Économie

La relance pour les Etats-Unis, la rigueur pour l'Europe

Pourquoi les marchés louent-ils outre-Atlantique ce qu'ils honnissent de ce côté-ci? La réponse est sûrement à chercher dans la politique.

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Est-ce une foi inoxydable dans le dollar et dans l'Amérique? Est-ce une indulgence seulement provisoire? Est-ce tout simplement de la cécité? En tout cas, on ne peut qu'être frappé de la divergence des politiques économiques entre les Etats-Unis et l'Europe et de l'appréciation à contresens qu'en font les marchés financiers. En Europe, la reprise est faible et la croissance n'atteindra pas 1,7% dans la zone euro en 2010 et sans doute 1,4% en 2011. Mais depuis un an, les agences de notation et les investisseurs exigent et obtiennent des cures sévères d'austérité. En Amérique, le PIB devrait gagner au moins 2,8% cette année et autant l'an prochain. Barack Obama vient de trouver un accord avec la majorité républicaine du Congrès pour une baisse d'impôts qui revient à mettre en place un nouveau plan de relance. Que disent les marchés et les agences de notation? Ils s'en félicitent en calculant que la croissance sera améliorée d'un demi-point. Tout juste les agences disent-elles que la note triple A américaine serait éventuellement dégradée «dans deux ans» si aucun plan de réduction du déficit n'est présenté d'ici là.

Les Etats-Unis seront le seul pays développé à ne pas s'imposer de rigueur l'an prochain. Le compromis trouvé par Barack Obama avec les républicains va ajouter 1.000 milliards de dollars de déficit sur deux ans. En 2011, l'impasse budgétaire sera maintenue autour des 9 % du PIB, le double de l'Europe. Le président, alarmé par la baisse de régime de la reprise au printemps, le chômage persistant et le doute grossissant sur sa politique économique, cherchait une bouffée d'oxygène. Il voulait prolonger les dégrèvements d'impôts des ménages gagnant moins de 250.000 dollars par an (189.600 euros). Les républicains ont exigé que les hauts revenus en profitent aussi. Ce plan est contestable: les derniers indices américains laissent penser que l'économie ne va pas si mal et qu'elle n'avait pas forcément besoin de ce coup de pouce. La banque Goldman Sachs escomptait avant ce plan un rebond à 3,6% en 2012. En outre, le cadeau fait aux riches (dont l'effet sur la croissance est contesté) provoque des remous sur l'aile gauche des démocrates. Le New York Times parle d'un «compromis odieux». Pourtant, les marchés ont salué cet accord, la Bourse a atteint son plus haut depuis deux ans. Une majorité d'économistes s'est même exprimée pour dire que le paquet fiscal aurait dû être encore supérieur.

Une seule monnaie, un seul pays

Il est perturbant d'observer des points de vue aussi radicalement différents entre le Nouveau et l'Ancien Continent… Qui peut comprendre pourquoi la rigueur est bonne ici et la relance là-bas? L'explication n'est à chercher ni du côté de la croissance, qui conduirait au contraire à relancer plus en Europe qu'en Amérique, ni du côté du taux d'endettement, qui est quasi le même, 78% du PIB aux Etats-Unis et 84% dans la zone euro. Le chômage, 9,1% outre-Atlantique, 9,7% ici, ne saurait non plus fournir de clef. La situation des banques? Peut-être: la crise irlandaise a souligné la fragilité des institutions européennes. La politique monétaire? Peut-être aussi: la FED déverse des centaines de milliards de dollars sans barguigner, la BCE le fait plus chichement et à reculons. Mais on pourrait inverser le raisonnement, se convaincre que le laxisme monétaire américain amènera des conséquences négatives pour les investisseurs, qui seront difficiles à corriger.

Alors? Alors il faut parler de politique. Les marchés se détournent de l'Europe dont ils ne comprennent pas les fonctionnements bizarres et les lenteurs et ils se replient sur l'Amérique, une seule monnaie, un seul pays. Les économistes américains, décidément très keynésiens, pensent de même. Dans cette crise des dettes souveraines, ils renforcent leur scepticisme historique à l'égard de l'euro. Pour les Européens, le coût d'une absence d'union politique est désormais hors de prix. Il leur faut s'imposer une austérité structurellement inévitable mais à un moment où la conjoncture est contraire. L'Europe doit faire ses preuves quand on en dispense l'Amérique. Les marchés financiers veulent un modèle fédéral à l'américaine dont les peuples européens, attachés à leur souveraineté, ne veulent pas. Le divorce est total.

Eric Le Boucher

Chronique également parue dans Les Echos

 

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