Life

Faut-il remettre les bébés sur le ventre?

Oui, si l’on ne veut pas qu’ils prennent du retard.

<a href="http://www.flickr.com/photos/carbonnyc/3502407561/">Tummy Time</a> / CarbonNYC via FlickrCC <a href="http://creativecommons.org/licenses/by/2.0/deed.fr">License by</a>
Tummy Time / CarbonNYC via FlickrCC License by

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Au début des années 1940, le Dr. Harold Abramson, pédiatre de New York, étudia longuement des cas déchirants de bébés morts étouffés accidentellement pendant leur sommeil. En les analysant l’un après l’autre, il remarqua qu’une grande majorité des décès se produisaient alors que les bébés dormaient sur le ventre. Dans le Journal of Pediatrics, Abramson suggéra qu’on pouvait en inférer un lien entre la position de sommeil d’un nouveau-né et ce qu’on appelle «la mort subite du nourrisson», ou MSN. Au cours des décennies qui suivirent, d’autres chercheurs remarquèrent que les cas de MSN étaient moins nombreux dans les pays où les enfants étaient couchés sur le dos. Cinquante ans après l’étude d’Abramson, l’American Academy of Pediatrics lança officiellement une campagne «Back to Sleep» [Dodo sur le dos], recommandant aux parents de coucher les nourrissons sur le dos pendant leur première année. La campagne fut un grand succès: depuis son lancement en 1992, le taux de MSN aux États-Unis a été réduit de moitié.

Mais il y a un inconvénient: recommander aux parents de ne pas coucher leur bébé sur le ventre pour dormir les a complètement dissuadés de le faire. Et il s’avère que ne jamais mettre un nourrisson sur le ventre entrave un moment-clé de son développement. Moins les enfants passent de temps sur le ventre, plus ils ont tendance à prendre du retard pour acquérir les facultés moteur de la première année, ce qui retarde d’autant des prouesses toutes simples comme lever la tête, et les mouvements plus compliqués comme se retourner, ramper et tirer sur les bras pour se mettre debout. Cependant, les médecins hésitent à crier au loup car les enfants marchent généralement peu de temps après leur premier anniversaire quel que soit le temps qu’ils aient passé sur le ventre. Mais les preuves qui s’accumulent tendent à prouver que le timing des jalons de motricité qui précèdent la marche est crucial et peut même avoir une influence sur la santé et les capacités cognitives à long terme.

Quatre ans après le lancement de la campagne Back to Sleep, ses effets secondaires commencèrent à être signalés au corps médical. Le plus notable était que l’arrière de la tête de certains nourrissons s’aplatissait de façon disgracieuse. Il a fallu quelques années aux chercheurs et aux médecins pour se rendre compte que la position de sommeil affectait aussi les capacités motrices antérieures à la marche (que le bébé ait la tête déformée ou non). Puis, en 2004, une équipe de recherches menée par Bradley Thach, de l’École de médecine de Washington University, étudia la différence des mouvements de tête entre bébés couchés sur le ventre et bébés couchés sur le dos. Thach montra que les bébés qui dormaient sur le ventre développaient rapidement les connections neuronales et la force musculaire nécessaires pour tourner la tête d’un côté et de l’autre —l’une des premières étapes du développement psychomoteur. Les nourrissons qui dormaient toujours sur le dos, en revanche, étaient moins susceptibles d’avoir acquis une motricité de la tête suffisante entre 3 et 5 mois.

Rester sur le ventre, c'est pas rigolo

Ensuite, un groupe de recherche de la McGill University, dirigé par Annette Majnemer, a analysé les effets de la position de couchage des bébés sur le développement à six mois. Cette recherche a dévoilé une continuité dans les retards de motricité. Une plus grande partie des bébés dormant sur le dos n’était pas capable de se retourner, de se toucher les orteils ou de rester assis en s’aidant des bras.

