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Les nuits parisiennes en soins palliatifs

Les Etats généraux organisés par la mairie pour relancer la fête à Paris n'ont pas débouché sur grand chose.

Temps de lecture: 6 minutes

Pour certains, on s’y ennuie autant qu’à Vladivostock, pour les autres, Paris n’est que bruits et luxure, et il est impossible d’y dormir tranquillement. Le problème n’est pas récent et différentes pétitions, notamment pour protester contre la muséification de la ville, suivies d’une contre-attaque de la part de riverains aspirant au calme, avaient poussé la mairie de Paris à organiser des Etats généraux les 12 et 13 novembre. Au cours de ces deux jours d’ateliers, de débats et de réflexions sur l’état de la nuit dans la capitale, Bertrand Delanoë a mis en avant ce paradoxe des habitants «qui ne veulent plus de bruit à 20 heures en bas de chez eux quand ils ne sortent pas, et en même temps, le soir où ils veulent sortir, à 500 m de chez eux, ils veulent de l’animation jusqu’à 5 heures du matin».

Une des solutions souvent évoquées est de sortir de l’habituel binôme bars/boîtes et de réfléchir à des lieux alternatifs comme les parcs ou à une fermeture plus tardive des théâtres et des cinémas. Sur le papier, c’est tentant, voire innovant, notamment pour les espaces verts. Sauf que ces Etats généraux l’ont encore montré, les problèmes actuels et les contraintes futures sont plus nombreuses que les solutions.

La tentation verte

Prenons l’exemple des parcs, justement. Les avantages peuvent paraîtrent nombreux à première vue: pas de voisins, des espaces importants disponibles, l’air libre pour les fumeurs, un côté nature sympathique. A Paris, 116 jardins sur 480 sont déjà ouverts toute la nuit. Fabienne Giboudeaux, adjointe au maire de Paris chargée des Espaces verts, s’est même déclarée «favorable à d’autres ouvertures et à d’autres partenariats culturels, à plus d’évènements d’arrondissements». Un partenariat est notamment envisagé entre la Gaîté Lyrique, qui ouvrira au printemps 2011, et le square en face.

Mais les premiers inconvénients nous rappellent à l’ordre immédiatement. La mairie n’est pas contre l’ouverture d’espaces supplémentaires, mais ils doivent répondre à des contraintes précises. Elle a dressé la liste. Un parc ne pourrait être ouvert 24 heures sur 24 que si:

  • les jardins ne sont pas enclavés entre des bâtiments
  • ce sont des espaces utiles pour se déplacer, permettant d’aller d’un point à un autre
  • il n’y a pas d’œuvre d’art pouvant être dégradée
  • on prend en compte les questions de biodiversité et la protection des éco-systèmes fragiles
  • on pense aux concessionnaires alimentaires qui ont des locaux dans les jardins et qui peuvent avoir peur des dégradations
  • les maires d’arrondissement sont d’accord

Une fois tous ces critères remplis, qui éliminent d’office certains des parcs les plus prestigieux comme le Luxembourg ou Montsouris, il faut ensuite prendre en compte les moyens disponibles, notamment le coût du nettoyage. Et ce n’est sans doute pas la priorité du budget municipal. Olivier Flament, chef de projet de l’association pour la prévention du site de la Villette —parc fermé la nuit mais pouvant être traversé— rappelle aussi les questions de l’éclairage et de la sécurité.

Les autres problèmes:

  • L’obligation d’ouvrir les parcs toute la nuit, ou pas du tout

L’enjeu n’est pas forcément d’ouvrir des parcs toute la nuit, il pourrait être juste de décaler la fermeture de quelques heures, pour, les beaux jours, pouvoir en profiter plus longtemps. Une solution inenvisageable: «La plupart des employés municipaux gagnent 1.300 euros par mois et habitent à une ou deux heures de Paris, on ne peut pas leur demander de terminer à minuit pour qu’ensuite ils ne puissent pas rentrer chez eux». Donc, ce sera toute la nuit sinon rien.

  • Les voisins vont se plaindre des nouvelles nuisances

Ensuite, les ouvrir ne résout pas tout, il faut savoir ce qu’on en fait. L’exemple du restaurant le Rosa Bonheur dans les Buttes-Chaumont est ainsi marquant. Ouvert à l’origine jusqu’à deux heures du matin, il doit fermer à minuit suite à des plaintes des riverains. Ces derniers n’étaient pas gênés par le bruit dans le restaurant même mais par les nuisances provoquées par les clients à la sortie du parc! Du coup, il faut un vigile à l’entrée du parc, un autre pour éviter que les gens se baladent dans les Buttes-Chaumont, voire un troisième à l’entrée du Rosa Bonheur. Ca coûte cher (6.000 euros par mois par vigile) et ça gâche un peu la fête.

Entre l’entretien supplémentaire, les nuisances qui existent tout de même, les réticences des riverains, les questions de sécurité, sans oublier l’éclairage particulier à prévoir, on voit toutes les contraintes qui s‘accumulent.

