France

Vider son compte en banque peut-il détruire le système?

Répondre à «l'appel de Cantona» n'est pas si simple. Le système bancaire français a de nombreux garde-fous.

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Dans une interview vidéo au moment des manifestations contre la réforme des retraites, l’ancien footballeur Eric Cantona appelait à une révolution par l’argent plutôt que par la manif: «Au lieu qu’il y ait trois millions de gens qui aillent dans la rue avec leur machin ces trois millions de gens ils vont à la banque ils retirent leur argent et les banques s’écroulent.» Cantona a ensuite revu son chiffre à la hausse en disant «si trois millions ou dix millions de gens», avant, en fin d’interview, de passer à «20 millions de gens».

Depuis, des internautes —notamment des proches de l’acteur ancien joueur de foot— ont pris sa proposition au sérieux et ont lancé un événement Facebook intitulé «REVOLUTION ! LE 7 DECEMBRE ON VA TOUS RETIRER NOTRE ARGENT DES BANQUES!», avec 40.000 personnes répondant «présent» à cet évènement. Cantona a du coup affirmé que lui aussi «serait à la banque» le 7 décembre, après avoir constaté «cette étrange solidarité qui est en train de naître».

D'après France Bleu Picardie, l'ancien footballeur aurait demandé à retirer de l'argent d'une agence locale de la BNP Paribas, tandis que le site d'informations financières Wansquare affirme qu'il a fait virer 750.000 euros de son compte à la banque Leonardo vers le Crédit Agricole. Ce serait cette somme (qui ne représente pas la totalité de sa fortune) qu'il retirerait ce mardi. Mais son appel n'était pas suivi par le reste des Français à la mi-journée, rapporte l'AFP.

Combien de personnes devraient vider leur compte pour que «les banques s’écroulent»?

Il est très difficile de savoir à partir de combien de personnes vidant leur compte le système bancaire subirait un coup, puisqu’il ne suffit pas de savoir combien de personnes vont retirer, mais également la quantité d’argent qu’elles comptent retirer, et où. Si les 40.000 utilisateurs de Facebook qui comptent retirer leur argent sont tous des étudiants avec 500 euros sur leur compte (retirant ainsi 20.000.000 d'euros sur les 1.085 milliards d’euros déposés en France sur des livrets d’épargne ou des comptes courants d’après les chiffres 2009 de l’Insee, dont 420 milliards déposés sur les comptes courants explique La Dépêche), leur action n’aura pas le même impact que si les milliers de Français les plus riches vidaient leur compte.

Sans faire s’écrouler le système, ces videurs de compte pourraient inquiéter le reste des Français s’ils sont nombreux au point que se forment des queues devant des agences partout dans le pays, comme ça s’était produit en Angleterre avec Northern Rock en 2007. Mais Northern Rock ne concernait qu’une banque, contrairement à cette initiative. «Même si des agences doivent fermer, ça serait très différent d’un bank run conventionnel parce que les clients sauraient que c’est lié à une manifestation et non pas un problème profond de la banque», affirme un des responsables de l’Institut des affaires économiques à la BBC, et qu'on ne risque donc pas de voir toute la population courir vider son compte (pour ce scénario catastrophe, vous pouvez lire cette fiction de l'Expansion). Compliqué, donc, de faire s'écrouler les banques.

Les banques peuvent-elles refuser que leurs clients vident leur compte?

Pour l'anthropologue-économiste Paul Jorion, rendu célèbre pour avoir «prédit» la crise des subprimes, il n'est pas possible de retirer tout son argent: «Les gens oublient que quand ils déposent leur argent à la banque, eh bien, ce n'est plus vraiment leur argent, la banque leur dit “Je vous rembourserai”, et puis ils ont une reconnaissance de dette que la banque leur a donnés.»

Mais cette théorie n'est pas partagée. L’argent est au client, pas à la banque, il en est le complet propriétaire et peut donc en faire ce qu’il veut, explique le professeur de droit à l'université de Clermont-Ferrand Hervé Causse. En revanche une agence peut très bien ne pas verser l’argent demandé pour des raisons techniques, détaillées notamment dans les conventions de compte de chaque banque.

Par exemple, les retraits en distributeur sont soumis à des plafonds. Ceux au guichet ne le sont généralement pas, mais il faut prévenir son agence en avance en cas de gros retrait, parce qu’elle n’a pas tout l’argent de ses clients disponibles en billets dans ses caisses. Les agences gardent un petit pourcentage de l’argent de leurs clients en espèces, défini selon le «coefficient de liquidité» de telle sorte que les dépôts et les ressources prévus à un mois soient équivalents.

Ce coefficient ne prend pas en compte les aléas d’une opération temporaire comme celle prévue pour ce 7 décembre, ou une potentielle panique ou crise soudaine, et une agence peut donc manquer d’argent. Elle ira alors se refournir auprès d’autres banques ou de la Banque de France, et pourrait ensuite de nouveau fournir les clients qui veulent retirer de l’argent.

Quelles sont les conséquences possibles d’un retrait massif d’espèces ?

Elles risquent d’être plus compliquées pour les clients que pour les banques, puisqu’ils vont se retrouver à transporter des centaines ou des milliers d’euros, en billets, susceptibles d’être braqués à tout moment. S’ils ferment leur compte, ils ne pourront plus encaisser de chèques ou de virements (en paiement de leur salaire par exemple). Tandis que le fait qu’une agence soit en manque de liquide n’affecte pas les virements et autres opérations non fiduciaires du reste de ses clients.

Si une banque, à cause d’un retrait massif de liquidités en venait à faire faillite (mais pour y arriver il faudrait que tous les videurs de compte viennent de la même banque), il existe depuis 1999 un fonds de garantie des dépôts qui indemnise les clients jusqu’à 70.000 euros par personne. Ce fonds ne serait pas suffisant pour indemniser la totalité des titulaires de comptes français si le mouvement s'étendait à tout le pays (début 2010 il contenait 1,6 milliard d'euros).

Si le système bancaire était détruit, comme le souhaite Eric Cantona et, apparemment, 40.000 personnes sur Facebook, «la situation de ces gens ne va pas s’améliorer» pour autant, explique Mathieu Plane, économiste à l’OFCE. Bien au contraire, «on assisterait à une diminution de richesse globale et une diminution du niveau de vie».

Théoriquement, si la situation devenait une véritable crise, l’Etat pourrait également intervenir au nom du maintien de l’ordre public, en décidant par exemple de limiter le montant des retraits pendant un certain temps, estime le professeur de droit public à l'université de Caen Anthony Taillefait. Mais cette ingérence devrait être et temporaire, et limitée, sous peine d’entrer en contradiction avec le droit au bien et le droit à la maîtrise de son patrimoine. Et cette solution reste d’autant plus théorique que l’Etat devrait la considérer comme moins dangereuse économiquement que la situation de crise.

Cécile Dehesdin

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