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En sautant d’une page à l’autre de L’Equipe, le lecteur peut plonger brutalement dans un abîme de perplexité et sombrer dans une petite déprime passagère. C’était le cas, mercredi 6 octobre, en découvrant les déclarations de Yoann Gourcuff, à la veille de France-Roumanie et de France-Luxembourg, et de Richard Gasquet, alors engagé au tournoi de Tokyo. Gourcuff et Gasquet, nés tous les deux en 1986.
Alors qu’il faisait la Une du quotidien sportif dont la manchette était «Que faire de Gourcuff?», le joueur-vedette de l’Olympique Lyonnais était au cœur de toutes les interrogations au moment où il réintégrait le groupe des Bleus après la Coupe du Monde que l’on sait, au cours de laquelle il aurait été la cible de quelques «caïds» de l’équipe (ce qu’il a démenti).
Capitanat
L’Equipe rapportait ses propos tenus au cours d’une conférence de presse à Clairefontaine où la question suivante lui avait été posée: «Aimeriez-vous enfiler le brassard de capitaine?» Réponse, presque effarée:
«Capitaine? Ce n’est pas dans mon caractère, ce n’est pas mon truc. Ce n’est pas du tout ce que je recherche. Je ne pense pas être fait pour ça. Je ne l’ai jamais été. On ne me l’a jamais demandé. L’important pour moi, c’est de prendre du plaisir sur le terrain avec les autres.»
Devenir capitaine à 24 ans est évidemment une gageure et les réticences de Gourcuff, «l’introverti» comme le désigne Laurent Blanc qui veut le laisser mûrir, sont compréhensibles, sauf que l’on aurait souhaité entendre dans sa bouche un «Oui, pourquoi pas un jour, j’en ai très envie, mais pas tout de suite.»
Quelques pages plus loin, donc, Richard Gasquet était interrogé sur ses chances de faire partie de l’équipe de France de coupe Davis qui disputera la finale contre la Serbie, début décembre à Belgrade. A combien les évaluait-il?
«Dix pour cent. Face à l’Argentine (en demi-finales), je suis cinquième homme alors que ni Jo (Tsonga), ni Bennet (Benneteau) ne sont là. Pour le moment, je ne suis pas dans les plans. C’est la loi du sport.»
A la place de Guy Forget, capitaine probablement médusé au regard de ces propos «ambitieux», on aurait envie de réduire les chances de Gasquet à zéro tant il paraît avoir un couteau en plastique entre les dents. Dix pour cent? Barré par Julien Benneteau, qui a tellement moins de talent de lui, et qui, de surcroît, a un poignet blessé ? La loi du sport quand il reste deux mois avant l’échéance? C’est donc ça la mobilisation générale d’un joueur qui a grandi en se repassant et en usant jusqu’à la corde la bande de la finale de la coupe Davis entre la France et les Etats-Unis à Lyon en 1991 et qui pourrait faire de cette finale l’un des moments inoubliables de sa carrière?
Refus des responsabilités
Après ces lectures, on se dit, Yoann Gourcuff et Richard Gasquet, même (absence d’) ambition. Repoussons, si possible, nos responsabilités de joueurs très talentueux. Noyons-nous dans la masse (presque) invisible plutôt que d’être ce que nous devrions être en raison de nos dons exceptionnels: c’est-à-dire des figures de proue et donc, par extension, des leaders même si l’un et l’autre ont des personnalités réfractaires à ce statut.
Au cours de la dernière Coupe du Monde, Vincent Duluc, spécialiste n°1 du football à l’Equipe, était revenu en ces termes sur le «cas Gourcuff» et son effacement:
«Dans l’évolution de sa carrière internationale, on voit bien ce qui lui a manqué. Platini était un chef dès sa première sélection. Zidane était le même qu’à sa retraite, un leader de jeu régnant par son charisme plus que par ses mots. Mais un gros caractère, toujours. (…) Quand Anelka décide de ne pas suivre ses trois premiers ballons en profondeur contre l’Espagne (0-2, le 3 mars), Gourcuff renonce et lui donne dans les pieds le quatrième, plutôt que d’imposer sa vision. Le monde des Bleus est un monde cruel et Gourcuff est encore gentil. Trop?»
