Culture

Je veux écrire comme Marc Levy

Pour réussir à écouler des livres par millions, suivez le guide.

Temps de lecture: 7 minutes

C’est la rentrée mais cet été, sur la plage, vous avez eu une révélation. Vous avez trouvé une solution pour arrêter de travailler et devenir riche. Je suis là pour vous aider humblement dans cette voie grâce à ce:

Tutorat de j’aimerais-écrire-comme-Marc-Levy
(sous-titré : parce que moi aussi je veux quitter mon emploi et devenir un artisan de la littérature).

Pour ce faire, bien que j’aie étudié plusieurs de ses ouvrages, nous limiterons notre corpus à son best-seller: Et si c’était vrai? parce qu’un premier roman qui se vend à plus de 3 millions d’exemplaires (pour la France), ce n’est pas négligeable.

I - Narration

1°) Pour atteindre son efficacité maximale, le point central de votre Marc Levy doit être une histoire d’amour. Oui, carrément. Sachez que le lecteur n’existe pas, qu’il n’y a quasiment plus que des lectrices et que la lectrice semble friande d’amour. (Nulle misogynie de ma part, voyons-y un déterminisme sociétal.) Pour la structure, elle devra suivre le schéma suivant:

Ils se sont rencontrés… Mais… Heureusement…

 En développant un peu, on obtient:

Ils vont tomber amoureux mais *les circonstances de la vie* vont se mettre entre eux.

Que peuvent être les circonstances de la vie? Par exemple dans Et si c’était vrai?, les circonstances sont aussi simples qu’improbables: elle est dans un coma cérébral et apparaît sous la forme d’un fantôme, il est vivant.

Ainsi, on obtient par exemple:

Ils se sont rencontrés 

Enfants, ils jouaient ensemble

Dans une vie antérieure ils se sont aimés passionnément

C’était son premier amour

Ils ont eu un coup de foudre

Mais

Lui est un grand patron qui délocalise, elle défend les démunis

A la suite d’une amnésie liée à un accident de voiture

A la suite d’une réincarnation malheureuse

A cause de la volonté de leurs familles de les protéger d’un terrible secret

A cause d’un événement historique

Heureusement

Leur amour sera plus fort.

On peut évidemment mêler les combinaisons à l’infini. Ainsi: Ils se sont aimés dans une vie antérieure et venaient de se retrouver Mais il a été victime d’un accident de voiture provoqué par la tempête Katrina, accident au cours duquel il a sauvé la vie d’une petite fille d’une blondeur angélique; blessé, il a perdu la mémoire, suite à quoi il est devenu un grand patron sans cœur avant que leurs destins ne se recroisent Heureusement leur amour sera plus fort et il redeviendra celui qu’il était profondément dans son être intérieur.

2°) Vous allez me faire remarquer que «Heureusement, leur amour sera plus fort» (HLASPF) c’est nul. Alors là, je vais vous le dire tout net: on s’en fiche comme d’une grosse guigne. «HLASPF» est la scène nécessaire dans le Marc Levy. L’unique pivot narratif. Quand vous lisez un Marc Levy, vous ne demandez pas à être surpris. Vous voulez être satisfait. Ce que vous attendez, c’est la scène où les héros vont se retrouver et s’aimer (si possible sexuellement).

Tout ce qui vient avant, à savoir la totalité du roman, n’est qu’une lecture de frustration, or on sait que la frustration est un excellent moteur. La force narrative de Levy ne repose que sur sa capacité à créer chez le lecteur une attente précise. Donc ne cherchez surtout pas l’originalité ou le suspens en transformant la trame en «est-ce que ça va arriver», restez fidèle au «comment est-ce que ça va arriver».

NB: pour ceux qui se sont risqués à lire Si c’était vrai?, vous noterez que la fin déjoue un peu cette attente. Sauf que cette nouvelle frustration est aussitôt déjouée par un clin d’œil qui ramène la fin du roman au début. 

II - Style

Comment réussir à écrire des phrases comme: «Lauren déplia ses jambes, bâilla longuement en étirant les bras vers le ciel, et sauta sur ses deux pieds joints.» (p10)

Par souci d’honnêteté intellectuelle, je tiens à préciser que le style de Marc Levy s’est amélioré au fil de ses livres.