Les squats

  • Les avantages: vastes lieux inoccupés, innovations artistiques, ambiance underground à peu de frais
  • Les inconvénients: complexité administrative, difficulté d’être aux normes

Pour les squats et les bâtiments inoccupés, le problème à Paris est habituel. C’est une succession d’occupations, de demandes d’accréditation, de décalages d’expulsion, puis finalement de fermetures quand le squat, malgré toute la bonne volonté culturelle possible, n’arrive pas à se mettre aux normes. Bien sûr, il y a des exceptions, comme celui de la rue de Rivoli, rouvert en grande pompe et devenu officiel. Parfois, cela dure trois ans, comme celui du cercle Pan!, rue du Faubourg-du-Temple, ou juste quelques mois comme le Gros Belec, rue du Chemin Vert. L’avantage de ces lieux est qu’ils proposent souvent des soirées alternatives. Problème, s’ils veulent être accepté par les autorités, ils doivent faire leurs preuves (montrer qu’ils ne vont pas déranger le voisinage, ce qui entraîne souvent des soirées avec la permission de minuit, très rarement jusqu’au bout de la nuit).

Outre la programmation culturelle, les squats ont souvent l’avantage de proposer des boissons (de la bière bon marché et du mauvais vin rouge) à des prix défiant toute concurrence, puisque soumis à aucune charge, à part la taxe solidaire pour payer les frais d’avocats à venir.

Création de lieux de vie nocturne sur les berges de Seine rive gauche

  • L’avantage: ca ne dérange personne

L’idée a été défendue par Bertrand Delanoë, arguant que créer des boîtes le long de ces berges ne dérangerait personne puisque, globalement, il n’y a que peu d’habitants, principalement des musées et des ministères, et que la principale nuisance résulte des voitures. Il y a déjà quelques péniches, souvent des boîtes.

  • L’inconvénient: justement, il n’y a personne

Créer des lieux de nuit là où il y a peu d’habitants n’est pas forcément si pertinent que ça. Surtout quand ce sont des boîtes, cela implique de nombreuses contraintes de déplacement, puisque le public jeune n’habite pas dans ces quartiers-là. Or, entre le coût et les difficultés de trouver un taxi, devoir attendre le métro, les contraintes des bus de nuit, il n’est pas certain que le public se rue en masse vers ce type de lieux. Sans oublier que les péniches sont souvent des endroits assez chers.

Mirage des autres lieux

«Pourquoi ne pas occuper les stades?», demanda un habitant du XIIIe dans la salle, qui se plaignait du désert culturel de son arrondissement. Stade, musée, gare, station de métro ou même université, ils sont nombreux les lieux qui vivent le jour et que l'on pourrait reconvertir la nuit. Mais cela ne faisait pas vraiment partie de la réflexion de ces Etats généraux, et cela implique tellement de contraintes... Et que faire de la gestion des apéros géants, potentiellement de formidables possibilités d'ébullitions festives? Ou des catacombes (pas celles ouvertes au public), où chaque soir descendent des dizaines de personnes et qui pourraient, qui sait, devenir un vrai lieu d’animation (en fait non, c’est impossible, je rêve, cela coûterait une fortune à mettre aux normes de sécurité)?

La grande contrainte du coût

En plus de la lassitude des lieux traditionnels, le frein pour une nuit plus active est sans conteste le prix de l’alcool —Bertrand Delanoë a répété plusieurs fois que ce sont surtout les plus âgés qui se plaignent de la mort de la nuit à Paris, appréciant la ritournelle du «c’était mieux avant», les jeunes jugeant que l’on peut encore s’y amuser; il a systématiquement oublié de préciser que les jeunes trouvent surtout la nuit beaucoup trop chère.

Déjà moins abordable que la plupart des capitales européennes avant minuit, Paris devient carrément prohibitive dans les lieux qui bougent encore en deuxième partie de soirée: tout le monde ne peut pas enchaîner les consommations des endroits les plus recherchés quand le prix moyen est autour de 10 euros. Or, qu'on le veuille ou non, boissons alcoolisées et autres substances sont des moteurs de la fête.

Bruno Julliard l’avait déjà expliqué lors des élections municipales en 2008, «Bertrand Delanoë ne peut pas baisser le prix de la bière». Devenu depuis adjoint au maire chargé de la Jeunesse, il l’a rappelé lors de ces Etats généraux: «Nous n’allons pas créer des boîtes de nuits alternatives avec de l’alcool pas cher, c’est aux propriétaires actuels de faire des efforts sur les tarifs».

Ils n’y ont pas vraiment intérêt. La plupart des lieux sympas qui ouvrent jouent sur l'annonce de prix bas: ils sont alors bondés, et ils augmentent ensuite très vite les prix pour revenir à ceux du marché, sans avoir perdu leur clientèle qui s’est habituée. Stratégie économique de base.

Sans surprise, on le voit avec la réflexion sur les nouveaux espaces, les Etats généraux n’ont pas débouché sur grand chose. Peut-être parce que, tout simplement, ce n’est pas le rôle d’une mairie d’organiser la nuit festive. Cette semaine, elle a contribué à l’organisation des Nuits capitales, plusieurs jours d’évènements un peu partout dans la ville, pour montrer que Paris s’amuse la nuit. Le blog 2H27 a jugé que la première soirée électro, sur une péniche justement, était un flop. Radio Nova a plutôt critiqué l’évènement, jugeant «qu’on n’aime pas bien que l’on nous dise où et quand faire la fête». La radio organisait du coup un Novaclub itinérant pour mettre un peu d’ambiance le 19 novembre. «Illégal» évidemment, mais définitivement plus excitant.

Quentin Girard

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