Politique / France

Le gouvernement a une peur jeune

La jeunesse n'a pas besoin d'être manipulée pour descendre dans la rue. L'étonnant, c'est qu'elle ne l'ait pas fait plus tôt.

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Contrairement à ce que dit la majorité, les jeunes ne sont pas instrumentalisés. Et si un parti ou un syndicat voulait instrumentaliser les jeunes, il prendrait un gros risque. L’extrême gauche veut toujours faire descendre les jeunes dans la rue, mais en réalité, ils n’y descendent que s’ils le veulent eux. Autrement dit, pour les instrumentaliser, il faut qu’ils soient consentants… Ce qui ne rentre plus tout à fait dans la définition de l’instrumentalisation. En revanche, rien de tel pour les rendre consentants que de leur dire qu’ils sont instrumentalisés!

C’est donc une dialectique délicate à manier de la part du gouvernement. Comme l’extrême gauche veut en permanence que les jeunes descendent dans la rue, le jour où ils y descendent, on dit: «C’est l’extrême gauche qui est derrière.» On connaît la formule: quand on ne maîtrise pas les événements, feignez d’en être les organisateurs. Là, c’est plutôt: «Quand vous subissez les événements, feignez de croire que ce sont vos ennemis les organisateurs.» En fait, personne ne maîtrise la jeunesse en France, les organisations de jeunesse sont squelettiques et quand la jeunesse décide de bloquer les lycées, ça ne peut marcher que si de nombreux lycéens, loin de toute organisation, le décident.

Cela ne veut pas dire que les jeunes ne sont pas manipulables. Mais en revanche, ils sont difficilement contrôlables. François Mitterrand en 1983 avait largement utilisé et favorisé l’émergence de SOS racisme et d’un mouvement de la jeunesse sur un thème fédérateur à gauche au moment où l’on devait annoncer la rigueur. Il y avait donc un aspect manipulateur, mais si SOS racisme a rencontré tant de succès, c’est aussi et avant tout parce que la jeunesse ressentait réellement ce besoin d’expression antiraciste.

Les raisons d'une révolte

Aujourd’hui, hormis les retraites, il y a de nombreuses raisons qui permettraient de comprendre que la jeunesse soit révoltée. L’étonnant, c’est d’ailleurs que dans un pays éruptif, à la tradition insurrectionnelle comme la France, la jeunesse, précarisée, régulièrement décrite comme un problème plutôt que comme une solution, ne se soit pas révoltée plus tôt. La grande frayeur que provoque, en haut lieu, l’idée d’une révolte de la jeunesse est justifiée. Si les lycéens et les étudiants ou les jeunes travailleurs sortaient de leurs gonds, ils seraient sans doute soutenus par les plus anciens. Les plus anciens, leur parents, qui ont profité de la planète, de la croissance, du plein emploi et de promesses d’avenir meilleur, ne pourront pas en vouloir à la jeunesse et sont inquiets pour elle.

Pour l’instant, l’implication de la jeunesse contre la réforme des retraites semble dépasser ce thème, bien sûr, mais reste du domaine de l’implication d’une catégorie sociale qui se sent fragile plutôt que d’une génération qui revendique un autre monde. D’ailleurs, leurs porte-parole s’expriment souvent comme de mini-syndicalistes, plus que comme de nouveaux Cohn-Bendit. La participation de la jeunesse à ce mouvement est le cauchemar du Président parce que, s’il peut y avoir un certain bénéfice politique à tirer d’avoir su affronter une puissante grogne sociale classique, il y a tout à perdre à voir la jeunesse dans la rue. Ceux qui, dans l’entourage de Nicolas Sarkozy évoquent déjà, pour se rassurer, le souvenir de la chienlit de mai 1968, suivie du réflexe conservateur de juin 1968 sont anachroniques. En 1968, la jeunesse s’embêtait dans une France fermée mais prospère. Aujourd’hui, c’est l’inverse.

Thomas Legrand

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