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FC Barcelone-Real Madrid, des dieux ou des hommes?

Le clásico espagnol se dispute lundi soir au Camp Nou. Un match entre deux équipes tellement parfaites qu’elles semblent élever le foot à une nouvelle dimension où l’erreur ne serait pas permise.

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Deux fois par an en Espagne, c’est à peu près la même histoire. Finie la crise, oublié le chômage, enterrées les querelles politiques et les réformes douloureuses, c’est l’heure du derby Barça-Real Madrid. «Le match du siècle», «la meilleure partie que l’on puisse voir», «le foot à son apogée» sont les sempiternelles rengaines que l’on entend à chaque fois. Et c’est souvent justifié. Cette année encore le match du lundi 29 novembre est déjà qualifié de «meilleur match du monde» tant la supériorité statistique, la qualité de leur effectif et le jeu déployé par les deux équipes sont écrasants.

Une mainmise sur le championnat et une domination européenne qui en agace plus d’un. Ainsi, José Maria del Nido, président du FC Séville, remarquait récemment que «La Premier League est une vraie compétition et pas une parodie comme le 0-8 d’Almeria ou le 5-1 du Bernabéu», faisant référence aux larges victoires du Barça et du Madrid lors de la dernière journée de Liga (un coup du chapeau de Leo Messi auquel Cristiano Ronaldo a répondu par trois buts également). Même scénario en Ligue des Champions cette semaine. Mardi soir, les merengues infligent un humiliant 0-4 à l’Ajax d’Amsterdam sur sa pelouse, les blaugranas battent le Panathinaikos 0-3 à domicile le lendemain. Les deux équipes arrivent en pleine forme au Clásico, comme deux trains impitoyables, lancés à pleine vitesse.

Chacun avec son style, mais avec le même sentiment de pouvoir gagner le match quand elles le désirent. Ce n’est plus du foot, mais un film, un entrainement ou un jeu vidéo tellement leur supériorité est indiscutable. Un exemple: le troisième but du Barça face au Panathinaikos (7 passes à une touche de balle, 11 secondes pour faire basculer l’équipe, quelques une-deux et un but facile). A cet art du tiki-taka, du toque, de la possession de balle et des actions qui finissent à 3 mètres du but que le Barça avait déjà déployé face à l’Almeria ou au Villareal, le style du nouveau Real de José Mourinho répond par la pression, la récupération, la vitesse, la verticalité et la clairvoyance face au but. Moins précieux mais peut-être plus efficace. Un exemple: le troisième but des merengues face à l’Ajax ou le deuxième face à l’Athletic (corner qui se transforme en contre-attaque parfaite). Deux manières de jouer qui semblent inexorablement destinées à s’affronter et qui avaient déjà créé bien des étincelles l’année dernière lors de la visite de l’Inter au Camp Nou en demi-finale de la Ligue des Champions.    

Mais en plus de la qualité collective, le Clásico peut se targuer d’être le match qui compte le plus de stars sur un terrain de foot: il y aura les deux derniers Ballons d’Or (et surement le prochain), 10 des 23 présélectionnés de la liste du Fifa Ballon d’Or de cette année, 10 joueurs qui ont participé à la finale de la Coupe du Monde (toute la Roja sauf Capdevila). Et surtout il y aura Cristiano Ronaldo et Lionel Messi et leurs stats démentielles (62 buts de Messi en 60 matchs et 51 en 54 matchs pour Ronaldo).

Mais au-delà de ces chiffres ahurissants, les deux joueurs sont surtout les vrais leaders de leurs équipes. Ronaldo avec son physique hors norme à la Robocop, son style de jeu direct (c’est lui qui a subi le plus de fautes en championnat, 34), sa vitesse et sa frappe de balle. Messi avec son agilité de Spiderman, sa fantastique conduite de balle, son coup d’œil privilégié (c’est l’un des trois meilleurs passeurs de la Liga) et sa compréhension des espaces. Le premier s’appuyant sur son infatigable esprit de compétition, son exubérance, sa passion du défi permanent ou ses polémiques espaldinhas et rabonas. Le second s’amusant avec ses amis blaugranas, courant dans tous les sens, driblant tout le monde sans sourciller.

Peut-on redonner un peu d’humanité et d’imperfection à un match qui ressemble au chapitre idéal du Guide pour Parfaits Footballeurs? Difficile… Casillas et Valdès sont les gardiens ayant encaissés le moins de buts en Liga (6 et 8, respectivement), la défense du Real est la meilleure de ces dernières années et Piqué-Puyol est la charnière centrale de l’équipe championne du Monde, le milieu de terrain est du même acabit.

Le perfectionnisme et l’exigence de Mourinho, le système de possession de balle si bien rodé par Guardiola font que le résultat parait indiscutable. Ce n’est pas un match de foot que l’on verra lundi soir, c’est la lutte entre deux machines ultrasophistiquées, l’affrontement de deux systèmes crées pour ne jamais se tromper, le face à face de deux sublimes pièces d’orfèvrerie footballistique. On en viendrait presque à regretter les bourdes, ratages, erreurs de positionnement et autres marquages laxistes qui font le piment du foot, même au plus haut niveau.

Car, dans ces conditions, que peut-on attendre? Une passe ratée de Xavi, une anticipation défectueuse de Carvalho, une mauvaise relance de Piqué, une boulette de Casillas? C’est très improbable (aux vues des matchs de cette saison). Certains diront que ce foot cérébral, intellectuel, cette partie d’échec grandeur nature, ce choc entre joueurs si exceptionnels est ennuyeux et terne. Et ce match en est l’exemple parfait: le foot dans toute son admirable, froide et implacable perfection, comme un jeu vidéo.

Un match à l’image de ce que veut la société contemporaine: toujours plus d’efficacité, plus de compétences, plus de performances et moins de faiblesses, de défauts ou de maladresses. L’ère du foot postmoderne où l’on demande aux joueurs d’allier précision, endurance, sacrifice et discipline pour en faire des machines aussi parfaites et complètes que possible. Mais le foot reste un jeu, une activité contingente, arbitraire et infondée qui, comme le disait Stefan Zweig à propos des échecs, ne consiste qu’«à faire avancer et reculer trente-deux pièces sur des carreaux noirs et blancs, engageant dans ce vas et vient toute la gloire de sa vie!»

Aurélien Le Genissel

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