France

Pénurie de carburant: comment ouvrir les robinets

Bien que le gouvernement se veuille rassurant sur la pénurie de carburant, des professionnels ont réclamé le recours aux réserves stratégiques. Elles sont constituées pour répondre aux crises majeures.

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La France, c’est bien connu, ne produit pas de pétrole. Elle l’importe en totalité, alors qu’il représente aujourd’hui 35% de l’énergie qu’elle consomme (et presque 100% dans les transports). Sans pétrole, l’économie est boquée. Aussi, à l’instar des autres pays industriels et pour la sauvegarde de ses intérêts souverains, la France a instauré l’obligation de constituer des réserves stratégiques de produits pétroliers. Mais la réglementation est complexe. Avec la législation internationale qui a vu le jour sous l’égide de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), il ne suffit pas à un pays de décider de pomper dans ses réserves: il doit également recevoir le feu vert de l’AIE et, dans le cas d’un membre de l’Union européenne, de Bruxelles.

Trois mois de consommation

La France fut un des premiers pays à se doter, en 1925 après la première guerre mondiale, de stockages stratégiques. Elle s’est ensuite ralliée aux réglementations édictées au niveau de l’Union européenne en 1968 (à l’époque, la CEE), et de l'AIE en 1974. Globalement, ces stocks doivent pouvoir couvrir trois mois de consommation. Dans le détail, l’UE impose 90 jours de consommation intérieure et l’AIE 90 jours d’importation nette. Ce qui, dans le cas de la France, revient à peu près au même.

Mais lorsqu’on entre dans la technique du stockage en fonction des produits, la réglementation est beaucoup plus complexe.

Des stocks qui impliquent tous les opérateurs

Une loi de 1992 fait porter l’obligation de stockage sur tout opérateur agréé qui perçoit des taxes intérieures de consommation ou approvisionne les avions. Chaque opérateur doit prévoir dans son stock stratégique un volume correspondant à 27% de ses ventes, la référence pour la période actuelle étant l’année 2008, précise le ministère de l’Energie. L’opérateur en gère lui-même une partie, mais doit en confier 56% ou 90%, selon son choix, à une structure ad hoc: le Comité professionnel des stocks stratégiques pétroliers (CPSSP), qui en délègue lui-même la gestion sur le terrain, dans des centres spécifiques de stockage, à la Société anonyme de gestion des stocks de sécurité (Sagess). Actuellement, sur les quelque 17 millions de tonnes de produits pétroliers qui composent les stockages stratégiques, la Sagess en gère directement environ 12,7 millions de tonnes.

Plus de 17 millions de tonnes en réserve

En réalité, les stocks français se situent sensiblement au-dessus du niveau obligatoire, à 98 jours de consommation. L’explication de ce différentiel provient de la baisse de consommation constatée en 2009 et 2010 par rapport à l’année de référence 2008, de 83 millions de tonnes à 72 millions de tonnes l’an dernier, précise l’Union française de industries du pétrole (UFIP).  Encore faut-il distinguer une évolution dans les produits importés: baisse de 12 millions de tonnes des importations de pétrole brut en 2009, hausse de 4 millions de tonnes des produits raffinés.

Cette nouvelle répartition a une incidence dans le stockage stratégique, qui doit être composé à 40% de produits bruts et 60% de produits raffinés. Elle impacte donc les volumes stockés en fonction de leur catégorie, au nombre de quatre: on compte aujourd’hui l’équivalent de 2,4 millions de tonnes d’essence, 12,6 millions de tonnes de gazole et de fuel (qui sont le même produit au raffinage), 1,7 million de tonnes de carburéacteur pour les avions, et 682.000 tonnes de fioul lourd. Soit au total 17,4 millions de tonnes de réserves stratégiques.

213 centres de stockage en France

Actuellement, il existe en France 213 centres de stockage, pour une capacité totale de 11,8 millions de m3. Et, dans le cadre d’accords bilatéraux, la France autorise les opérateurs pétroliers à contracter des mises à disposition de produits pétroliers (MAD) à l'étranger. La Sagess, pour sa part, détient environ le quart de ses stocks en raffineries, et plus d’un tiers à Manosque.  Les centres de stockage sont répartis sur tout le territoire pour que chaque région puisse faire face à une situation de rupture des approvisionnements. «L’objectif fixé au CSSP est de disposer de 10 jours de supercarburants et de 15 jours en gazole et fioul domestique par région administrative», précise le ministère de l’Ecologie et de l’Energie. Les stocks font l’objet de contrôles permanents et, en cas de manquement d’un opérateur, le montant de l’amende représente environ 50 fois l’économie réalisée par l’insuffisance du volume stocké.

Plusieurs niveaux de réserves

Il existe donc  plusieurs niveaux de réserves, entre celles qui sont alimentées par les distributeurs et les raffineurs dans leurs dépôts, et celles gérées par un comité professionnel dans des centres spécialement prévus à cet effet et répartis sur l’ensemble du territoire.

Le premier niveau est le stock de réserve des distributeurs afin d’alimenter les stations service lorsque leurs cuves sont à sec et qu’elles ne peuvent être réapprovisionnées normalement. C’est la situation à laquelle les automobilistes français sont confrontés aujourd’hui. Ainsi, dès la fin de la semaine dernière, les professionnels de la route et les distributeurs de carburants ont réclamé le déblocage de ces réserves stratégiques. Non pas à cause d’un risque de crise internationale qui mettrait les approvisionnements en péril, mais au nom d’une «solidarité nationale» pour empêcher l’arrêt de l’activité dans des secteurs entiers de l’économie. Au-delà, le dispositif à mettre en œuvre est plus lourd. Mais dans tous les cas, les stocks stratégiques en question sont destinés à des utilisations civiles, et sont distincts de stocks militaires gérés de son côté par l’armée.

Gilles Bridier

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