Politique / France

Humour de droite: «La politique sur le web, ce n'est pas une affaire de moyens»

Interview des membres d'Humour de droite, la franchise numérique qui remplace les lettres UMP par LOL.

Temps de lecture: 10 minutes

Créé en juin 2009, Humour de droite est un média d'un nouveau genre. La franchise n'existe que sur Facebook (7.500 fans), Twitter (11.300 abonnés) et le Tumblr Bonjour Lancar, trois réseaux sociaux où la joyeuse bande d'amis qui l'administre se moque quotidiennement de l'UMP à coup de liens bien sentis, de parodies ou d'appel à l'action numérique. Le logo —décliné en stickers à coller partout, vraiment partout— est un tout un programme: le mot «LOL» remplace les lettres «UMP» sur le logo bleu et rouge du parti majoritaire.

Cette armée de l'ombre défend farouchement son anonymat. Cette interview de 3 membres d'Humour de droite (M., D. et R.), a été réalisée par mail.

Humour de droite, c'est juste pour se marrer? Ou c'est aussi un outil pour faire passer des idées? 

M. : En juin 2009, quand nous nous sommes lancés, c’était encore une période de grâce pour Nicolas Sarkozy, et tout le système et les valeurs qu’il représentait. Depuis l’élection de 2007, on voyait des humoristes faire leur coming-out, comme Bigard, Gerra, ou des artistes comme Sardou manifester le soutien et l’espoir dont ils investissaient le nouveau gouvernement.  

D’un autre côté, les militants de droite développaient une vraie arrogance, proclamant la mort du socialisme, affichant une attitude plus que décomplexée, assez méprisante envers l’autre moitié des Français n’ayant pas voté pour Sarkozy. Ces gens s’autorisaient des saillies plus que limite, sous couvert d’une volonté de faire «ouvrir les yeux» aux Français, de politiquement incorrect et de réalisme. 

À la base donc, c’est tout ce bruit qui nous a donné envie de créer le groupe Facebook de l’Humour de Droite, pour pointer du doigt cet humour un peu naze, un peu blague raciste de fin de repas chez un vieil oncle. Donc des vidéos marrantes (De mémoire, la 1re était Michel Sardouille de Groland), des liens vers des articles d’actualité qui nous semblaient illustrer cette tendance, etc. 

Quand on a vu que ça accrochait plutôt bien, on s’est dit que ça pouvait aller plus loin. On est tous très sensibles aux medias et à la communication, et on a tous une compétence dans ce domaine. En réfléchissant sur le traitement qui avait été infligé à Ségolène Royal, traîtée de folle, décrédibilisée... on s’est dit que Humour de Droite pouvait être une sorte de filtre qui décrypte les fameux «éléments de langage» chers aux politiques. Qui grâce à l’humour et l’ironie, souligne l’absurdité de la chose politique. 

On s’est rendu compte que le format: «fait d’actualité + commentaire ironique» fonctionnait plus que bien auprès de notre public. On le voit aujourd’hui d’ailleurs avec Le Petit Journal, Guillon, ce que faisait Yassine Bellatar sur France 4 (qui avait certainement la meilleure émission politique), et ce qu’ont de plus en plus tendance à faire les grands medias historiques. Et puis à force d’être confrontés tous les jours à des histoires qui nous collaient au siège, on a fini par être très énervés et on a décidé de se servir d’Humour de Droite pour faire passer des idées. Il se trouve qu'à l’époque, en juin 2009, on a fait face à une véritable avalanche de «mini-affaires» de la part de la droite. Du caviar pour nous... 

D. : D'une part, l'humour a une fonction de communication puissante, et d'autre part on a fini de grandir dans le discours ambiant qui voulait que «la politique soit surtout de la com». Je pense qu'on en est un peu venu au constat suivant, chacun de notre côté: quand on parle sérieusement de politique, on est forcé d'enrober le discours d'une grosse couche de com', mais si on on évoque la politique sous couvert d'humour, on isole mieux les idées, et on pointe du doigt des faits ou des phénomènes qui nous paraissent important de souligner. Regardez Francis Kuntz de Groland, ce mec dit des choses absolument dégueulasses et hilarantes, et souvent ça vient d’un constat alarmant du point de vue social. 

