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Wikileaks: les Etats-Unis ont empêché Israël d'attaquer l'Iran

Quand le roi Abdallah d'Arabie saoudite demande une frappe contre Téhéran et quand l'Autorité palestinienne refuse finalement de prendre le pouvoir à Gaza que lui propose les Israéliens avant l'offensive «plomb durci».

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Barack Obama a prévenu le gouvernement israélien que certaines informations contenues dans les 251.287 télégrammes diplomatiques du Département d’Etat et des ambassades américaines rendues publiques par Wikileaks risquaient de perturber les relations israélo-américaines. En fait, les informations en question sont plus embarrassantes pour les Etats-Unis que pour Iraël. 

Il y a bien sûr l'anecdotique. Nicolas Sarkozy est surnommé «l’empereur sans vêtement». Le président iranien Mahmoud Ahmadinejad est traité «d’Hitler» et le comportement du chef de l’Etat afghan, Hamid Karzai, est «dicté par la paranoïa». Pour ce qui est de la diffusion des documents diplomatiques adressés depuis l’ambassade américaine de Tel-Aviv à l'administration Obama, elle met en évidence les divergences dans la perception du problème iranien. Nos articles sur Slate.fr, fondés sur des informations confidentielles, avaient fait état des pressions qu’Israël maintenait sur les Etats-Unis pour les persuader de la nécessité d’une frappe préventive contre les installations nucléaires de Téhéran et des pressions américaines en retour pour empêcher ces frappe. Nous avions mis en avant les évaluations du ministre de la Défense Ehud Barak, faites en 2009, sur l’existence d’une fenêtre de tir dans les 18 mois ainsi que sa réflexion: «Le destin du monde repose sur l’arrêt du programme iranien

Les documents publiés révèlent la teneur du câble envoyé par l’Ambassade des Etats-Unis sur l’année 2010 qui est, selon elle, l’année critique pour faire face à la menace nucléaire de la République islamique. Une véritable leçon de science politique leur a été donné par Ehud Barak. Le ministre de la Défense a conseillé une attitude ferme à l’égard de la Corée du Nord car toute faiblesse face à Kim Jong-il sera considérée comme un encouragement par des Iraniens qui ne manqueront pas de considérer les américains des «tigres de papier», termes intégralement repris par les diplomates américains dans leur câble.

Le site WikiLeaks dévoile aussi l’intervention du général Amos Yadlin, chef des renseignements militaires, qui a prévenu les américains «qu’Israël ne peut sous-estimer l’Iran parce qu’il n'est pas question de subir une surprise égale à celle du 11 septembre 2001».  Il dévoile les techniques et l’armement américain que que voulait utiliser Israël lors de son intervention militaire. Tsahal avait songé à utiliser 24 bombes avec pénétrateur BLU-113 et 24 bombes dotées d'un pénétrateur BLU-109 à guidage laser GBU-109 pour causer des dégâts significatifs aux trois principaux centres nucléaires iraniens  Natanz, Arak et Ispahan. Le secrétaire d’Etat américain à la défense Robert Gates s’oppose, selon ces documents, à toute frappe israélienne qui n’aurait pour conséquence selon lui que de retarder le programme iranien de quelques mois. Israël a par ailleurs reçu une injonction de cesser «toute allégation selon laquelle le gouvernement américain aidait Israël à se préparer à une attaque contre l'Iran».

Les documents relatent les minutes de la réunion à Jérusalem, le 1er décembre 2009, entre Amos Gilad, directeur des affaires politico-militaires au ministère israélien de la défense, et Ellen Tauscher, sous-secrétaire d'Etat américaine qui précise la scène: «Gilad dit qu'il n'est pas certain que l'Iran ait décidé de fabriquer une arme nucléaire, mais que l'Iran est  déterminé à avoir l'option d'en construire une. La diplomatie du président Barak Obama avec l’Iran est une bonne idée mais il est bien clair que cela ne marchera pas».

