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La crise a enfanté un nouvel ordre mondial

La crise économique et financière a redessiné les équilibres entre puissances avec comme principale conséquence l’aspiration hégémonique de la Chine.

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A l’occasion d’un colloque début octobre à Athènes, Romano Prodi, ancien président de la Commission européenne et, par deux fois, ancien président du gouvernement italien, a brossé un vaste panorama géostratégique. Il a évoqué les quatre conséquences les plus visibles  dans l’ordre géopolitique de la crise économique et financière actuelle:

1     - La perte, par les Etats-Unis, de leur statut de puissance responsable de la stabilité économique mondiale.

2     - La mise en lumière cruelle des faiblesses structurelles de l’Europe; à commencer par l’absence, dans la zone euro, d’un gouvernement économique ou, au moins, d’une harmonisation fiscale et budgétaire  parmi les membres de l’«Euroland». Plus grave sans doute, le reflux qui s’en est suivi dans les opinions publiques des pays membres de l’idéal européen.

3     - L’accélération du développement des économies émergentes, lesquelles deviennent de plus en plus des puissances à part entière. De ce point de vue, on avait coutume d’évoquer les «BRIC» (Brésil, Russie, Inde, Chine), alors qu’il faudrait plutôt désormais mentionner les «BIC» (Brésil, Inde, Chine), la Russie étant un cas à part et ressemblant de plus en plus à un émirat du Golfe, produisant du gaz et du pétrole.

4     - La réallocation  du partage du pouvoir au niveau planétaire ou, si l’on préfère, son rééquilibrage dans un monde devenu définitivement multipolaire (constat qui nous ramène au point 1).

L’évolution la plus importante est celle qui nous a conduit du G8 au G20, qui fait toute leur place aux BIC; et à l’intérieur duquel on voit poindre un G2, un duo entre la puissance hégémonique d’hier, les Etats-Unis, et celle qui aspire à le devenir demain, la Chine. C’est précisément autour de la Chine, de son évolution et son aspiration que Romano Prodi a choisi de concentrer son propos. Il enseigne désormais à l’université de Shanghai, ce qui lui donne la possibilité d’observer constamment cette évolution. Pour Romano Prodi, l’affirmation de la Chine est la question géostratégique première, dans l’univers dans lequel nous sommes. Il a ainsi rappelé que pour la première fois dans l’histoire, une puissance était capable d’exporter ses produits de par le monde, mais aussi ses capitaux, ses cadres et ses technologies. 

Pour preuve, par exemple les 2.000 milliards de dollars de réserve de la Banque Centrale Chinoise, les investissements en capitaux, en hommes et en technologies de la Chine en Afrique, qui s’apparente presque à un quadrillage de ce continent. Ou, plus récemment, événement de nature à frapper les esprits en Europe, la demande par l’Etat de Californie de trains à grande vitesse chinois, à peine apparus sur le marché, alors qu’auparavant seuls les Français, les Allemands et les Japonais étaient capables de mettre en avant et de se disputer ces moyens de transport à haute valeur technologique.

Cet éclairage était particulièrement intéressant, au lendemain d’un sommet qui, à Bruxelles, avait réuni l’Union européenne et la Chine, et qui a permis d’illustrer le poids grandissant du gouvernement de Pékin. Dans le cours actuel de la crise, la perspective la plus menaçante est celle de voir les mécanismes de négociation permanents, mis en place au sein du G20, céder le pas devant la tentation de la confrontation. C’est Dominique Strauss-Kahn, le directeur général du FMI, et beaucoup d’autres experts avec lui qui craignent le déclenchement d’une guerre des changes.

Le yuan est jugé par le reste du monde sous-évalué, le dollar est furieusement poussé à la baisse par les autorités américaines, si bien que Japonais et Brésiliens envisagent des rétorsions. Scénario qui serait évidemment catastrophique. A Bruxelles, les Européens ont tenté de convaincre Mr Wen Jiabao, le premier ministre chinois, d’accepter que le yuan soit progressivement réévalué, de sorte que les pays européens et d’autres puissent, à leur tour, pénétrer l’immense marché chinois. «Ne faites pas pression sur nous»: tel a été le cri du cœur de Mr Wen Jiabao, qui a expliqué que la Chine ferait mouvement, mais à son rythme. En d’autres termes, si Américains et Européens continuent à faire pression, la Chine vraisemblablement ralentira, voire évitera, tout mouvement. Ce qui a fait dire à Dominique Strauss-Kahn, s’agissant de la Chine, que lorsque l’on veut faire partie, comme il est normal, des pays qui décident, et qui influencent le reste du monde, il faut accepter de prendre sa part de responsabilité.

L’épisode actuel illustre parfaitement la nécessité absolue de faire toute sa place à la Chine, notamment à la table du G20, et la difficulté, presque aussi absolue, qu’il y a à l’entrainer dans des processus de partage de la croissance et des profits. Romano Prodi s’est dit  confiant à terme car, selon lui, l’intérêt de la Chine est de participer, et non pas de s’isoler. Au passage, il s’est félicité du récent accord entre la Grèce et la Chine, celle-ci promettant d’acheter des bons du trésor émis par la Grèce et obtenant, en retour à travers le port du Pirée, une porte d’entrée essentielle vers l’Union européenne.

Jean-Marie Colombani

Photo: Une employée de banque compte une liasse de yuans. Stringer Shanghai / Reuters

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