Économie

Grande vitesse: les voies du rapprochement franco-allemand

Face à l’arrivée d’un concurrent chinois au plus haut niveau des trains à grande vitesse, la France et l’Allemagne ravivent un vieux projet d’Airbus du ferroviaire.

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Aujourd’hui, la coqueluche de la grande vitesse ferroviaire est chinoise. La France a beau se frotter les yeux pour sortir d’un cauchemar que jamais cheminot n’aurait imaginé vivre, le verdict du tachymètre est sans appel: sur les quelque 1.000 km de la ligne qui relie Canton à Wuhan, les trains chinois à grande vitesse circulent à une vitesse moyenne de 312 km/h, avec des pointes à 350 km/h qui laissent le TGV français sur le carreau.

La technique est éprouvée, c’est celle de l’ICE allemand transférée par Siemens à la Chine pour obtenir le contrat commercial. Pas de concept futuriste ou de technologie révolutionnaire, comme pour le train à sustentation magnétique japonais. Le bolide chinois fonctionne sur le mode du rail-roue que la SNCF et Alstom en France ont porté au pinacle.

Quand l’élève dépasse le maître

Il y a près de trente ans que les TGV ont fait leurs premiers tours de roue en exploitation sur la ligne Paris-Lyon, à 270 km/h de moyenne. En passant de l’orange au bleu et acier, sur les lignes de l’Atlantique et de la Méditerranée, la vitesse commerciale a été portée à 300 km/h. Puis à 320 km/h sur Est Europe. Entre temps, Alstom aura décliné son train à grande vitesse en Thalys et Eurostar, et en KTX coréen – commandé en 1994 après de longues et fastidieuses négociations et exploité dix ans plus tard. Mais en Chine, la SNCF et Alstom ont calé avant la fin du parcours: la Chine imposait des transferts de technologies auquel l’industriel ne voulait pas consentir.

Se souvenait-il que, pour vendre à Pékin des locomotives Diesel dans les années 1980, il avait accepté de transférer son savoir-faire? Le résultat ne se fit pas attendre: Alstom ne vendit plus aucune locomotive en Asie, la Chine lui soufflant tous les marchés à des prix sur lesquels le français ne pouvait s’aligner.

Le TGV étant un produit phare dans le monde entier, il n’était pas question de réitérer l’expérience pour se trouver un jour déchu de son piédestal. Mais Siemens n’ayant pas eu ces pudeurs, le résultat est finalement identique: le train chinois à grande vitesse brille de la même façon. Et qu’importe si la base technologique est allemande plutôt que française: très vite, les ingénieurs chinois l’auront tellement fait évoluer que seule une technologie chinoise subsistera.

L’AGV, successeur du TGV, conserve son avance

Toutefois, l’histoire ne s’arrête pas là. Certes le TGV français sait que dorénavant, sur les marchés mondiaux qui s’ouvrent à la grande vitesse, il devra affronter un concurrent redoutable supplémentaire, en plus des ICE allemand et Shinkansen japonais. Mais par rapport au dernier TGV d’Alstom, le train à grande vitesse chinois accuse déjà un retard technologique d’une génération. Le constructeur français, pour sa part, est passé à l’AGV –cet automoteur à grande vitesse avec lequel le français détient toujours le record de vitesse de 574,8 km/h enregistré le 3 avril 2007.

C’est avec la technologie de l’AGV qu’Alstom va relever le défi chinois. En configuration commerciale, ce nouveau matériel a déjà effectué des tests à 360 km/h sur la ligne nouvelle Paris-Strasbourg.

La SNCF pousse dans la même direction, comptant sur des trains de plus en plus rapides pour concurrencer l’avion sur les liaisons européennes. Mais à ces vitesses qui placent les TGV français sur un pied d’égalité, les lignes sur lesquelles ils circulent doivent pouvoir absorber des contraintes bien plus fortes. L’incidence sur les coûts de construction est immédiate. Et RFF, à qui incombe en France la responsabilité du réseau ferroviaire, juge disproportionnés des investissements supplémentaires pour ne gagner que 2 minutes 30 sur 100 km alors que la dette ferroviaire gonfle dangereusement.

La filière ferroviaire réclame une nouvelle vitrine

Mais le débat n’est déjà plus réductible à l’Hexagone. Pour vendre des trains à grande vitesse à l’exportation, Alstom a besoin d’une vitrine pour son AGV. Or, derrière l’industriel qui revendique un quart du marché mondial de la grande vitesse dans le monde, de nombreuses autres entreprises sont concernées, comme Lohr dans les matériels de transports et d’autres dans les équipements telles Ades Technologies, Thales, SNR, SKF France, SEF Industries, SAFT, Saint Gobain, Freinrail, Compin… Alors que, dans le sillage des Etats généraux de l’Industrie, Nicolas Sarkozy a souligné l’intérêt pour l’emploi de relancer et consolider les filières industrielles, la filière ferroviaire avec ses cinquante entreprises et plus de 17.000 salariés peut être une des plus prometteuses. Encore faut-il qu’elle ait les moyens d’exprimer son avance technologique en grandeur réelle.

A la vitesse à laquelle la Chine brûle les étapes pour s’approprier les technologies les plus modernes, la France du ferroviaire a maintenant une épée dans les reins pour pousser les feux de l’AGV. Pas forcément seule, d’ailleurs: la réplique aux ambitions chinoises se situe probablement à un autre niveau.

L’Airbus du ferroviaire va-t-il décoller?

Depuis longtemps, Airbus fait rêver le TGV. La Fédération des industries ferroviaires s’était à plusieurs reprises prononcée en faveur d’un rapprochement franco-allemand pour créer un Airbus de la construction ferroviaire. Mais compte tenu de la concurrence frontale que se livrent Alstom et Siemens par TGV et ICE interposés, la situation était bloquée. La pression exercée par de nouveaux compétiteurs dans la grande vitesse ferroviaire pourrait dégeler le dialogue franco-allemand. En août, la création d’un groupe de haut niveau franco-allemand dans le ferroviaire a été annoncée par les deux gouvernements. Incidemment, la SNCF et la Deutsche Bahn allemande ont été pressées de trouver une solution à leurs différends pour que les travaux de ce groupe ne soient pas pollués par les bisbilles inhérentes à toute compétition.

La Fédération a applaudi des deux mains. Et depuis, Dominique Bussereau, pour le gouvernement français, n’en finit plus de plaider (…et même en Chine à la mi-septembre) en faveur d’un rapprochement entre industriels et exploitants européens. Mais les discussions seront longues. Alstom comme Siemens, les deux chefs de file, tiennent à leurs prérogatives dans des programmes qui sont, pour chacun d’eux, des motifs de suprématie technologique. Les concessions seront difficiles.

Toutefois, tant que n’émergera pas une force européenne dans le ferroviaire, la Chine devenue deuxième puissance économique mondiale aura toujours plus de moyens pour promouvoir son train à grande vitesse que la France et l’Allemagne intervenant en ordre dispersé. Les atermoiements européens feront, en la matière, les succès du train chinois. La Californie l’a bien compris, qui l’a invité à se mesurer à ses concurrents pour un appel d’offres… du même coup beaucoup plus compliqué pour le TGV, l’ICE ou le Shinkansen.

Gilles Bridier

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