France

Frontisme de gauche, frontisme de droite

Que faire avec un second tour Le Pen-Mélenchon?

Temps de lecture: 3 minutes

La seule chose vraiment certaine en ce qui concerne la prochaine élection présidentielle, c'est qu'elle sera sacrément rock'n'roll. Entre les primaires socialistes, dont on pressent qu'elles ne freineront guère les ardeurs d'éventuels recalés, et la compète proprement-dite, à laquelle une bonne vingtaine de «wannabes» prévoit déjà de participer, les choses n'ont jamais été aussi ouvertes…

Moins certaine que le bordel sus-évoqué, mais assez probable toutefois, la présence de Marine Le Pen au second tour doit donc être envisagée.

Bien entendu, opposée à n'importe quel membre du PS, à Sarkozy, à Bayrou, voire à Villepin ou à Borloo (nous somme dans la pure spéculation, souvenez-vous) en deuxième mi-temps, la parachutée d'Hénin-Beaumont serait logiquement écrabouillée par la foule des démocrates de ce pays. Mais, si tout est si ouvert et qu'un médiocre 12/15% suffit à vous placer en orbite, que se passerait-il en cas de finale Le Pen-Mélenchon ?

Bon, à priori, et puisque Mélenchon est un homme d'extrême gauche et que l'extrême gauche est ontologiquement plus gentille que l'extrême droite (les crimes du communisme ne sont que des erreurs quand les crimes du fascisme en sont le but, n'est-ce pas?), les démocrates sincères devraient, même en faisant la grimace, se reporter sur l'ex-sénateur socialiste.

Hey, nous étions bien allés voter pour Chirac en 2002… Si c'est pour faire la fine bouche avec Méluche en 2012, c'était bien la peine…

Sauf que, sauf que… glisser un bulletin Chirac dans l'urne alors qu'on avait voté Jospin avec enthousiasme au premier tour, c'était rester en terrain connu. Chirac, on ne l'aimait pas, certes, mais il ne proposait pas de transformer la France en Cuba septentrional. Il ne se félicitait pas non plus de ce que les Chinois soient capables de remettre les Tibétains sur le droit chemin et ne passait pas son temps à recenser les têtes à faire tomber!

Non, on ne l'aimait pas mais c'était le «devil you know» (le diable que l'on connait), comme on dit chez nous les Gallo-américains ― qui sont aux Gallo-romains ce que le World Wide Web est aux Voies romaines.

Le Parti de gauche de Mélenchon ― ou le Front de gauche si l'énergique tribun réussit son OPA hostile sur le Parti communiste ―, c'est tout de même une autre paire de manches. Et à l'exception d'une valeur cardinale (l'antiracisme), j'ai personnellement du mal à saisir si j'ai davantage en commun avec cet OPNI au populisme assumé qu'avec le ramassis hétéroclite d'extrémistes de droite authentiques et de prolos déboussolés qu'est le FN.

Tiens, prenons l'Europe par exemple, dont je suis un chaud partisan ― totalement et irrévocablement dévoué à la cause du fédéralisme. Eh bien si Marine Le Pen propose de sortir de l'Union, de rétablir le franc et de mettre en place des barrières physiques aux frontières françaises pour empêcher les seaux en plastiques chinois et les basanés africains de nous envahir, en quoi Jean-Luc Mélenchon s'en distingue-t-il?

D'accord, il ne veut pas exactement abandonner l'euro: il se contenterait juste de dévaluer cette monnaie de «banquiers et d'usuriers», ce qui reviendrait à peu près au même puisqu'il faudrait faire ça sans les Allemands. Remarquez, la bataille de chiffonniers avec les Italiens et les Espagnols qui s'ensuivrait («Achetez mes trucs en francs, ils sont moins chers que leurs bidules en  pesetas ou en lires!») animerait pas mal le débat...

Il ne veut pas non plus quitter l'Union, juste «sortir du Traité de Lisbonne», ce qu'il faudrait faire sans les copains et poserait également de sacrés problèmes d'organisation. Enfin, s'il ne dit rien des basanés aux frontières, il n'a aucun doute sur leur seaux en plastiques: le protectionnisme, c'est définitivement le «isme» qui monte chez les ex-internationalistes.

Sur un autre front, si j'ose dire, le FN est pour une retraite à 40 annuités sans âge de départ spécifique, quand Mélenchon est plutôt pour le retour aux soixante ans sans nombre d'annuités spécifique. Est-ce si différent? Pas vraiment. Du moins du point de vue d'un Sarkozy ou d'un DSK, qui pensent qu'il faut cotiser plus longtemps puisque l'on vit plus longtemps.

Mais si j’ai cherché à comparer, point par point, le reste des programmes socio-économiques des uns et des autres, avouons qu'il est plus facile de se rencarder chez les lepénistes que chez les mélenchonnistes. A main droite, on annonce la couleur, tout est décrit en détail et la France bleu-Marine ressemblerait effectivement à un mix d'étatisme, de corporatisme, de racisme, d'autoritarisme, de provincialisme intellectuel, d'archaïsme sociétal et économique, d'antilibéralisme, d'anti-américanisme, de bêtise crasse... A main gauche ― que le flou qui entoure la relation du boss avec le PC empêche d'aller au-delà des banalités génériques du progressisme orthodoxe ― on flaire peu ou prou la même chose, la xénophobie en moins, on l'a vu, mais le collectivisme en plus.

Un sondage express, absolument a-scientifique et représentatif de pas grand chose, m'enseigne pourtant qu'autour de moi, on irait malgré tout mettre un bulletin Mélenchon dans la boîte en cas de catastrophe. Ce qui est assez ironique puisque ce dernier s'abstiendrait lui-même de voter pour DSK, qui ne vaut pas mieux que l'UMP, laquelle est plus à droite que Marine Le Pen!

Pour moi, il s'agirait d'un fameux dilemme. Ne pas voter? Je n'ai jamais loupé le moindre scrutin et je me suis toujours moqué des abstentionnistes. Voter blanc? Je n'ai jamais compris ce qu'exprimait le fait de ne rien exprimer. Voter Le Pen? Tss, je ne réponds même pas à ce genre de provocations… Voter Mélenchon? Arghh… Non, vraiment, pas possible. Ou alors juste avant de m'expatrier, charge à ceux qui restent de se démerder avec la nouvelle donne et de nous faire passer des nouvelles du pays par pigeon voyageur si le Web français met la clé sous la porte Cuban style

Oui, vraiment, elle risque d'être sacrément rock’n’roll, cette présidentielle 2012. 

Hugues Serraf

Photo: Bulletins de vote Pascal Rossignol / Reuters

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