1°) Avant, on parlait d’écriture cinématographique pour qualifier le style de certains auteurs. Dans le cas de Levy, on parlera plutôt d’écriture télévisuelle, autrement dit une écriture imagée et sans risque. En effet, si on visualise très précisément ce qu’il décrit, c’est grâce à un outil trop souvent méprisé: le cliché. Le cliché a une grande force évocatrice puisqu’il est universellement partagé. Ainsi, ne négligez aucune expression toute faite. Vous n’êtes pas là pour déstabiliser les lecteurs à l’aide d’innovations langagières farfelues.

2°) Tout dire. Si le personnage est triste, il faut dire qu’il est triste. Oubliez immédiatement les leçons stylistiques de Hemingway and Co qui vous conseillaient de faire comprendre que le personnage était triste grâce à des indices.

3°) N’ayez pas peur d’insister un peu avec quelques légères répétitions: «Tu es terriblement sexy en docteur, tu sais? dit-elle d’une voix très tendre et très féminine.» (p 125)

Pour avoir une vue d’ensemble, étudions un passage choisi à peu près au hasard (p86):

«Lauren haussa les sourcils, interrogative, demandant ce que c’était des “choses gentilles”. Il insista pour qu’elle oublie ce qu’il venait de dire, mais c’était, comme il s’en doutait, peine perdue. Elle mit ses deux poings sur ses hanches, se posta face à lui et insista.

-  C’est quoi des choses gentilles?

-  Oublie ce que je viens de dire, Lauren. Tu n’es pas un revenant, c’est tout.

-  Je suis quoi alors ?

-  Une femme, une très belle femme, et maintenant je vais prendre une douche.

Il quitta la pièce sans se retourner. Lauren caressa de nouveau la moquette, ravie. Une demi-heure plus tard, Arthur enfilait un jean et un gros pull en cashmere et sortait de la salle de bain. Il manifesta l’envie d’aller dévorer une bonne viande. Elle lui fit remarquer qu’il n’était que dix heures du matin, mais il répliqua qu’à New York il était l’heure d’aller déjeuner et à Sydney d’aller dîner.

-  Oui, mais nous ne sommes pas à New York ou à Sydney, nous sommes à San Francisco.

-  Cela ne changera rien au goût de ma viande. »

Qu’apprend-on dans ce passage?

- L’héroïne, dont nous avons déjà vu précédemment qu’elle avait deux pieds, est également pourvue de deux poings.

- L’héroïne est une femme, une belle femme, et elle a du caractère. Elle ne se laisse pas déstabiliser par des phrases comme «des choses gentilles». Elle est prête à insister pour entendre plus de compliments. (Accessoirement, elle aime caresser la moquette, ce qui laisse penser que sa moquette est très douce, peut-être en cashmere.)

- Inutile de se priver d’expressions un peu faciles comme «peine perdue», «manifester l’envie de», «dévorer une bonne viande».

- Quand l’héroïne est ravie, écrivez «ravie». De même, quand elle insiste, écrivez «elle insista» suivi de la phrase qu’elle répète. 

- Le héros levyen vit à San Francisco, porte de gros pulls en cashmere et sait écouter ses envies profondes (comme dévorer une bonne viande) sans tenir compte des convenances dont ses contemporains s’embarrassent. Il est libre de manger de la viande quand il en a envie. Il est peu fou.

III - Philosophie

Un bon Marc Levy, ce n’est pas seulement une histoire forte et un style concis, c’est aussi une œuvre qui promeut un certain nombre de valeurs. Principalement la liberté, l’amour et le bonheur.

L’articulation est:

Nous sommes libres, à nous de nous donner les moyens d’être heureux, or le bonheur, c’est aimer les autres. Mais il faut avoir conscience que c’est un effort de chaque jour.

Comme l’explique le héros de Et si c’était vrai? grâce à une métaphore immobilière joliment filée: «Personne n’est propriétaire du bonheur, on a parfois la chance d’avoir un bail, et d’en être locataire. Il faut être très régulier sur le paiement de ses loyers, on se fait exproprier très vite.» (p91)  (On retrouve au passage le motif stylistique levyen du «très».)

