France

La France refroidit les ardeurs du photovoltaïque

Sous l’effet des subventions, le photovoltaïque s’emballait. Le gouvernement a décidé un moratoire de trois mois des nouveaux agréments, pour remettre à plat l’ensemble de la filière.

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Au niveau du symbole, on ne peut guère faire pire: c’est juste lorsque se déroule le sommet de Cancun sur le réchauffement climatique et la réduction des émissions de gaz à effet de serre, que le gouvernement Fillon décide d’instaurer un gel de trois mois des nouveaux projets photovoltaïques en France. S’il avait voulu se démarquer de l’action conduite par son ex-ministre de l’Ecologie et de l’énergie Jean-Louis Borloo, devenu son concurrent pour Matignon, François Fillon n’aurait pas fait mieux.

Une bulle du solaire

En réalité, après une réunion interministérielle le 2 décembre, le Premier ministre a considéré que l’emballement de l’activité dans la filière impliquait de marquer une pause. En cause, la file d’attente des projets de raccordement au réseau d’ErDF pour une puissance totale de près de 4.000 MW alors que la croissance du photovoltaïque en France doit être réalisée à raison de 500 MW par an. Soit huit ans d’attente pour les derniers enregistrés!

Pas de doute, la bulle du solaire a enflé à une incroyable vitesse. En trois ans, de 2008 à 2010, la capacité installée du photovoltaïque a été multipliée par dix pour atteindre 850 MW, faisant passer la France du 12e au 7e rang mondial selon le baromètre PriceWaterhouseCoopers (PWC). Un rythme bien trop rapide au regard des objectifs du Grenelle de l’Environnement qui prévoient 1.100 MW installés fin 2012 et 5.400 MW fin 2020, le tout s’inscrivant dans un programme européen aux termes duquel 23% de la production française d’électricité devra provenir d’énergies renouvelables. Mais pourquoi condamner un excès de vertu? C’est que l’écologie ne peut s’affranchir de l’économie, et que la vertu aujourd’hui n’existe que subventionnée. D’où la décision de François Fillon de rétablir des équilibres.

Pour dégonfler la bulle, le précédent gouvernement Fillon a déjà réduit le prix de rachat par EDF de l’électricité produite par ces installations photovoltaïques: de 30% en janvier 2010, et encore de 12% en septembre. Les particuliers dont les installations ne dépassent pas 3 kW (soit environ 30m2 de panneaux) ne sont pas les plus visés: ils ont été les moins touchés la première fois, et épargnés la seconde (l’électricité produite leur est toujours rachetée 58 centimes d’euros par kW). Enfin, ils ne sont pas concernés dans le moratoire. En revanche, les grosses centrales photovoltaïques sont dans la ligne de mire du gouvernement. EDF est obligé de leur acheter l’électricité à des tarifs allant de 27 à 51 centimes par kW depuis septembre. Les contrats sont signés pour 20 ans.

Panneaux solaires chinois

L’importation de panneaux solaires chinois à des prix attractifs a fait baisser les coûts d’infrastructures, et les investisseurs obtiennent actuellement des taux particulièrement bas pour financer ces projets. Ainsi, ils peuvent aujourd’hui espérer des rendements à deux chiffres de leurs investissements. Le scénario est idéal pour la spéculation… même si le spéculateur en question est parfois une PME qui installe sur ses entrepôts une structure de panneaux solaires, ou un agriculteur qui utilise un champ pour obtenir ainsi un complément de revenu. En outre, il est déjà prévu que les tarifs de rachat baissent dans l’avenir de 10% par an. Ce qui pourrait expliquer l’empressement de conclure des contrats avec EDF.

Le problème, c’est qu’EDF doit financer ces rachats. La direction du groupe a fait ses comptes: pour une puissance de 5.400 MW en 2020 et avec des tarifs de rachat non révisés, le surcoût aurait atteint entre 2,2 et 2,9 milliards d’euros pendant 20 ans, entraînant des hausses de facturation de l’ordre de 10%. En janvier, une hausse de 3% des factures d’électricité devrait être décidée au titre du relèvement de la contribution au service public de l’électricité (CSPE) qui finance le développement des énergies renouvelables.

Le consommateur qui paie pour le spéculateur: le principe, plébiscité au départ, risquait de devenir contre-performant pour le gouvernement. D’autant que la nouvelle organisation du marché de l’électricité votée en novembre (qui oblige EDF à vendre de l’électricité à ses concurrents à des prix attractifs)  provoquera elle-même des hausses de tarifs pour les consommateurs (de l’ordre de 25% en cinq ans, selon la Commission de régulation de l’énergie)…

Redéfinir les base d’une industrie du photovoltaïque

Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l’Ecologie, a lâché l’argument imparable: ce n’est pas au consommateur français de subventionner l’industrie chinoise des panneaux solaires. Et d’après la ministre, la production de ces panneaux produirait 1,8 fois plus de CO2 que pour un panneau français. Des chiffres invérifiables, mais un argument en béton lorsqu’il s’agit précisément de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre. De façon plus concrète, les panneaux solaires chinois auraient contribué à creuser de 800 millions d’euros le déficit commercial français.

L’explosion du photovoltaïque pose un autre problème aux pouvoirs publics. L’économie verte doit créer les emplois de demain. Après avoir raté le train de l’éolien, la France avait choisi de se focaliser sur le solaire. Or, avec 80% des panneaux en provenance de Chine, les emplois (les objectifs portent sur 15.000 salariés fin 2010 et 50.000 fin 2020) ne sont pas au rendez-vous. Dans ces conditions, le gouvernement a décidé de remettre la situation à plat. Et de prendre trois mois, avec les industriels de la filière, pour partir sur de nouvelles bases.

Toutefois, la méthode choisie est cavalière. Après déjà deux baisses des tarifs de rachat, les professionnels s’attendaient à de nouvelles dispositions. Mais pas forcément à un moratoire couperet. Le gouvernement s’en explique: il fallait éviter un afflux de nouveaux projets qui n’aurait pas manqué au cas où le gel provisoire aurait été annoncé à l’avance. Or précisément, les dossiers s’accumulent déjà. Toutefois, en plus des particuliers, les projets dont les devis avec ErDF pour le raccordement au réseau ont déjà été acceptés et pour lesquels un premier versement a été effectué, ne sont pas concernés par le moratoire. Pour certains professionnels, le moratoire est «sage» dans la mesure où il ne touche pas les particuliers. Mais la plupart s’offusque de telles méthodes, souligne l’impossibilité de programmer une activité si les règles et les tarifs changent plusieurs fois par an, et brandit la menace de licenciements et de faillites.

Gilles Bridier

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