Alors ne soyons pas très « gentils » avec eux. A 24 ans, Gourcuff et Gasquet ont encore quelques années devant eux pour faire mûrir leur talent, mais le temps, et les trains, passent. Leurs déclarations sont d’autant plus décevantes que leurs entourages respectifs et le public ont parfois fait incomber aux médias la responsabilité de leurs retards à l’allumage. Trop de pression sur leurs jeunes et frêles épaules. Les journalistes leur en demanderaient trop.
Richard Gasquet a été mis en couverture de Tennis Magazine de l’âge de 9 ans et je suis bien placé pour le savoir en tant que membre de cette rédaction à ce moment-là. En 2002, à 15 ans, lorsque Gasquet a réussi son premier grand coup chez les professionnels en dominant le redoutable Argentin Franco Squillari à Monte-Carlo, il n’y avait personne pour stigmatiser cette couverture. En 2005, encore moins, lorsqu’il domina, à 18 ans, Roger Federer sur la même terre battue monégasque. Depuis, tandis que la carrière de Gasquet s’enlise dans la banalité, les choses ont changé. Il ne se passe pas une année sans que revienne l’antienne de ce « pauvre petit surmédiatisé au plus jeune âge et à qui l’on a fait supporter un poids trop lourd, celles de nos attentes démesurées ». Imposture.
A quatre ans, la joueuse américaine Tracy Austin était à la Une du mensuel World Tennis et cela ne l’a pas empêchée de devenir n°1 mondiale. Car ne nous trompons pas: à 9 ans, Gasquet «explosait» tous les records en matière de précocité. Et pour l’avoir vu de mes yeux vus, je peux affirmer que c’était un spectacle proprement sidérant.
Mental
Gasquet n’a perdu aucun de ses dons, mais il ne les a pas suffisamment travaillés ou polis. «C’est mental», nous répondront certains, ravis de nous servir cette éternelle tarte à la crème du sport français qui ne saurait pas gagner (tu parles !). Ne serait-ce tout simplement pas une question d’éducation, nous suggère Toni Nadal, l’oncle et l’entraîneur de Rafael Nadal que Richard Gasquet dominait à l’adolescence? Il l’affirme dans le dernier Tennis Magazine:
«C’est beaucoup plus facile de gagner Roland-Garros si vous avez une bonne éducation. Cela veut dire que vous avez une discipline, que vous savez écouter et accepter vos erreurs.»
Gasquet et Gourcuff sont loin d’avoir des trajectoires rigoureusement parallèles, mais ils peuvent mieux faire chacun pour peu qu’ils en aient envie et pour peu qu’ils ne se contentent pas d’être ce qu’il leur plaît d’être. Zinedine Zidane était (et est toujours) un champion très effacé, mais il a récolté 14 cartons rouges dans sa carrière. Parfois, il jouait (trop) dur parce qu’il osait se mettre en danger. Il refusait de se laisser marcher sur les pieds. Gourcuff a une forme de hargne, mais elle mérite d’être mieux exploitée.
Pour rire et parce que c’est instructif, on ne saurait trop conseiller à nos deux espoirs d’aller faire un tour sur le fil Twitter de Roger Rasheed, l’entraîneur australien de Gaël Monfils qui est un motivateur hors pair et nous distille ses commandements presque chaque jour. «You are presented a CHALLENGE, do you want to take it or are you the personality that walks away for fear of failure? DONT WALK AWAY», nous lançait-il le 6 octobre. A vos ordres, Roger! Roger Rasheed qui aurait pu être le merveilleux préparateur mental que Laurent Blanc recherche pour requinquer ses Bleus mous du genou.
Yannick Cochennec
Photo: Yoann Gourcuff, REUTERS/Gonzalo Fuentes