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Des deux côtés de l’Atlantique, la conception s’était imposée depuis trois décennies que les banques sont «des entreprises comme les autres» et l'argent une marchandise «comme les autres». Les législateurs et les régulateurs ont fait sauter progressivement pour certains d’entre eux, plus brutalement pour d’autres, les règles d’exercice de cette profession et les mesures de surveillance de ces établissements et des marchés sur lesquels ils opèrent. Et ceci au moment où l’innovation financière a été la plus forte! Quand ils ont réglementé, car ils ont réglementé (Bâle 1 puis Bâle 2), c’était pour pousser la financiarisation de l’épargne et du crédit avec les excès et les conséquences que l’on sait.
On a voulu croire que la finance, dans ses métiers comme pour ses produits, pouvait être réglée de façon «généralement quelconque». Qu'en particulier, maximiser la concurrence et les innovations serait à tous égards d'une immédiate et évidente utilité pour le consommateur. Belle thèse, dont le triomphe simplifierait le monde pour tous. Une thèse appliquée depuis de nombreuses années maintenant, et que l’on peut donc examiner à la lumière de l’expérience.
1. L’exemple de la dérégulation de l'intermédiation sur les marchés financiers
Sur le territoire européen, la déréglementation a connu plusieurs vagues. Elle s’est focalisée sur les «services d’investissement», c'est-à-dire les transactions financières sur titres cotés et les métiers annexes. Secteur assez simple puisqu’il s’agissait de libérer l’activité d’achat et de vente de titres. Il suffisait donc d’afficher les prix, de faire en sorte que les intermédiaires respectent un certain nombre de règles et le tour était joué.
La première déréglementation remonte au Big bang entamé dans les années 1980 en Grande-Bretagne, suivi notamment en France par la fin du monopole des agents de change en 1986. La seconde déréglementation a été faite cette fois-ci au niveau européen. Elle a été lancée par la directive de 1993 et avait pour but, à l'instar du marché bancaire unique, d’instaurer un marché européen des services financiers pour accompagner la financiarisation des économies de l’Union. Une seconde phase a été entamée à l’automne 2007 par la nouvelle directive sur les instruments financiers (directive MIF). Et cela au moment même où la bulle des subprimes explosait!
La Commission européenne a voulu raffiner son modèle. Considérant que les Bourses détenaient un monopole indu qui leur offrait des commissions excessives, elle a autorisé que des opérations «de gros» puissent se traiter en dehors d’elles, comme des transactions privées entre des personnes «ayant librement contracté». On a vu naître aussi des «dark pools», marchés dont on connaît désormais les nuisances. Au total le résultat est affligeant: plus aucune transparence des transactions, les actionnaires ne savent plus comment est fixé le prix, les dirigeants de société ne savent plus qui sont leurs actionnaires, la possibilité de compenser des ordres de sens contraire en interne altère encore un peu plus la détermination des prix et la multiplication des plateformes privées de négociation a conduit à l’éclatement de la liquidité des marchés.
Pourquoi de tels choix? Au nom de la concurrence. Parce que, selon les autorités de Bruxelles, les établissements financiers disposent d’un oligopole préjudiciable au consommateur. Il faut donc autoriser d’autres acteurs à intervenir sur ces marchés pour stimuler la compétition et permettre au consommateur d’avoir un meilleur service à un meilleur prix.
Le consommateur se retrouve alors face à des établissements aux statuts divers dont les garanties sont différentes, et il doit analyser des dizaines de pages de contrats, conventions, notices et prospectus pour essayer de comprendre ce qu’il a acheté!
2. L’exemple de la dérégulation des moyens de paiement
En parallèle, avec le même esprit, la Commission a décidé de s’attaquer aux opérations de virements, aux cartes de débit ou de crédit et aux autres opérations de maniement «d’argent». Les fonctionnaires européens ont découvert que selon leurs pays d’origine, les frais bancaires pouvaient parfois être élevés et ne répondaient pas à leur logique de «citoyens de l’Europe, libres de leurs mouvements et devant en jouir sans entrave!».
Ils ont donc décidé de faire voter une Directive sur les services de paiement. Celle-ci autorise des établissements «non banques», dont le système de garantie est amoindri, à offrir des services de paiement aux consommateurs. Mais pour faire une opération de paiement, comme tout ne va pas à la vitesse de l’éclair, il faut mettre en place soit un dispositif de «dépôt», soit un dispositif de «crédit». Dispositifs qui sont «allégés» bien sûr!
On touche du doigt la fragilité du nouveau système: quand tout se passe bien, il n’y a pas de problème. Mais dès qu’il y a un problème dans l’opération de paiement, c’est la qualité du prestataire qui est en jeu. Parce que, pour pouvoir transférer l’argent d’un consommateur à un autre, il faut bien à un moment donné l’avoir pris en charge et garantir qu’on l’a bien remis à la bonne personne. Le risque opérationnel devient alors risque de crédit: qui paye ou indemnise en cas d’erreur dans l’exécution de l’opération?
Dans toute cette politique bruxelloise, et l'on pourrait multiplier les exemples, est-il certain que le consommateur des produits et services de l'industrie financière sort gagnant? Nul ne sait en vérité. Mais on se souviendra que la crise des subprimes repose largement sur la vente de crédits par des non banquiers à des personnes insolvables…
Il est temps de rompre avec la conception de départ et enfin arrêter de considérer que le maniement de l’argent pour compte de tiers et sa circulation dans le commerce doivent obéir aux mêmes critères de règles de concurrence que la production et la distribution des autres biens. De ce côté de l’Atlantique, comme de l’autre, on commence timidement à découvrir les pots cassés et à redonner du pouvoir aux banques centrales dans leur rôle de régulation et de surveillance des banques et des autres acteurs financiers. Il reste beaucoup à faire sur le chemin du retour à la raison.
Diogène