Culture

Peinture: ce qui se cache derrière les toiles

Quand les technologies modernes de restauration permettent de redécouvrir ou réattribuer des oeuvres.

Temps de lecture: 3 minutes

Que cela soit un Velázquez à New York ou un Jacques Gamelin à Perpignan, la presse se fait parfois l'écho de ces restaurations singulières de peintures et de découvertes plus ou moins extraordinaires. Une œuvre mineure en cachait une autre majeure, sous des couches de vernis ou de repeints, au détour du coup de pinceau c’est la signature du maitre qui apparaît et non plus celle d’un disciple,  ou encore plus surprenant une autre œuvre se découvre au rayon X sous la peinture apparente.

A New York, le Metropolitan Museum (MET) présentait au public cette semaine un portrait de Philippe IV dont la restauration minutieuse a permis de le réattribuer à Velázquez et non plus aux petites mains de son atelier. Considérable différence. D'autant plus marquante, que ce même tableau s'était vue retirer la signature de Velázquez par le MET en... 1973. La restauration a donc non seulement permis de retrouver l’œil perdu du roi … mais aussi de recouvrer le coup de pinceau ferme du maître espagnol en le comparant à d’autres tableaux du peintre ce qui a permis de lui réattribuer la signature prestigieuse.

Une de plus serait-on tenté d’écrire. Puisque pour le musée newyorkais c’est la deuxième réattribution à Velázquez en l'espace de quelques mois. Le Portrait d’un Homme avait lui aussi retrouvé son lustre et sa valeur en 2009 après une restauration totale menée par les studios du musée new yorkais.

A une autre échelle, une satisfaction identique. Ici pas de réattribution puisque le tableau est signé sans le moindre doute de Jacques Gamelin, un peintre du 18ème siècle né à Carcassonne élève et disciple de Jacques-Louis David, ayant principalement travaillé dans le Sud-Ouest notamment à Toulouse. Le centre de restauration des tableaux de France à Versailles, vient de nettoyer cette toile, Scène d'intérieur, pour le musée des Beaux Arts de Perpignan. Ici, la découverte est d’un autre ordre … une pipe et la fumée qui s’en échappe, ou encore un chapeau oublié, les traits d’un visage d’une femme, sans doute celle du peintre. Retrouver ces détails, souvent cachés sous des couches granuleuses de repeints ou de vernis, sont les bonnes surprises qui sortent le plus souvent des studios de restauration.  

Des techniques toujours plus pointues permettent de percevoir des esquisses ou des couches peintures plus anciennes. Certains artistes ont réutilisé leurs toiles par souci d'économies ou ont modifié des postures. En 2008, on a ainsi pu découvrir dans «Le coin d’herbe» de Vincent van Gogh, exposé au Kröller-Müller Museum d'Otterlo aux Pays-Bas, le portrait d’une femme dans les bruns et les rouges très différents des tonalités contrastées de bleus, jaunes ou verts perçues jusqu'alors. Entre octobre 1884 et mai 1885, Vincent van Gogh a peint les visages de modèles ruraux dans le voisinage du village de Nuenen. Il a expédié plusieurs peintures à son frère Théo à Paris.  Plus tard, quand il est venu vivre avec lui, il a réutilisé les toiles en peignant au-dessus.

Même Mona Lisa a perdu une partie de son mystère par la faute ou la grace de la technologie. Les scientifiques ont balayé la peinture avec un appareil photo qui emploie 13 longueurs d'onde de lumière (d'ultra-violet à l'infrarouge), épluchant des siècles de vernis et d'autres changements. Résultat: ils ont trouvé que Leonard De Vinci avait dans un premier temps donné des sourcils plutôt épais à la belle!

Ces restaurations peuvent parfois tourner à la pêche miraculeuse pour les heureux propriétaires des toiles. Ainsi, une galerie à New York spécialisée dans les peintures des vieux maitres a acquis en 1968 lors d’une vente aux enchères dans un lot un tableau parmi d'autres pour la somme modique de 325 dollars. Il s'est avéré qu'il s'agissait tout simplement du portrait de «Laurent de Medicis», Duc d’ Urbino par Raphael. Un tableau essentiel pour comprendre les intrigues politiques de la Renaissance: Laurent de Médicis est représenté en habit typique de la cour de France. Ce portrait a servi à la présenter à Madeleine de la Tour d'Auvergne, fille en Jean de Bourbon et nièce de François de Bourbon, à l'occasion de leurs fiançailles. Le tableau a été vendu chez Christie’s à Londres en 2007 pour un peu plus de 37 millions de dollars...

C’est aussi pour doper une vente aux enchères, cette fois chez Sotheby's à Londres en 2003, qu’un autoportrait de jeunesse de Rembrandt datant de 1634, a été entièrement restauré. Le propriétaire en accord avec le Rembrandt Research Project décida d'enlever tous les ornements qui avaient enjolivé ce portrait au fils des siècles, ainsi que les repeints. Derrière la tête d'aristocrate russe coiffée d'un chapeau en velours rouge, affublée d'une longue moustache retroussée et emperlousée de colliers de deux rangs, se cachait en fait le visage de l'artiste aux cheveux bouclés simplement coiffés d'un béret. Les rayons x avait permis au tableau de retrouver son authenticité. Résultat: 12 millions d'euros.

Ces anecdotes soulèvent la question compliquée et controversée de l'authenticité des oeuvres. En règle générale, la tolérance s'accroît avec l'âge des peintures. Mais jusqu'où? «Certains primitifs italiens sont jugés authentiques même s'il ne reste que 15% à 20% de la peinture originale» explique l'expert Éric Turquin. «Ce qui n'est pas envisageable pour une toile du XIXéme siècle. Plus un tableau est récent, plus le niveau d'exigence augmente. Une restauration dénature celui-ci dès que les repeints ou les manques portent sur les endroits les plus significatifs» ajoute-t-il.

La règle d'or reste d'acheter une oeuvre, même mineure, via un professionnel reconnu pour bénéficier d'une garantie en cas de problème. Il ne faut pas trop rêver aux pêches miraculeuses... même à Noël.

Anne de Coninck

Photo: Vue partielle du portrait de Philip IV par Velázquez appartenant au Metropolitan Museum de New York  MET
 

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