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Et si la Russie entrait dans l'Otan?

Il est temps de redéfinir les relations entre la Russie et les pays occidentaux. Obama a décidé de prendre un nouveau départ. Ce n'est pas suffisant. Les Russes hésitent. Les Européens sont divisés alors qu'ils ont un intérêt majeur à être au cœur de cette nouvelle donne.

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Le Président Medvedev participe au sommet Otan- Russie à Lisbonne des 19-20 novembre. Depuis la signature de l'Acte Fondateur Otan-Russie en mai 1997, de tels sommets ont déjà eu lieu. Ce qui est intéressant est que le président russe ait accepté de s'y rendre au moment même où l'Otan redéfinit son «Concept Stratégique» (le précédent avait été adopté au Sommet de Washington en avril 1999), c'est-à-dire précisément la nature de la menace et les moyens de se défendre.

La crise économique a produit ses effets

Après l'avoir nié, les dirigeants russes ont dû se rendre à l'évidence. La Russie a souffert de la crise: les réserves de change ont fondu; la récession a été une réalité (-8% du PIB en 2009). Ce qui a conduit à accélérer la prise de conscience de la nécessité d'une réforme urgente de l'ensemble du système russe. Le maître mot c'est «modernisation» qui se décline en deux volets:

  • attirer des investissements étrangers dans des secteurs stratégiques bien définis afin de rattraper le retard technologique russe et diversifier l'économie afin qu'elle ne soit plus l'otage du seul cours du pétrole, du gaz et des matières premières;
  • suivre une nouvelle politique étrangère, d'où, entre autres, la signature d'un nouveau Traité Start avec les Etats-Unis, une plus grande coopération sur le dossier iranien, la réaffirmation de la volonté d'entrer à l'OMC, les débuts d'une réconciliation spectaculaire avec la Pologne, la proposition d'un «Partenariat pour la Modernisation» avec l'Union européenne.

Un potentiel vrai changement

Si la Russie suit ces voies, il s'agirait d'un vrai changement par rapport aux vingt dernières années. En effet, dans les années 1990/2000, certains avaient été convaincus qu'il suffisait, pour transformer le système russe, d'introduire les principes de l'économie de marché et de déréguler. On sait ce qu'il est advenu: administrée brutalement au malade soviétique, la potion a créé plus d'oligarques que d'entrepreneurs. D'où, après 2000, avec l'arrivée de Poutine, un revirement stratégique: à l'intérieur, la «dé-privatisation» de l'Etat (expression utilisée par les hommes de Poutine) et, à l'extérieur, une politique étrangère visant à signaler haut et fort aux Occidentaux que la Russie avait été pendant trop longtemps la victime de l'Occident (notamment avec l'élargissement de l'Otan), que cette période était révolue et que l'heure du rétablissement du statut international de grande puissance de la Russie avait sonné. D'où la participation de la Russie au Groupe de Shanghai avec la Chine, d'où l'intervention militaire en Géorgie en 2008, les bras de fer avec l'Ukraine, etc.

Débat

Le débat n'est évidemment pas clos en Russie. D'un côté, il y a ceux qui sont hostiles à tout changement profond et qui veulent s'accrocher (ou revenir) à un système reposant sur les deux piliers que sont l'autoritarisme (politique et économique) à l'intérieur et le nationalisme antioccidental à l'extérieur. De l'autre ceux qui sont de plus en plus convaincus que si les dirigeants russes ne changent pas radicalement et rapidement les fondements du système, la Russie, compte tenu de ses handicaps (vieillissement, état sanitaire déplorable, faiblesse de l'appareil industriel et technologique sur le marché mondial, sans compter la montée en puissance vertigineuse de la Chine) risque de descendre définitivement en 2e division.

Ce débat, qui correspond en partie à la différence d'approche entre Poutine et Medvedev, renvoie à une question majeure: est-il possible de moderniser la Russie sans détruire le cœur du système russe, à savoir la concentration au sommet de l'Etat des pouvoirs politique, économique et financier, concentration qui empêche la Russie de créer de la richesse, d'innover et d'être compétitive sur le  marché mondial? Ce qui distingue fondamentalement la Russie des autres pays des «Bric», c'est que, chacun à sa manière, l'Inde, le Brésil et la Chine ont fait reposer leur succès sur la libération des énergies de millions d'entrepreneurs de la classe moyenne capables tout simplement de faire du commerce, d'innover, de prendre des responsabilités et d'être récompensés de leur travail. Autre différence, de taille d'ailleurs, les trois autres veulent modifier le statu quo dans le fonctionnement des instituions internationales alors que la Russie est très conservatrice, notamment pour ce qui est de l'élargissement du Conseil de Sécurité.

Pouvons-nous influer sur ces choix?

Eternelle question. L'enjeu est différent pour les Etats-Unis et les Européens. Dans l'immédiat, les Américains doivent maintenir le cap (positif) défini par Obama et éviter que le nouveau Congrès ne retombe dans une attitude passéiste (par exemple en refusant la ratification du nouveau Traité Start). Mais les Américains peuvent se contenter d'une politique faite d'une addition de relations plus ou moins bonnes dans tel ou tel secteur. D'une certaine façon, la fin de la menace soviétique et l'affaiblissement durable de la Russie permet aux Américains de se dispenser d'avoir une stratégie globale avec la Russie.

Pour l'Europe, c'est différent. L'Europe est le premier investisseur en Russie, son premier partenaire commercial. Les deux ensembles sont interdépendants notamment en matière d'énergie. La géographie, l'histoire, la culture nous lient. Qu'on le veuille ou non, l'Europe et la Russie (même si celle-ci a aussi évidemment une dimension asiatique) partagent un destin européen commun. Le tout est de savoir comment se définira le contenu de cette relation. Cela ne peut pas se faire  en défendant, politiquement et économiquement, des intérêts purement bilatéraux et  en menant des politiques nationalistes, ce qui permet à la Russie de diviser pour régner.

De ce point de vue, le Sommet de Deauville au début novembre entre Sarkozy, Medvedev et Merkel est un pas dans la bonne direction (c'est d'ailleurs là que Medvedev à pris la décision de se rendre au Sommet Otan-Russie de Lisbonne). Il faut continuer parce que l'enjeu est très important pour les Européens. Nous n'allons pas transformer la Russie de l'extérieur. Mais ce que les Européens feront ou ne feront pas jouera un rôle.

Dans l'immédiat,  une idée, pas si irréaliste qu'elle n'en a l'air: pourquoi la France et l'Allemagne ne proposeraient-elles pas de mettre à l'étude la possibilité  de faire entrer la Russie dans l'Otan? Puisque les pays de l'Otan déclarent que la Russie n'est plus une menace, que cette menace était la raison même de la création de l'Otan, qu'il existe un Conseil Otan-Russie et qu'on adopte un nouveau concept stratégique, la question se pose non?

G. Le Hardy

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