Evidemment, tout cela est empreint d’un optimisme qui frise la naïveté. Marc Levy, c’est l’anti-cynique. C’est l’auteur qui n’hésite pas à écrire que «La vie est merveilleuse» (p156) ou même que «l’amour a un goût merveilleux» (p157). En même temps, qui a envie de lire une histoire où on dit que la vie c’est compliqué, c’est difficile, ça n’a pas de sens? 

Suivant cette logique, vos personnages ne devront jamais être motivés par de la mauvaiseté. Ce qui motive l’humanité, c’est l’amour, comme Marc l’a dit dans une interview:

«Je pense que l’amour est ce qui motive tout un chacun. De la chose la plus simple dans votre quotidien, à la chose la plus complexe. Quoi que vous cultiviez, quoi que vous fassiez, vous le faites par amour. Après, vous pouvez avoir une espèce de prétention, de fierté qui font que vous dites que ce n’est pas vrai. Mais tout se fait par amour.»

Mais dans ce cas, pourquoi tant de guerres? Bref. Vos personnages ne seront donc pas motivés par des pulsions refoulées tortueuses. En règle générale, ils ne doivent pas avoir de «ça».

Cas particulier: le sexe

Nous avons vu que la scène nécessaire de votre roman est celle où les deux héros se retrouveront. On pourrait alors s’attendre à une débauche de luxure. Ce serait oublier que le sujet de votre roman n’est pas le sexe mais l’amour. Certains critiques ont reproché à Marc Levy de faire des romans Harlequin. Grossière erreur d’appréciation.

Les romans Harlequin sont avant tout des écrits érotiques vaguement enrobés d’histoire. Or, chez Marc Levy, point de scène croustillante. On respecte l’intimité des personnages et on ferme pudiquement la porte de la chambre, ou du placard. Alors comment sont donc traitées les scènes de sexe dans Et si c’était vrai?. En quelques phrases lapidaires.

«L’âme de Lauren fut pénétrée par son corps d’homme, et entra à son tour dans le corps d’Arthur» (p182). « Plus tard, dans la tendresse d’un amour accompli, le corps et l’âme apaisés, ils restèrent blottis dans l’obscurité à regarder l’océan.» (p 211). Lauren étant à ce moment du récit encore un fantôme, ça limitait considérablement les choses. Retenez simplement que vous devez représenter le sexe comme l’accomplissement de l’amour, une expérience quasi-spirituelle d’union des âmes et non pas d’une quelconque pulsion. 

IV - Epitexte

Une partie du succès des livres de Marc Levy, c’est aussi Marc Levy. Si ses romans étaient écrits par une nonagénaire qui avait vécu toute sa vie comme une vieille fille, ça marcherait nettement moins bien. (Aux mauvais esprits, je rappelle qu’aucune comparaison avec Jane Austen ne peut tenir.)

Que ces romans à l’eau de rose soient écrits par un homme rajoute à leur efficacité, surtout quand le héros romantique ressemble étrangement à l’auteur. Prenons le cas d’Arthur, le locataire du bonheur. Arthur est architecte, Marc était architecte. Arthur est entre Paris et les Etats-Unis, Marc aussi. Marc bat même Arthur puisqu’il a travaillé pour la Croix Rouge. Il sera donc important pour vous d’avoir un héros originellement romantique (même s’il lutte contre sa terrible propension à faire le bien autour de lui) et d’entretenir un brouillage entre ce prince charmant et vous.

Evidemment, si vous occupez un emploi peu glamour comme marchand d’armes ou toiletteur pour chiens, il faudra vous inventer un CV.

Dernier conseil: pour vos photos presse, n’oubliez pas la barbe de trois jours. Sur ce sujet, je ne peux que vous renvoyer vers mon tutorat sur les poils.

Après le riche débat intellectuel entre Slate et Michel Houellebecq, je me sens éminemment honorée qu’on m’ait confié à moi la tâche de décrypter l’œuvre de Marc Levy. M. Levy, si vous souhaitez répondre à cet article par une vidéo, ce sera un plaisir d’échanger nos vues sur la littérature.

Titiou Lecoq

Photo: Lovers embracing on the beach at sundown / Mike Baird via Flickr CC License by

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