Culture

Affaire «Sale pute»: plaidoyer pour Orelsan

Défense d'Orelsan face à la polémique.

Temps de lecture: 4 minutes

Ces dernières semaines, tout allait plutôt bien pour Orelsan. Son premier album allait sortir, l'accueil critique était favorable et on le présentait déjà comme le Eminem français. Et voilà qu'un de ses clips intitulé «Sale Pute» et mis en ligne en 2007 ressurgit et crée la polémique. «Sale Pute» est le monologue d'un homme trompé qui énumère toutes les tortures qu'il aimerait faire subir à l'infidèle. Les paroles sont d'une telle violence que ces derniers jours, prendre la défense d'Orelsan, c'est à peu près équivalent à la traversée d'un champ truffé de mines anti-personnelles les yeux bandés. Soyons clairs, on m'envoie au casse-pipe.

Une défense foireuse

Etre l'avocat du diable, c'est une tâche ardue mais encore plus quand votre client fout consciencieusement en l'air toute possibilité de justifier ses actes en racontant un paquet d'âneries. Première ânerie, «il s'agit d'une seule chanson». Faux, avant «Sale Pute», le rappeur avait déjà mis en ligne le clip de «J'aime pas la Saint-Valentin» dont le degré de violence est le même. Qui plus est, Orelsan, et accessoirement sa maison de disques, ne cesse de proclamer qu'il ne faut pas dissocier la chanson «Sale Pute» et le clip et que dans le clip, on voit bien qu'il s'agit d'un personnage de fiction (preuve irréfutable: il est en costard) qui a été trompé par sa copine, «ça ne parle pas d'Orelsan». L'argument est un peu faible mais pourrait avoir prise sur ceux qui ne connaissent pas le sujet. Pour les autres, ça sent l'excuse bidon. Le clip de «J'aime pas la Saint-Valentin» commence par un générique de présentation des personnages et pour le personnage d'Orelsan, il y a écrit... Orelsan. Le recours au personnage de fiction n'est donc pas un argument satisfaisant. Le simple fait qu'il s'agisse des paroles d'une chanson, et pas de propos tenus en interview, aurait dû suffire de facto à faire un distinguo.

Accusation et sanction

De quoi accuse-t-on Orelsan? Rien de moins que d'incitation au meurtre. On frise le ridicule. Il suffit d'assister à un de ses concerts pour comprendre qu'il est impossible de prendre ces paroles au pied de la lettre. Ses shows ont clairement une dimension parodique, il va jusqu'à interrompre le concert pour faire une partie de console avec un membre du public. Sauf que justement, ce que ses accusateurs veulent c'est le faire interdire de live, en l'occurrence au Printemps de Bourges. D'autant plus contre-productif qu'Orelsan ne chante pas sur scène les titres incriminés. Ils ont été composés il y a plus de trois ans, ils ne figurent même pas sur l'album, précisément parce que le rappeur considère être passé à autre chose.

Le coup de pub

L'accusation la plus courante. Dès qu'il y a polémique, on soupçonne qu'il s'agit d'une stratégie pour faire parler. L'argument était valable en 2007. Et c'était d'ailleurs sûrement le but non avoué de ces deux clips, un moyen de faire scandale pour se faire connaître. Mais deux ans plus tard, Orelsan n'a plus besoin de ça. Commercialement, il ne vise pas le grand public et dans le milieu du rap, il est déjà connu, la sortie de son album ayant profité d'une excellente promo depuis plus de deux mois.

Peut-on lire Simone de Beauvoir en écoutant Orelsan?

Evidemment, à la première écoute, quelqu'un qui ne connaît pas le rappeur et/ou le rap aura l'impression de se retrouver face au fils spirituel de Josef Fritzl. Il trouvera que ça va trop loin. Mais Orelsan est au-delà du trop loin. La surenchère dans l'atrocité des paroles est telle qu'elle aurait dû suffire à marquer pour les auditeurs le second degré. C'est le principe de l'exagération ironique. Le vrai discours misogyne est beaucoup plus pernicieux et discret. Si une partie du rap des années 90 recommandait aux femmes de se transformer en chiennes, tout en leur reprochant cette attitude de pute, la surenchère d'insultes telles que l'ont pratiqué les rappeurs de TTC en 2004, avec leur chanson Girlfriend, a marqué une nouvelle ère. L'inventivité verbale qui mène à la disproportion des insultes crée l'effet inverse: elle anéantit tout discours sérieux ou moralisateur, elle vide les mots de leurs sens et par là même les dédramatise. Et c'est sans doute ce qui, dans le fond, gêne nombre de commentateurs. Les mots n'ont plus la même valeur qu'avant. Pour autant, ils n'ont pas moins de valeur. Mais les injures s'échangent beaucoup plus facilement du moment que la répartie est là. C'est le principe des batailles de vannes. Le discours d'Orelsan n'est pas moral, il est défoulement. Il enchaîne les horreurs au sujet des femmes, de la société, de sa vie, de la musique.

De quoi parle vraiment Orelsan?

Dans toutes ses chansons, Orelsan décrit la réalité de la majorité de la jeunesse française. Il n'est pas le porte-parole des «jeunes de banlieues». Il s'exprime depuis la classe moyenne et ce qu'il raconte c'est le désespoir quotidien d'une vie de merde dans un monde incompréhensible, une génération entre «CDD et MST». Cette réalité, on ne la trouve relayée nulle part ailleurs, la force d'Orelsan c'est d'avoir su retranscrire un «air du temps» bien particulier. C'est aussi pour cette raison que demander l'interdiction de ses concerts est la pire des initiatives. Orelsan n'est pas prescripteur. Il n'encourage pas à prendre les armes, pas plus qu'il n'appelle au meurtre des femmes. Il n'a pas un message à délivrer, il exprime juste une violence qui lui préexiste. Ce n'est pas l'œuvre qui crée la violence, elle ne fait que la mettre en scène, une nouvelle fois. La même accusation avait été portée contre Oliver Stone à la sortie de Tueurs Nés. Ce n'est pas en interdisant, en bannissant l'expression de cette violence qu'on l'éradiquera, ce serait confondre le symptôme et la cause.

Dans la chanson «Changement», on trouve ces paroles: «les vieux comprennent pas ce qu'il se passe dans la tête des jeunes, ils comprennent pas à quel point on est fêlés». C'est peut-être cette incompréhension, générationnelle mais également sociale, que reflète l'hallali contre le jeune rappeur.

Titiou Lecoq est journaliste indépendante et blogueuse sur Girls and Geeks.

Photo: site officiel

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