Monde

En Chine, une solidarité vertueuse contre la censure

Journalistes, avocats et blogueurs, main dans la main, obligent régulièrement les autorités locales ou nationales à plier sous le poids de la mobilisation.

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Le Comité norvégien ne s'est pas trompé en accordant le prix Nobel de la paix 2010 à l'intellectuel Liu Xiaobo. La Chine est à un moment crucial de son histoire en ce qui concerne la liberté d'expression. Les médias et Internet ont connu un développement exceptionnel, mais le gouvernement, ou plus particulièrement le Parti communiste chinois, refuse aux journalistes et aux internautes la liberté d'enquêter et de s'exprimer sans contrainte.

Sur le terrain, nous recensons de plus en plus régulièrement des dénouements heureux dans des affaires de journalistes arrêtés. Une solidarité vertueuse s'est installée entre journalistes, avocats et blogueurs qui obligent régulièrement les autorités locales ou nationales à plier sous le poids de la mobilisation.

«J'ai publié la vérité», a affirmé Qiu Ziming, reporter de The Economic Observer, fin juillet. Les autorités du Zhejiang venaient d'abandonner leurs poursuites contre lui. Celui-ci avait été inculpé de diffamation pour avoir dénoncé les mauvaises pratiques d'un important producteur de batteries électriques. Le journaliste avait alors été contraint de se cacher, tout en clamant son innocence sur son blog et exigé des excuses de la part de la police locale. Il a été soutenu par un grand nombre d'internautes, devenant un véritable héros du Net chinois.

Opérations «coups de poing»

Quelques semaines plus tard, le journaliste Xie Chaoping est libéré sous caution après avoir été arrêté par la police du Shaanxi qui lui reprochait ses enquêtes et la publication d'un ouvrage sur le barrage de Sanmenxia. «Je ne regretterai jamais l'écriture de ce livre», revendique le journaliste dont la détention avait provoqué une campagne de mobilisation d'écrivains, caricaturistes et blogueurs.

C'est au même moment que Luo Changping, rédacteur en chef adjoint du magazine Caijing, a obtenu des excuses du chef de la police de Pékin. Il avait été arrêté par la police de la capitale pour son enquête «Les compagnies de sécurité se voient confier la tâche spéciale d'intercepter les pétitionnaires». Journalistes et blogueurs avaient pétitionné ensemble en faveur de sa libération.

Certains journalistes chinois tentent maintenant des opérations «coups de poing» dignes de celles de Reporters sans frontières. En août dernier, une dizaine de confrères de Yichun, au nord-est du pays, ont déployé la banderole «La police n'a pas le droit d'arrêter les journalistes sans raison» devant le bureau local du Département de la propagande. Quatre de leurs collègues étaient alors détenus par les autorités pour avoir couvert le crash d'un avion. Après que la photo de cette manifestation a fait le tour du Net, les autorités ont libéré les journalistes.

Les internautes multiplient également les critiques ouvertes à destination des plus hautes autorités. Ainsi, lorsque le gouvernement a lancé un site Internet leur permettant de s'adresser directement au chef de l'Etat, des commentaires sont apparus: «Quand les prix vont-il baisser? La seule chose qui ne monte pas, ce sont les salaires!» ou «Camarade Hu, n'est-il pas intéressant de constater que j'ai laissé tant de messages et que tous ont été harmonisés? Ne pouvez-vous donc pas nous laisser dire la vérité?»

Les risques pour les journalistes et blogueurs sont toujours bien réels. Le témoignage de la jeune blogueuse pékinoise Liu Shasha, recueilli par le journal Libération, est effrayant. «Tu seras punie par où tu as péché», a affirmé un policier de la brigade de protection de la sécurité intérieure, la «Guobao», à la jeune femme, détenue en juillet dernier à Pékin. Voilà ce qu’elle raconte:

«Ils m’ont mise sur le dos et ont commencé à verser de l’eau sur les sacs (placés sur ma tête). Je ne pouvais plus respirer, c’était affreux. Ils les ont ensuite soulevés et ont placé sous mon nez un tissu imbibé d’huile pimentée, puis ils ont recommencé à verser de l’eau pour m’asphyxier. Je n’en pouvais plus, alors j’ai dit “au rapport”. Ils m’ont assise sur une chaise, mains et pieds liés.»
«Qui as-tu contacté aujourd’hui?»

«J’ai dit que j’allais porter plainte contre eux, alors ils m’ont jetée à terre, cette fois-ci sur des bâtons pour rendre le traitement plus douloureux, et ils ont repris la séance de supplice de l’eau.»

Le tort de la jeune femme ? Avoir appelé sur le réseau Twitter, pourtant inaccessible en Chine, à déposer des couronnes mortuaires devant l’immeuble du moteur de recherche chinois Sohu, responsable de la suppression de centaines de blogs de militants de la liberté d'expression.

«Celui qui n'a pas gravi la Grande muraille, n'est pas un brave» (proverbe chinois)

La Grande muraille électronique se dresse tout autour de la Chine, toujours plus haute et toujours plus efficace. Le gouvernement maintient son contrôle sur la presse écrite. Les gouverneurs ou les dirigeants du parti unique continuent à ordonner l'arrestation de journalistes, de blogueurs et d'intellectuels. La liberté de la presse est piétinée par les directives du Département central de la propagande et plusieurs responsables locaux.

Mais, chaque jour, la persévérance et le courage de journalistes, internautes, blogueurs, artistes, avocats et intellectuels permettent d'ouvrir des brèches dans la censure. Cette lutte est certes une bataille menée par les Chinois, mais elle requiert le soutien nécessaire de la blogosphère mondiale et des entreprises des secteurs de l'information. Ce combat pour la liberté d'expression dans la Chine d'aujourd'hui, nouvelle grande puissance internationale, doit pouvoir compter sur des gestes forts de solidarité. Le prix Nobel de la paix attribué à Liu Xiaobo donne une formidable énergie pour cette marche encore longue.

Vincent Brossel

Chercheur Asie

Résistance

Depuis plusieurs années, les internautes chinois se sont attaqués avec humour et créativité aux censeurs du Net. La résistance contre la censure est représentée par une créature mythique appelée le Caonima (cheval fait d'herbe et de boue), une version chinoise de «Nique ta mère». Les internautes ridiculisent la censure du Parti communiste en créant de faux reportages animaliers et des chansons sur le Caonima :

En tout, les blogueurs et les internautes chinois ont créé une dizaine de créatures représentant les censeurs du Net. Le dernier en date, le lézard Yake est connu pour avoir eu un passé glorieux en Union soviétique, où l'espèce serait en train de s'éteindre, et il se développerait dans des pays tels que Cuba, la Corée du Nord ou la Chine. Le lézard Yakexi, à la langue fourchue, se nourrit de «crabes des rivières», en chinois «hexie», qui se prononce comme le mot «harmoniser» (leitmotiv du président Hu Jintao), euphémisme utilisé par le gouvernement pour désigner la censure, et repris avec ironie par les internautes.

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