Quelle est selon vous l'influence réelle d'Humour de droite? N'êtes-vous que l'écume de la politique, le LOL qu'on oublie tout de suite, ou est-ce que ça peut finir par payer un tant soit peu sur le plan politique? 

M. : Très franchement, on n'a aucune idée de l’influence réelle de la chose. Il y a évidemment un effet de loupe, quand on traîne sur Twitter, Facebook ou qu’on est «web-journaliste parisien» haha. Mais 10.000 fans sur Twitter, sur 60 millions de Français, c’est quoi? 

En revanche ce que l’on peut dire, c’est qu’en termes d’engagement, sur les 13.000 visites hebdomadaires de notre page Facebook, 10.000 font l’objet d’une action (like, commentaire, post d’un lien, d’une photo). Les gens ne viennent pas que pour lire, mais apportent leur pièce à l’édifice, la plupart des infos que l’on relaie vient d’eux.  Ce que l’on sait également, et de source sûre, c’est qu’il y a une personne au ministère de l’Intérieur qui nous suit attentivement, parce que —je cite— «ça commence à avoir une audience importante».

Et oui, on est de l’écume politique. À côté des militants, de gauche comme de droite, qui sortent dans la rue pour manifester, qui tractent, et qui s’en prennent plein la gueule, on ne fait rien. Mais si on peut être justement l’écume qui reste quand la vague est passée, tant mieux. À la différence de Léon Zitrone ou de Benjamin Lancar, on ne croit pas en «l'essentiel, c’est qu’on parle de nous, en bien ou en mal». L’essentiel, c’est d’avoir raison. 

R. : On commence aussi à constater qu’on gêne à droite. On a des retours internes à l’UMP qui ne voient pas d’un bon oeil ce qu’on fait. On est d’ailleurs désignés comme faisant partie de la gauchosphère, l'iRiposte est donc sensée nous toucher. Ce parti n’aime pas la satire, ni la caricature. Quand on voit Lancar, le patron des Jeunes Pop', reprendre l’une de nos vannes en interview et en faire un truc nul, ça nous fait doucement rigoler.

D. Je pense que l'influence d'Humour de Droite —si elle existe— tient à deux choses très addictives: l'humour et la politique. On a tous répété les conneries du Bébête Show sans même savoir qui ces marionnettes représentaient, ensuite c'était les Guignols avec un peu plus de conscience de la vie politique, etc.

On s'appuie là-dessus pour faire réagir ou adhérer les gens à nos propos, est-ce que ça paiera de manière politique? J'en sais rien, on sait qu'en restant limité au web c'est difficile, on verra ce que ça donne dans le contexte d'une grande échéance politique où quand les politiques investiront le web de manière intelligente.

Mais je crois que chacun est conscient qu'on ne vaut rien en comparaison des bénévoles de RESF, de ceux qui servent la Soupe Populaire tout l'hiver, ou qui partent en maraudage chaque soir et qui l'ouvrent jamais.

Est-ce que vous pensez que 2012 se jouera aussi sur le terrain du LOL? On voit par exemple que les Jeunes Pop' organisent une iRiposte et se constituent en lieutenants Internet de Sarkozy pour la présidentielle...

M. : Les partis n’ont pas compris que ce n’est pas une affaire de moyens qu’ils investiront dans les médias ou dans le digital. Les médias et le digital, ça n’existe pas pour les gens. Ce qui existe, c’est la vie. Il faut être cohérent entre ce que l’on est dans la vie et ce que l’on raconte dans les medias.

Si un politique se fait démonter parce qu’il a dit quelque chose qu’il n’aurait pas dû, c’est le jeu. Si tu es honnête, que tu assumes ce que tu dis, que tu fais ce que tu as promis, tu n’es pas menacé par la VRAIE menace: le jugement incontrôlable des gens. Les boules puantes lancées par les adversaires, on sait qui les lance, ça n’est pas intéressant. Les gens n’y prêtent pas attention, parce qu’ils ont compris qu’elles reposaient sur un mensonge.

