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Il est 12h30 sur le bateau à moteur de Christian Guarino, pêcheur aguerri, vingt-cinq ans de navigation sur les flots marseillais, spécialisé dans la pêche des pélamides, un genre de thon rose, plus fin que le rouge, la matière si recherchée des sushis –l’homme fourbu, les genoux endoloris, rentre au port. Parti à 4h du matin, il s’en retourne à pied chez lui retrouver sa femme et son fils. Sa journée est finie.
Aux quelques restaurants qui exigent du poisson frais, de la nuit, il a réservé une belle part de sa moisson –en tout, vingt-cinq kg de pélamides vendus 12 euros le kg.
«Nous sommes quelques survivants pêcheurs: au Vallon des Auffes, il y avait vingt-trois pêcheurs en 1980. Aujourd’hui, il en reste trois, confie-t-il, navré, après avoir informé son épouse que tout s’était bien passé. Ce n’est pas tellement le danger que je crains, la Méditerranée n’est pas la mer du Nord ou l’Atlantique, nous n’avons pas de ferrys, de cargos géants, ni d’invisibles sous-marins en exercice qui sont des obstacles permanents, non, c’est plutôt la nuit noire, un méchant coup de vent qui me jetterait à l’eau.»
La pêche en mer, c’est une science. Fils de pêcheur, Christian a fait dix années d’apprentissage comme ouvrier spécialisé dans les fonds marins. Ses filets, qu’il prend soin de disposer dans les eaux bleutées, font trois-cents mètres de long et trente de haut.
«C’est un métier physique, sportif, le sol bouge et ce sont les genoux qui prennent. L’humidité pendant cinq heures, ce sont des rhumatismes assurés. Je m’y suis habitué.»
«Il faut savoir ce que vous allez pêcher et quels types de poissons: le loup, le homard, le bar, le sar, le pélamide (très fragile), les rougets de roche, la liche ne s’ébattent pas dans les mêmes secteurs. La girelle est capturée par le seul girellier.»
Christian ne sort pas quand la mer est violente, démontée, comme disait Raymond Devos.
«Mon père me disait: dans la pêche, tu manges quand tu n’as pas faim, tu bois quand tu n’as pas soif. C’est une occupation irrégulière.»
Le marin en ciré rouge se désole de constater le déclin de la pêche en Méditerranée.
«Il y a du travail pour la jeune génération. Moi, je suis mon propre patron, je suis libre de mon temps et on me paie cash à la fin de la semaine, confie-t-il, content de son sort. Les restaurants que je fournis me sont fidèles, mais exigeants. Le chef nippon du Shabu-Shabu, le meilleur japonais de Marseille, veut trois poissons vivants par jour Gérald Passédat, qui a tant œuvré au Petit Nice pour mettre en valeur la variété et la qualité des poissons et crustacés, en veut bien plus. C’est un extraordinaire cuisinier de la mer qui réjouit des clients de toute l’Europe.»
Intègre et respectueux des saisons, Christian Guarino, fort en gueule mais chaleureux, se rebelle contre les mandataires du port qui ne veulent que du thon rouge destiné aux restaurateurs japonais: la raréfaction menace la pêche au thon, devenue industrielle.
«Ça me révolte de croiser ces livreurs de sushis en mobylette qui respirent la pollution: on ne balade pas le poisson frais, emballé dans du riz ou pas. Cela ne se fait pas.»
Rigoureux dans ses goûts, le pêcheur au grand cœur est dans l’incapacité de citer un bon restaurant de poissons à Marseille.
«L’autre jour, un ami a voulu m’inviter dans un établissement connu pour la soupe de poissons, raconte-t-il. Je lui ai dit: je ne fréquente pas ce genre de restaurants, viens chez ma mère, tu vas te régaler, sa bouille-abaisse est la fraîcheur même. Chaque poisson a son goût propre, inimitable.»
Il peste contre ces gens sans qualification qui s’achètent des restaurants comme ce coiffeur, propriétaire de deux enseignes.
«Ne croyez-vous pas qu’il faudrait un diplôme, il s’agit de nourrir le peuple, c’est sérieux, non?»
«Comment savoir si tel restaurant est bon, me lance-t-il tout de go. Si les chefs du salé et du sucré prennent leur repas avec le personnel, c’est que la soupe est bonne, les poissons non surgelés et le plat du jour goûteux.»
Nicolas de Rabaudy
Photo: Des filets, en Grèce à Karpathos / Miemo via Flickr CC License by
Les restaurants de Marseille et le Michelin, un seul trois étoiles et trois à une seule étoile
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Le Petit Nice. Les découvertes et
les plats créatifs d’un grand cuisinier de la mer, Gérald Passédat, un artiste
de la bouille-abaisse à sa façon. Un palazzo sur la mer, des prix sérieux mais
un indéniable génie culinaire, trois étoiles plus que méritées.
Anse de Maldormé, corniche J. F. Kennedy 13007 Marseille.
Tél. : 04 91 59 25 92.
Menu à 85 euros au déjeuner et 150, 170, 250 euros au dîner. Carte de 135 à 250 euros. Fermé dimanche et lundi. 13 chambres à partir de 180 euros. Voiturier. -
Une Table au Sud. La cuisine créative de Lionel Lévy, le Milkshake de
bouille-abaisse.
2 quai du Port.
Tél : 04 91 90 63 53.
Menu au déjeuner à 33 et 47 euros. Carte de 45 à 90 euros. Fermé dimanche et lundi. -
L’Épuisette. Face à la mer et au Château d’If, le répertoire
inventif de Guillaume Sourrieu et les saveurs du Sud.
156 vallon des Auffes.
Tél. : 04 91 52 17 82.
Menus de 60 à 145 euros. Carte de 90 à 120 euros. Fermé dimanche et lundi. -
Le Péron. Un bâtiment façon paquebot, une superbe
vue sur la mer. Carte très tendance qui plaît aux gourmets d’aujourd’hui.
56 promenade de la Corniche.
Tél. : 04 91 52 15 22.
Menus à 58 et 72 euros. Carte de 58 à 80 euros.