importe qui peut se servir de l'ordinateur du voisin pour télécharger illégalement. Même en présence d'un clef de protection. Par clef de protection, je ne parle pas du prétendu code de protection WPA qui est imprimé sous la base de votre Livebox (si vous êtes abonné chez Orange) et qui met donc votre connexion à la disposition de tous... Ce n'est qu'un début, la mise en place de la loi aura certainement pour effet de faire fleurir les offres de contournement.

Nous ne parlerons que rapidement du ralentissement et de l'instabilité du net, qui seront générés par les filtrages seront mis en place et les codages utilisés. En période de crise, ce sera un nouvel handicap pour les entreprises françaises. Bravo ! Ou bien ce sera tout le contraire : il y a de l'or à se faire en fabriquant des logiciels qui bloqueront l'accès à divers sites de P2P et dont il faudra changer les paramètres tous les 15 jours.

Autant dire que la loi est largement dépassée dès avant son adoption et qu'il ne reste plus au gouvernement qu'à entrer dans la célèbre spirale du glaive et du bouclier. Pendant ce temps, un bon nombre d'utilisateurs de bonne foi, les moins armés techniquement, se verront condamnés à la suite d'une usurpation de leur adresse IP et ce sans pratiquement avoir de recours. Lors des débats parlementaires (séance du 1er avril, j'ai cru à une plaisanterie) notre ministre a précisé que ces non délinquants pourraient se dédouaner en expédiant à l'Hadopi leur disque dur pour vérification. Cela montre vraiment le niveau de réflexion technique des rédacteurs du texte.

Toute personne utilisant intensément son ordinateur (et donc les fraudeurs) possède aujourd'hui plusieurs disques, il suffira d'envoyer celui qui traîne dans le placard depuis plusieurs années à cause de sa faible capacité et le tour sera joué. En revanche, l'utilisateur lambda aura le plus grand mal à trouver le disque dur dans son PC (ne parlons pas de problèmes de garantie ou du démontage d'un portable) et ne pourra plus se servir de son ordinateur jusqu'au retour de son disque. Autrement dit, il subira une coupure de son accès au Net.

Autre nouveauté, la labellisation par l'Hadopi, des sites fournissant de «la culture» dans des conditions légales. Cette labellisation donnerait droit, toujours d'après la ministre, à une place de choix dans les moteurs de recherche. Je ne résiste pas au plaisir de citer une partie du communiqué de Google à ce sujet : «Nous espérons qu'il s'agit ici d'un malentendu découlant d'une formulation sujette à interprétation. Ce serait aller loin que de demander aux moteurs de recherche de surréférencer certains sites labellisés, cela constituerait une forme de censure. Nous espérons que le rapporteur penchera plutôt pour la création d'un portail référençant certaines offres». De fait, Franck Riester, le rapporteur du texte, aurait corrigé le malentendu auprès d'une connaissance journaliste: par moteur de recherche, il n'entendait pas Google ou Yahoo, mais un site web qui référencerait toutes les offres légales labellisées.

Malheureusement, ces quelques évidences ne sont pas perçues par les promoteurs de la loi qui ont la vision brouillée par le lobbying des majors cachant sous le terme de culture l'industrie de pressage de galettes en matière plastique. Car ce qu'il est important de protéger c'est le contenu (la musique, le film) et non le contenant (la galette de plastique). La loi Hadopi fait exactement le contraire en ne prévoyant aucune nouvelle piste de diffusion de contenu et de rémunération des artistes. En 1456, madame Albanel aurait sans doute interdit l'usage de la presse de Gutenberg pour préserver l'activité des monastères...

Ne peut-on se pencher par exemple sur la possibilité de la licence globale. Je tente un rapide calcul : 18 millions de  Français sont connectés au haut débit. Avec cinq euros mensuels (le coût d'abonnement à Ipredator) par internaute relié en haut débit, il serait possible de doubler le montant des distributions annuelles de la SACEM aux artistes. En admettant que cette taxe globale ne soit appliquée qu'à ceux qui téléchargent illégalement, (20% d'entre des internautes, mais 45% des moins de 35 ans), soit  3,2 millions de «pirates», elle couvrirait déjà un quart de la distribution de la Sacem.

Il est objecté que ce mode de rémunération ne permet pas l'individualisation des distributions en fonction de l'audience. Mais quand les préposés de la Sacem font le tour des bistrots et magasins pour faire signer des licences pour avoir le droit de faire marcher le transistor ou la télé en présence de clients, il n'y a pas non plus possibilité d'individualisation de la rémunération. Ce pourrait être l'occasion de prévoir des rémunérations d'aide pour les auteurs débutants qui sont largement ignorés et ont les pires difficultés à se faire éditer sur plastique alors que la porte du Net pourrait facilement leur être ouverte.

Ne peut-on, à l'encontre de ce que préconise le porte-parole d'un parti important, développer les activités de streaming comme Deezer, Musicovery et autres qui, par les accords passés avec les sociétés d'ayants droit, participent à la rémunération globale des artistes? La diffusion dans le stream de jeunes auteurs participerait également à la découverte et à la reconnaissance de nouveaux talents.

En consacrant énergie et argent à la sauvegarde des canards boiteux plutôt qu'à la promotion de nouveaux talents et de nouveaux produits, les has been et les majors ont encore de beaux jours devant eux. Qu'importe si les libertés individuelles sont foulées au pied et les artistes ignorés.

Michel Reynaud

Ancien chef d'entreprise et lecteur de Slate.fr

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