France

Marine Le Pen et les ultra laïques

Sur fond d’alliance contre nature entre l’extrême-droite et les militants d’une laïcité pure et dure, l’islamophobie tend aujourd’hui à remplacer le racisme ordinaire.

Temps de lecture: 3 minutes

Trop petite, la mosquée de la rue Myrha, dans le dix-huitième arrondissement de Paris, déborde de fidèles chaque vendredi et jour de fête musulmane. «Les autorités françaises refusent de faire appliquer la loi dans ce quartier, dans lequel les musulmans imposent, semaine après semaine, leurs prières publiques illégales. Bientôt le peuple français demandera des comptes aux dirigeants qui livrent la France à l’islam»: ce n’est pas dans une publication du Front National qu’on peut lire ces lignes, mais sur le site de Riposte laïque qui revendique 30.000 abonnés à sa lettre d’information hebdomadaire. C’est cette organisation qui, en juin dernier, avec le Bloc identitaire extrémiste, avait appelé à tenir, en plein Barbès à Paris, un «apéro, saucisson et pinard». On ne peut rêver meilleure démonstration de l’alliance contre nature, sur le dos de l’islam, entre l’extrême-droite et les courants laïques les plus radicaux du pays.

Riposte laïque applaudit aujourd’hui l’amalgame fait par Marine Le Pen, vendredi 10 décembre à Lyon, entre l’Occupation et les «prières de rues» des musulmans et, comme elle, appelle à la reconquête des «territoires perdus» de la République, qui seraient soumis aux lois religieuses. «Nous affirmons, écrit Riposte laïque au lendemain de la sortie de Marine Le Pen, que l’islam n’est pas une religion, mais un projet politico-religieux totalitaire. Il faut aujourd’hui être aveugle, sot ou complice pour ne pas voir, dans le quotidien, cet esprit de conquête en France et dans nombre de pays européens». Et de citer, outre les prières de rues, le port du voile qui s’étend, les revendications croissantes en matière de cantines hallal et de construction de mosquées.

Pierre Cassen, rédacteur en chef de Riposte laïque, se présente comme étant «de gauche laïque et républicaine». Il reproche à son camp de gauche de «sous-estimer, au nom d’un certain relativisme, d’une mauvaise conscience, voire d’une culpabilité post-coloniale, l’offensive islamisante, principal danger pour nos valeurs et notre civilisation». Selon cet ancien trotskiste, à force d’accommodements «prétendument raisonnables», les musulmans les plus militants exigeraient aujourdhui de la République qu’elle s’adapte à leurs dogmes.

De tels arguments, caricaturaux et honteux, n’hésitent plus à se dire dans le débat public français. L’islam est devenu le prétexte le plus commode pour exprimer, de façon fédératrice, des frustrations sociales, des décalages culturels, des craintes ordinaires: «Chez les féministes, ce sera le recul de la condition de la femme évident dans l’islam; chez les enseignants, la perte des acquis de l’école publique; chez les laïcs, une remise en cause de la laïcité», cite Vincent Geisser, chercheur au CNRS et auteur, en 2003, d’un ouvrage intitulé La nouvelle islamophobie (Ed. La Découverte). La France est en train de passer d’un racisme ordinaire, antimaghrébin, antiarabe, à une hostilité, voire une haine contre l’islam. C’est un phénomène nouveau qui aurait pour conséquences, au fil des années, les profanations de tombes musulmanes ou de mosquées, les agressions contre des femmes voilées.

Dans cette même logique, la figure du «musulman» tend à remplacer celle du beur ou de l’arabe. Mais on est en pleine perversion. «On enferme les 4 ou 5 millions de Français d’origine arabo-musulmane dans une identité religieuse, explique Dominique Sopo, président de SOS-Racisme, alors qu’il sont, dans leur immense majorité, sécularisés, ou qu’ils considèrent le Ramadan comme un repère essentiellement culturel» (dans La Croix du 10 novembre)

L’islamophobie gagne du terrain en France comme dans le reste de l’Europe. Elle exploite la peur de l’islamisation de la société. Peur que l’islam ne soit plus une religion parmi d’autres sur la scène laïque, mais soit devenu, comme dans certains ghettos de banlieues, une appartenance ethnique et identitaire indépassable. Cette peur rapproche l’extrême-droite et les militants ultras de la laïcité qui font jeu égal dans la dénonciation d’un islam de rues et de caves. Elle répand le doute sur la capacité de la population d’origine immigrée à se définir d’abord comme citoyenne et à accepter la culture laïque. Ce doute croît bien sûr avec la montée de l’islamisme dans le monde et avec l’infiltration, dans les banlieues, même très minoritaire, de l’islam radical.

La France n’a pas le monopole de ces dérives. En Allemagne, presque 60% de la population - selon un sondage de la Fondation Friedrich-Ebert publié le 13 octobre - réclament des restrictions à la pratique de l’islam. Le débat sur l’intégration des musulmans y a pris un tour polémique avec la publication du pamphlet anti-islam de Thilo Sarrazin - lui aussi venu de la gauche du parti social-démocrate SPD - intitulé L’Allemagne se détruit, qui prédit le déclin du pays sous l’effet d’une «invasion» islamique. Au Royaume-Uni, onze mosquées ont été attaquées depuis les attentats terroristes de juillet 2005 à Londres. En Suède, le parti des démocrates (SD), d’extrême-droite, a fait son entrée au Parlement en septembre en remportant 5,7% des voix aux élections législatives, après avoir fait campagne contre l’immigration musulmane. On pourrait multiplier les exemples en Suisse, aux Pays-Bas, en Autriche.

Cette contagion de l’islamophobie est une mauvaise nouvelle pour l’Europe. Elle ne fait qu’encourager les amalgames meurtriers et les alliances contre nature auxquels nous venons d’assister en France. La seule riposte possible est la condamnation ferme - et la réaction des politiques contre les propos de Marine Le Pen est plutôt réconfortante - et l’instauration d’une culture de dialogue avec l’islam. Celle-ci n’a de chance d’advenir que si les musulmans eux-mêmes s’imposent comme partenaires. C’est-à-dire n’hésitent plus à condamner les violences islamistes, affichent leur solidarité avec les croyants d’autres religions, évitent de tomber dans la surenchère des revendications identitaires, rejettent le repli sur soi comme péril mortel et acceptent de se plier à la culture et aux règles des pays où ils vivent.

Henri Tincq

Photo: Mosquée à Marseille Jean-Paul Pelissier / Reuters

cover
-
/
cover

Liste de lecture