Ces observations ont provoqué des réactions mitigées chez les pédiatres. Pour certains, l’aplatissement du crâne n’est rien d’autre qu’un problème esthétique temporaire et le retard du développement de la motricité antérieure à la marche est sans conséquence. D’autres, notamment l’American Academy of Pediatrics, défenseur de la campagne Back to Sleep, voient dans la déformation de la tête et les retards de motricité un signe avant-coureur de futurs problèmes et recommandent de placer le bébé sur le ventre lorsqu’il est éveillé, sous surveillance.

Or, selon une étude publiée dans le Journal of Pediatric Health Care, 90% des jeunes mères reçoivent l’instruction correcte de coucher leur bébé sur le dos, mais il n’est recommandé qu’à 55% d’entre elles de laisser leur enfant jouer sur le ventre sous surveillance. Et même quand les parents savent qu’ils doivent laisser leur tout-petit sur le ventre, ils ne mettent pas forcément le conseil en pratique. Ils se plaignent qu’il est difficile de faire jouer un enfant dans cette position. Ce qui est compréhensible, car avant qu’un bébé n’arrive à se redresser, rester allongé sur le ventre n’a rien de très rigolo. Frustrés par la frustration de leur enfant, les parents abandonnent souvent.

Comment savons-nous que ne jamais poser un bébé sur le ventre le désavantage à long terme? En étudiant les données concernant des milliers de personnes nées en 1966 dans le nord de la Finlande, un groupe de recherches dirigé par Charlotte Ridgway, de l’Institute of Metabolic Sciences de Cambridge, a démontré qu’un retard d’un mois dans le développement moteur d’un nourrisson avait le même effet néfaste sur les performances en cours d’éducation physique de cet enfant à 14 ans qu’une augmentation d’une unité de son indice de masse corporelle. En utilisant la même cohorte du nord de la Finlande, Ridgway et ses co-auteurs ont aussi établi une correspondance biunivoque entre l’âge auquel les enfants se mettent debout seuls pendant leur première année (autre étape cruciale du développement avant la marche), leur force musculaire, leur endurance et leur santé cardiovasculaire à 31 ans.

Comment faire?

Une autre équipe de chercheurs, dirigée par Graham Murray de l’université de Cambridge, a étudié la manière dont les retards moteur en début de vie pouvaient affecter d’autres parties du cerveau, comme les zones responsables des fonctions cognitives. À l’aide des données de l’étude finlandaise et de statistiques d’un second groupe composé de Britanniques nés en 1946, cette équipe a découvert que plus les enfants franchissaient tôt les étapes psychomotrices précédant la marche, mieux les zones plus compliquées de leurs cerveaux fonctionnaient plus tard. Au moment d’apprendre à se tenir debout sans aide, chaque mois d’avance d’un enfant sur son groupe d’âge se traduisait par une augmentation d’un demi-point de QI à 8 ans. À 26 ans, les plus précoces montraient de meilleures capacités de compréhension en lecture. Et passé la trentaine, leur niveau d’éducation était supérieur et ils obtenaient de meilleurs résultats dans des tâches de fonctions exécutives comme la catégorisation —la vitesse à laquelle ils étaient capables de regrouper des objets de même forme et de même couleur.

Quelle est la meilleure manière de s’assurer que les bébés qui dorment sur le dos passent suffisamment de temps sur le ventre? Le Dr John Graham, pédiatre et directeur du programme de dysmorphologie au Cedars Sinai Hospital de Los Angeles, recommande aux parents de commencer peu de temps après la sortie de la maternité (les exceptions, souligne Graham, concernent les bébés au cou fragile ou raide, conséquence occasionnelle de l’accouchement). Les parents des bébés trop jeunes pour tenir leur tête peuvent s’allonger et les poser sur leur poitrine, introduisant ainsi en toute confiance la position sur le ventre. Quand le nourrisson grandit et arrive à lever la tête, poser des jouets dans son champ de vision l’encourage à regarder autour de lui et à s’étirer. C’est vraiment très simple, en vérité. Et si bébé pleure parce qu’il n’a pas l’habitude d’être sur le ventre, tenez le coup un tout petit peu. Les bénéfices à long terme valent largement quelques minutes de tapage.

Brian Mossop
écrit pour Wired, Scientific American, The Scientist et est administrateur communautaire du site Public Library of Science.

Traduit par Bérengère Viennot

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