France

Les femmes, l’avenir possible des retraites

Elles tendent des clés au gouvernement et aux syndicats pour débloquer une situation aujourd’hui figée. Eric Woerth botte en touche pour le Sénat.

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Face au projet de réforme des retraites, le rapport de forces est figé. D’un côté, pour François Fillon relayé par Eric Woerth, les bornes d’âge (62 ans et 67 ans dans le projet de réforme au lieu de 60 et 65 ans) sont «non négociables». De l’autre, la remise en question de la retraite à 60 ans est inacceptable pour les syndicats. Se montrant les plus radicaux depuis le début, FO et SUD ont poussé l’intersyndicale (CGT, CFDT, CFTC, CFE-CGC, FSU et UNSA) à rester ferme sur ses positions pour ne pas être dépassée par la base.

Or, après quatre manifestations sur les retraites (27 mai, 24 juin, 7 septembre et 23 septembre) et quelles que soient les statistiques retenues, la mobilisation des salariés opposés à la réforme est toujours puissante: de 395.000 manifestants en mai à 997.000 en septembre pour la police, et de 1 million à 3 millions pour les syndicats. Et toujours environ deux Français sur trois contre la réforme avant et après l’été.

François Fillon comme Eric Woerth refusent de remettre en question l’équilibre général d’une réforme qui vise à restaurer l’équilibre du système de retraite par répartition. Car la Caisse nationale d’assurance vieillesse, bénéficiaire jusqu’en 2004, est devenue structurellement déficitaire (de 10 milliards d’euros en 2010, 12 milliards en 2012…). Des chiffres que le gouvernement brandit pour justifier son inflexibilité.

Une sortie possible par le haut?

Rien ne semble donc pouvoir faire évoluer le bras de fer… jusqu’à ce que les femmes fassent irruption dans le débat. Elles introduisent des questions spécifiques comme les interruptions de carrière liées à la maternité, les emplois à temps partiels pour assurer l’éducation des enfants, les conséquences sur la carrière professionnelle et l’incidence directe sur les durées de cotisations et les montants des pensions de retraite. La plupart des femmes (près de 16 millions de mères salariés uniquement dans le secteur privé) sont confrontées à ces questions qui ne s’inscrivent pas dans une surenchère syndicale mais traduisent une évolution sociétale à traiter impérativement. Surtout pour les femmes – de plus en plus nombreuses – élevant seules un ou plusieurs enfants et qui, en plus, se retrouvent pénalisées au moment de la retraite.

En se saisissant de ces sujets, le gouvernement et les syndicats pourraient éventuellement sortir par le haut de leur bras de fer. Peut-être pas pour trouver une solution immédiate, mais pour relancer le dialogue. Vieux routard de la politique rompus à la construction de compromis, lui-même ex-ministre du Travail, le président du Sénat Gérard Larcher ne s’y est pas trompé en évoquant la possibilité pour les personnes ayant interrompu leur carrière pour élever leurs enfants, de profiter d’une retraite à taux plein à 65 ans comme aujourd’hui au lieu des 67 ans prévus par la réforme. Pour les hommes comme pour les femmes bien sûr, afin de ne pas être rappelé à l’ordre par le Conseil constitutionnel qui doit veiller à l’égalité de traitement entre l’homme et la femme, même si celle-ci est sans arrêt bafouée dans le monde professionnel.

Un dossier récurrent oublié dans la réforme

En réalité, la question des aménagements de la retraite des mères n’est pas nouvelle. De longue date, celles-ci bénéficient d’une bonification de deux ans par enfant élevé. Ces huit trimestres viennent s’ajouter aux trimestres cotisés pendant la carrière professionnelle et réduisent d’autant la durée de cotisation requise pour toucher la retraite. En 2009, au nom de l’égalité hommes/femmes, il a été décidé que pour les enfants nés à partir du 1er janvier 2010, la mère conserverait la bonification maternité de 4 trimestres par enfant, mais que l’autre bonification de 4 trimestres accordée au titre de l’éducation pourrait profiter au père si le couple en fait la demande. Le problème de la retraite des mères de famille n’arrive donc pas brusquement dans le débat. Mais la réforme fait l’impasse, limitant son objet à un déplacement de curseur alors que les enjeux sont bien plus fondamentaux. N’y aurait-il pas du grain à moudre pour relancer le dialogue?

Pourtant, interrogé sur les interruptions de carrière au Journal de 20 heures de France 2, Eric Woerth s’est montré d’une rigidité peu compatible avec un sujet qui concerne toutes les femmes qui travaillent. Avec obstination, il a répondu sur l’égalité salariale.

La rigidité, une stratégie?

Le dossier, certes, n’est pas anecdotique. A responsabilités comparables, les écarts de salaires –à la baisse pour les femmes– sont toujours de 16% en salaire horaire et de 27% en salaire net. Mais il y a des décennies que le sujet anime les gouvernements qui ont tous fait montre de leur impuissance puisque le problème subsiste. «Six lois, six échecs», a d’ailleurs souligné Eric Woerth. Et pour cause: l’Etat ne dispose d’aucun levier pour fixer les salaires. «Nous allons traiter la question en taxant les entreprises qui ne pratiquent pas l’égalité salariale», a insisté Eric Woerth! On connaît même le taux de l’amende: 1% de la masse salariale. Mais si la mesure a autant d’effet que celle prise pour l’emploi des handicapés, les salariées du privé peuvent attendre longtemps.

Quoi qu’il en soit, l’égalité des salaires est un sujet totalement distinct de l’interruption de carrière: celle-là résolue, celle-ci ne serait pas réglée. Eric Woerth ne peut en disconvenir. Mais à France 2, il ne céda en rien pour ne pas nuire à «l’équilibre général de la réforme» qui repose sur le double butoir d’âge 62/67 ans. Il rappela la bonification de 8 trimestres par enfant, refusant de considérer les effets d’un congé parental ou d’un temps partiel obligés d’abord sur le déroulement d’une carrière, ensuite sur la retraite. Pourtant, les questions qui touchent à la natalité et à l’éducation –les générations à venir– sont aussi au cœur de tout débat sur l’organisation d’un système de retraite par répartition.

Les sénateurs en pompiers de la réforme

Pas d’ouverture côté gouvernement… qui renvoie la patate chaude au Sénat. Puisque les sénateurs doivent se saisir du dossier de la réforme des retraites à partir du 5 octobre et en débattre pendant deux semaines, il leur reviendra d’amender le texte sur ce point s’ils le désirent. Leur président Gérard Larcher, en rupture avec la ligne exclusivement financière du gouvernement, a semblé mieux comprendre les femmes qu’Eric Woerth… Surtout, pour le ministre du Travail, la perspective de devoir élargir aux hommes tout avantage concédé aux femmes au titre de l’éducation des enfants (à cause de la règle constitutionnelle sur l’égalité hommes/femmes) remettrait en question l’équilibre financier de sa réforme. Mais peut-être n’est-ce pas la bonne réforme.

Gilles Bridier

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