Et si c’était une affaire de moyens, on n'aurait pas autant de fans ou de followers, et on n'emmerderait pas autant la droite avec les pauvres 100€ que nous ont coûté le nom de domaine et nos stickers. L’essentiel, encore une fois, c’est d’avoir raison.

R. La droite tente de s’imposer sur le net. Mais leurs adhérents sont vieux, même les jeunes. Tout cela les dépasse. Leur campagne Internet et leur iRiposte sera donc forcément source de LOL. On ne manquera pas d’en rire. L’annoncer est déjà une grossière erreur qui démontre qu’ils tentent de maîtriser le «buzz».

D: Ouais, le LOL... ça marchera jamais avec tout le monde parce que dans sa dénomination c'est un phénomène web, et que le web pour beaucoup de gens, c'est pas la vraie vie comme dit mon collègue P. Et c'est pas le LOL qui démarre les trucs, selon moi, il les amplifie et les propage. Je pense que l'humour est toujours au service de quelque chose (à part peut-être dans le cas de Courtemanche et de Patrick Bosso), donc si le LOL doit être utile, faudra qu'il ait raison dans ce qu'il raconte. Et puis pour faire le bouffon de la citation: «l'humour c'est la politesse du désespoir» (Boris Vian), est-ce que vous croyez qu'Eric Woerth nous fait vraiment marrer?

Benjamin Lancar, le patron des Jeunes Pop', est devenu votre cible privilégié. Pourquoi un tel acharnement?

M.: Lancar, c’est un mec qu’on aime bien, malgré les saloperies que l’on balance sur lui à longueur de temps. Il est sincère, on sent qu’il y croit. On l’admire en tant que militant.

Après, lui et son équipe sont en total décalage avec la «vraie vie». Parce qu’ils croient pouvoir appliquer les recettes HEC ou ESSEC à la politique. Parce qu’ils parlent la même langue mais pas le même langage que les Français. Ça se sent, ça se voit qu’il n’a jamais mangé la gamelle, et qu’il prendrait pas le Transilien Montparnasse / Mantes-la-Jolie tard le soir. Il manque totalement de crédibilité en tant que «jeune» et «populaire».

Et puis c’est une cible parce qu’il est exposé, parce qu’il est volontairement mis en première ligne par «là-haut» pour prendre la température et tester des éléments de langage. Ce gars est une marionnette, et sincèrement ça nous fait parfois mal pour lui. Quand on le regarde à la télé, on change de chaîne, comme quand une patineuse se vautre pour la 3e fois. Je n’aimerais pas être à sa place.

R. : Il a aussi décidé de contrer ce qu’il appelle la «gauchosphère». C’est un peu notre façon de lui dire bonjour (bonjourlancar) et lui rappeler qu’il est très en retard sur nous et qu’il ne maîtrise rien.

D.: Ouais il est marrant le mec quoi, c'est un personnage de bande dessinée. Bon après c'est aussi rigolo de voir à l'oeuvre un potentiel futur mythomane de la politique, il est au stade de l'apprentissage, il intègre les codes des prises de paroles média etc. Et il s'en sort bien, c'est un sujet d'étude intéressant parce que politique en devenir.

Mais Lancar, c'est quoi maintenant: un responsable politique ou un mème?

M. : Les deux. C’est un élu, on le respecte en tant qu’élu (conseiller régional d'Ile-de-France), et c’est uniquement en faisant ses preuves en tant qu’élu qu’il arrivera peut-être à rattraper une réputation qui ne lui appartient plus. Mais pas avec des petites phrases, c’est sûr.

D.: À la télé, c’est un personnage politique, sur ton écran d’ordinateur, c’est surtout un mème.

Quelles sont vos relations avec le Parti socialiste?

