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Aung San Suu Kyi est un peu plus libre, mais la Birmanie est verrouillée

La prix Nobel de la paix 1991, icône de la liberté, ne peut rien contre la junte. Sa liberté est factice. Sa libération est une opération de communication.

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En entretenant le suspense jusqu’à la dernière minute, la junte birmane a fait une énorme publicité à l’évènement, lui assurant la «une» des médias internationaux. La frêle silhouette de la Lady au sourire si engageant allait-elle réapparaître au-dessus de la grille d’accès à la propriété décatie où elle est confinée, cette fois-ci depuis sept années, au cœur de Rangoon? Des centaines de gens se sont massés devant le barrage de barbelés le plus proche pour l’apercevoir à la tombée de la nuit, le 13 novembre, date à laquelle expire son assignation «légale» à résidence. Au QG délabré de sa Ligue nationale pour la démocratie (LND), dissoute dès septembre pour avoir décidé de boycotter le scrutin du 7 novembre, les fidèles ont à la hâte passé une couche de peinture dans l’espoir de l’accueillir. Résurrection?  

Aujourd’hui âgée de 65 ans, Aung San Suu Kyi est une icône de la liberté. Prix Nobel de la paix 1991, elle fait l’admiration pour sa ténacité, son endurance, ses sacrifices, sans parler de son charisme. Mais que peut-elle?  Sa liberté ne peut être que fausse. Le cadre dans lequel elle devrait évoluer est complètement verrouillé. Son parti, la LND n’a plus d’existence légale, sauf à tenter une reconversion en ONG. La nomenclature militaire tire toutes les ficelles. Et les affaires vont bon train.

Mme Suu Kyi a fait savoir, notamment par l’intermédiaire de son avocat Nyan Win, l’une des rares personnes autorisées à lui rendre visite de temps à autre, qu’elle campera sur ses positions: réconciliation et dialogue avec les militaires (ce dont le généralissime Than Shwe, le chef de la junte, ne veut pas entendre parler); dénonciation du scrutin; libération de tous les prisonniers politiques (plus de deux mille, selon les organisations humanitaires internationales); libertés et démocratie; enfin, refus d’abandonner la politique.

Ses deux premières sorties, dimanche 14 novembre, devraient la conduire à la pagode Shwedagon, site sacré du bouddhisme birman à Rangoon, et au QG de la LND. Après un temps d’observation, il lui faudra bien commencer par mettre son nez dans les problèmes de l’opposition: l’absence de ressources, sa relative impuissance, les désaccords entre ceux qui ont boycotté le scrutin et ceux qui y ont participé. Si son aura n’est guère en cause, sa marge de manœuvre est limitée. Le régime, toujours en embuscade, ne lui facilitera sûrement pas la tâche: la résidence surveillée est une épée de Damoclès sur sa tête (sans évoquer le risque d’une tentative d’assassinat).     

Depuis les manifestations pour la démocratie dont elle avait été l’héroïne et qui avaient été réprimées dans un bain de sang en 1989, elle a passé quinze ans en résidence surveillée, le plus souvent coupée du reste du monde. Le début de sa dernière incarcération remonte à 2003. Entre-temps, la caste des officiers a conforté ses positions: les généraux engrangent aujourd’hui les bénéfices d’investissements étrangers – Chine, Inde, Thaïlande – qui se sont récemment comptés en milliards de dollars.

Par le biais de «privatisations» sélectives, l’armée a redistribué des centaines d’entreprises publiques aux coquins qui la soutiennent ou en dépendent. Enfin, quel que soit le degré des fraudes et des manipulations, le «résultat» du scrutin du 7 novembre n’est pas négociable: les partis encadrés par des militaires fraîchement mis à la retraite emportent au moins 80% des sièges au Parlement, selon des décomptes partiels annoncés le 11 novembre. Les recours n’ont pratiquement aucune chance d’aboutir. L’opacité du vote et de son dépouillement donne la bonne mesure des pratiques du pouvoir.

A l’étranger, le scrutin a creusé la fracture entre ceux qui dénoncent le caractère «inacceptable» du «vol d’une élection»,- les termes de Barack Obama, le 8 novembre, devant le Parlement indien -, et ceux qui saluent «un pas en avant significatif»,- comme l’a déclaré le Vietnam, qui assure jusqu’à la fin de l’année la présidence de l’Association des nations de l’Asie du sud-est (Asean), dont la Birmanie est membre. La Chine a évoqué, de son côté,  une «étape critique» et, donc, «bienvenue», de «la transition vers un gouvernement élu».

La machine mise en branle par les militaires – avec, en guise de feuille de vigne, un gouvernement civil – va poursuivre son chemin. La seule réserve concerne les relations avec les minorités ethniques, qui représentent près de 40% de la population et dont les revendications d’autonomie ont été écartées. Certes, leurs milices ne font pas le poids face à une armée birmane qui revendique un demi million d’hommes et qui vient notamment d’acheter cinquante hélicoptères d’attaque russes. Si Than Shwe est tenté de les soumettre par la force, il doit tenir compte de l’opposition de Pékin. Les minorités les mieux aguerries se trouvent sur la frontière commune et la Chine a publiquement réclamé la stabilité dans cette région.

Les militaires ne font pas grand cas de l’opinion internationale. Ils savent que la libération de Mm Suu Kyi sera suivie d’autres demandes. Ils ont peut-être calculé, toutefois, que sa libération relèguera au second plan la mascarade électorale. Et qu’au fil des mois, des affaires juteuses pèseront de plus en plus lourd dans le débat. Et que Mme Suu Kyi est suffisamment affaiblie pour être tenue à distance de la vie publique.    

Jean-Claude Pomonti

Photo: Aung San Suu Kyi libérée après sept ans de résidence surveillée Soe Zeya Tun / Reuters

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