France

La politique du point Godwin

Les hommes politiques français, nés après 1945, convoquent sans cesse la Seconde Guerre mondiale pour se défendre ou attaquer leurs adversaires.

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Dans son livre (Pour en finir avec les conflits d’intérêts), Martin Hirsch dénonce le fait que bien des parlementaires exercent, en plus de leur fonction, une activité selon lui incompatible avec leur mandat. Le métier d’avocat d’affaires notamment paraît à Martin Hirsch difficilement praticable en même temps que celui de député. Et Martin Hirsch de pointer nommément le président du groupe UMP à l’Assemblée, Jean-François Copé, qui, une fois député, a décidé de devenir avocat d’affaires dans un grand cabinet parisien. Il n’est pas question ici de mettre en cause l’intégrité de Jean-François Copé, mais il est simplement question de parler de déontologie du pouvoir. Martin Hirsch le fait, de nombreux journalistes l’avaient aussi souligné ainsi qu’une organisation comme Transparency International qui, par ses multiples rapports, pointe souvent la France comme étant un pays pour le moins peu regardant sur le plan de la lutte contre les conflits d’intérêt. Bref, ce qui nous intéresse ici n’est pas tant le fond de l’affaire que la réponse de Jean-François Copé.

Celui-ci a dit que sa famille, comme celle de Martin Hirsch ayant été sauvée pendant la guerre grâce à des Justes, il devrait mesurer l’impact d’une délation. D’abord, le fait de dénoncer publiquement une situation connue de tous n’a rien à voir avec une délation. Ensuite, une personnalité ayant l’expérience de la chose publique peut quand même donner sa vision de la déontologie du pouvoir et même dénoncer ce qu’elle considère comme des abus. Ce qui dans cette histoire est troublant, c’est le fait de convoquer la Seconde Guerre mondiale, la collaboration pour se défendre. Il y a une disproportion manifeste.

La comparaison d’événements actuels avec la Seconde Guerre mondiale semble devenir une habitude dans le débat public... Combien d’intellectuels ou de politiques ont comparé certain discours de Nicolas Sarkozy avec la pensée pétainiste récemment? Le terme de rafle a été utilisé et on entend parler de résistance quand il ne s’agit que d’opposition dans le cadre d’une démocratie. En réalité, c’est assez impressionnant de constater à quel point l’histoire de la Seconde Guerre mondiale nous structure toujours et imprègne encore le débat politique.

Jean-François Copé, encore lui, reprochait la semaine dernière aux députés socialistes de parler de rafle en ce qui concerne les Roms, mais il le faisait en leur renvoyant à la figure l’amitié de François Mitterrand avec René Bousquet.

Alors c’est vrai que cette génération qui n’a pas connu la guerre mais qui a été élevée en apprenant l’histoire de la collaboration et des trahisons du régime de Pétain est tentée de tout passer au tamis de la collaboration et de la résistance. Tout acte politique, même le plus anodin, est un acte de résistance ou de collaboration. Avant de prendre position, on se demandera quelle est la position résistante et quelle est la position collaborationniste, ou «munichoise». C’est un état d’esprit qui témoigne d’une saine vigilance, mais c’est aussi une grille de lecture qui devient tyrannique. Jean-François Copé, compte tenu de son histoire et de ses convictions, est dans cet état d’esprit. Un état d’esprit qui lui permettra sans doute d’adopter des positions politiques courageuses dans certains cas, mais qui lui fera aussi (et c’est le cas dans son jugement outrancier de Martin Hirsch) dépasser les limites de la critique acceptable.

Thomas Legrand

Photo: Philippe Pétain serre la main d'Adolf Hitler, le 24 octobre 1940 à Montoire-sur-le-Loir. Archives fédérales allemandes / Heinrich Hoffmann via Wikimedia

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