M. : Une collègue à moi est militante PS à Paris, on rigole bien à la pause déjeuner. Valério Motta,le responsable web du PS, nous a ajouté sur Gtalk, on lui a parlé une fois pour déconner, on lui a dit «BONJOUR. JE SUIS LA VOIX». LOL. On échange un peu avec Emile Josselin, le responsable contenus web, sur Twitter sinon. En fait, toutes les relations qu’on a avec le PS sont visibles en ligne sur notre Facebook ou notre Twitter.

On a jamais milité où que ce soit, c’est vraiment pas dans notre culture. Comme l’a dit un jour un autre membre de l’Humour de Droite: «Ils voudraient qu’on leur serve la soupe, mais ils ont peur qu’elle soit brûlante». Ça résume très bien ce que l’on pense.

Je pense que ça les arrange un peu qu’on soit pas associés à eux, on balance les saloperies qu’ils pensent tout bas... Non, on en sait rien en fait.

D: On a tout simplement pas de relations avec eux. Je confirme que la soupe pourrait être brûlante, et que Dominique Strauss Kahn est bien inspiré d’être aussi discret.

On sent bien qu'ils cherchent eux aussi à faire du LOL au PS, par exemple avec Bonjour la droite. Vous en pensez quoi? C'est cool ou c'est une bande de ringards?

M.: Le PS, ou les autres partis, sont des marques. Et comme en publicité, les marques ont des vieux dirigeants rabougris, qui ont peur de prendre des risques, une charte graphique BIEN PRÉCISE et n’ont pas le droit de dire «bite». Ils ont trop peur que ça fasse des vagues. Ils faut qu’ils lâchent prise. Mais en même temps, est-ce que c’est vraiment leur boulot? Personnellement, je leur demande juste de penser aux gens avant de penser à eux. Ils n’ont pas à aller plus loin dans le LOL que ce qu'ils font déjà. Ils ont à faire leur job. Après ils pourront faire du LOL.

R. : Il y a aussi que, contrairement à nous, ils représentent quelque chose, quelqu’un. Il y a des noms derrière leurs actions, ce qui n’est pas notre cas. Nous sommes anonymes et ne représentons personne. Personne n’attend rien de nous, et si c’était le cas, nous n’en avons rien à foutre.

D.: Ils ont des choses à faire, c’est sûr vu qu’ils en branlent pas une depuis un moment, mais copier ce qui existe c’est jamais une très bonne idée.

On a l'impression que la gauche a gagné la bataille de l'humour Internet. Comment vous l'expliquez?

M.: Ahah, erreur classique. Les meilleurs comiques étaient de droite: Le Luron, Desproges... Ils n’étaient pas politiques, mais avaient un vrai regard humain sur la politique, ils aimaient les gens. Personnellement j’étais déçu quand Sarkozy a été élu, mais je me suis dit que j’allais lui donner une chance. Malgré ce contexte défavorable de crise, on aurait pu continuer à le supporter et il aurait pu faire passer beaucoup de choses s’il avait montré qu’il aimait vraiment les gens.

Le LOL n’est pas forcément de gauche, mais aujourd’hui, la gauche fait preuve de plus d’empathie que la droite, qui a été contaminée par toute la négativité de Sarkozy. Je connais des gens de droite qui en ont mal au coeur.

R. : La droite est trop haineuse pour arriver à rire d’elle-même ou de ses opposants. Les medias traditionnels, la presse écrite satirique est beaucoup plus douée, aussi.

D.: L'humour de droite n'exempte pas le PS ou la gauche dans son ensemble, y’a des gens de droite au PS, et beaucoup de positions communes (pas les plus visibles) entre le PS et l’UMP. A un moment donné avec la gauche et la droite, tu as le choix entre le bon sentiment et la mauvaise foi, les deux sont bons pour le LOL. Personnellement, je trouve les vieux soixante-huitards, ou les punks à chien de bonne famille tout aussi risibles que Lancar, mais ils ne créent pas d'iRiposte...

Propos recueillis par Vincent Glad

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