Selon les documents WikiLeaks, l’ambassade de Tel-Aviv a aussi communiqué ses entretiens avec le chef du Mossad, Meir Dagan, le plus pessimiste des dirigeants israéliens sur le problème iranien mais qui acceptait malgré tout le principe de sanctions et d’opérations clandestines pour déstabiliser l’Iran. Dagan a déclaré qu'Israël et les Etats-Unis pourraient «changer le régime au pouvoir en Iran en suggérant l'exploitation des points faibles du pays tels que le chômage et les taux d'inflation élevés, ainsi que et l'opposition des citoyens iraniens à une implication croissante de leur gouvernement auprès du Hamas palestinien». Meir Dagan souligne à plusieurs reprises que l’Iran laisse croire à la possibilité de négociations pour gagner du temps afin d’obtenir, en 2010-2011, la capacité technologique de fabriquer une arme nucléaire.

Les documents font aussi état de l'attitude russe sur le dossier iranien qui, selon un télégramme américain daté de novembre 2009, représente un «mystère». Les Israéliens n’ont pourtant pas ménagé leurs efforts, grâce à Avigdor Lieberman, pour rallier la Russie à la diplomatie occidentale sur l'Iran. Les tractations viennent d’être mises à nu. Lors de son entretien avec Ellen Tauscher, Amos Gilad «a expliqué que Moscou avait demandé des livraisons de drones israéliens sophistiqués en échange de l'annulation de la vente des S-300 (missiles anti-aérien) à Téhéran». Le diplomate israélien avait ajouté que «les Russes reconnaissaient leur retard technologique sur les drones, et qu'ils sont prêts à payer un milliard de dollars pour la technologie israélienne sur ces appareils. Il a répété qu'Israël ne fournirait pas sa technologie la plus récente, expliquant qu'elle se retrouverait probablement entre les mains des Chinois».

Enfin, le site rapporte la teneur d’un câble de l'ancien ambassadeur saoudien aux Etats-Unis, Adel al-Jubeir, rappelant les «exhortations fréquentes du roi aux États-Unis pour attaquer l'Iran et mettre ainsi un terme à son programme d'armes nucléaires. Il vous demande  de couper la tête du serpent».

La «faiblesse» de l'Autorité palestinienne

La révélation de documents israélo-américains ne concerne pas uniquement l’Iran. L’ambassade américaine fait ainsi état de discussions entre Israël et l’Autorité palestinienne pour coordonner une action commune contre Gaza comme le souhaitait l’ancien homme fort de Gaza, Mohammed Dahlan, qui piaffe d’impatience pour en découdre avec le Hamas. Il est établi que ni l’Autorité palestinienne et ni l’Egypte n’ont finalement pas voulu se «mouiller» pour reprendre le contrôle de la bande de Gaza.

A à l’occasion d’une réunion en juin 2009 avec une délégation du Congrès américain, le ministre de la Défense Ehud Barak avait affirmé que le gouvernement israélien «avait consulté l'Egypte et le Fatah avant l'opération Plomb durci pour leur demander s'ils étaient prêts à assumer le contrôle de Gaza une fois le Hamas vaincu». Nous avions évoqué dans plusieurs articles la collusion entre Israël, l’Autorité palestinienne et l’Egypte pour une action commune contre le Hamas. Mais les documents publiés par WikiLeaks représentent les preuves tangibles d’un tel arrangement. Dans ce même document, Ehud Barak soulignait que «l'Autorité palestinienne était faible et manquait de confiance en elle».

De nouveaux documents vont évidemment faire surface qui laissent assez sereins les dirigeants israéliens. Ils estiment qu’ils ont toujours fait preuve de transparence quand il ne s’agissait pas de fuites volontaires. Israël considère même que Wikileaks met en évidence la position ambiguë et hésitante de Barack Obama par rapport aux agissements dangereux de la Corée du nord et de l’Iran. 

Jacques Benillouche

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