Culture

Houellebecq/Wikipedia: la possibilité d'une méprise

Slate est accusé d'avoir «accusé» Houellebecq de plagiat. Mais non Michel, on n'a pas dit un «gros mot». Ou alors on n'a pas fait exprès.

Temps de lecture: 5 minutes

Mise à jour 8 novembre 2010: La Carte et le Territoire, de Michel Houellebecq, a obtenu le prix Goncourt 2010, au premier tour du scrutin. Il a été notamment préféré à Apocalypse bébé de Virginie Despentes, qui, elle, est lauréate du prix Renaudot. Nous republions notre réponse à la «polémique Houellebecq/Wikipédia» parue en septembre.

***

Slate a publié vendredi 2 septembre un article intitulé «Houellebecq, la possibilité d'un plagiat» qui relevait que dans le dernier ouvrage de l'écrivain, trois passages étaient recopiés de Wikipedia. Nous écrivions que si théoriquement la pratique est illégale —Wikipedia n'est pas, contrairement aux apparences, sous licence totalement libre–, elle n'a rien de scandaleuse en l'espèce puisqu'elle s'insère parfaitement dans le style houellebecquien et dans la tradition du collage littéraire.

Trois jours plus tard, ne reste plus que l'écume médiatique et voilà que même la vénérable AFP résume notre article par des «suspicions de plagiat» comme si nous avions voulu accuser Houellebecq d'être un voleur.

Il y a comme une méprise. L'article est titré «La possibilité d'un plagiat» et non «Houellebecq, ce plagiaire» ou «Houellebecq, ce voleur de poules». Si on avait pu deviner l'ampleur de la polémique suscitée par cet article (qui fait du bruit jusqu'en Espagne), on aurait sans doute titré autrement. Par exemple, «Extension du domaine du copier-coller» pour reprendre l'expression utilisée par David Abiker sur Europe 1. On retient la leçon: dans une polémique, personne ne prend vraiment le temps de lire les articles alors autant soigner davantage ses titres.

Double point Godwin

Le mot «plagiat» est visiblement devenu le point Godwin de la littérature, le mot interdit qui crée immédiatement la polémique et interdit toute forme de discours additionnel. (Et pourtant, au XIXe siècle, Lautréamont écrivait: «Le plagiat est nécessaire. Le progrès l'implique.») Coup de malchance, Michel Houellebecq semble être l'autre point Godwin de la littérature, le nom sur lequel se polarisent toutes les adorations, toutes les haines —dans un débat forcément manichéen sur l'auteur, on ne pouvait donc être que des chasseurs de sorcières anti-houellebecquiens. On a fait l'erreur de placer deux points Godwin dès le titre. Mea culpa.

Le journaliste Bruno Roger-Petit m'accuse sur LePost.fr d'avoir voulu «monter un buzz sans intérêt, sans fondement, en essayant de monter une affaire qui n'en est pas une». La vérité, c'est que cette histoire de copié-collé de Wikipedia ne m'avait pas frappé outre mesure. J'y avais d'ailleurs prêté tellement peu d'attention en le découvrant que j'avais posté ce prétendu «scoop» sur Twitter sous forme de blague: ici et ici. Personne n'avait relevé et ça ne m'avait pas surpris: cette histoire, bien plus marrante que scandaleuse, me paraissaît anodine et même logique dans la prose houellebecquienne.

«Le plagiat est nécessaire»

Slate en a finalement fait un article car ces copié-collés revêtent un caractère d'information. Dans Les Chants de Maldoror publiés en 1869, Lautréamont comparait la beauté de Maldoror à celle de «la caroncule charnue, de forme conique, sillonnée par des rides transversales assez profondes, qui s'élève sur la base du bec supérieur du dindon». L'emprunt encyclopédique semblait évident mais d'où pouvait il provenir? Il avait fallu attendre une étude de Maurice Viroux en 1952 pour découvrir que le passage était en fait copié de l'Encyclopédie d'histoire naturelle du docteur Chenu. Qui aura relevé qu'avec Google, il aura fallu non pas 83 ans mais 5 minutes pour retrouver les sources de Houellebecq?

Le professeur de littérature Henri Béhar rêvait en 1990 au jour où la technologie permettrait de traquer toutes les reprises:

«Il n’est pas interdit de rêver au jour où la future Bibliothèque de France, ayant numérisé un grand nombre de textes contemporains, il sera possible de procéder, automatiquement, aux recoupements souhaités, avec le secours d’un programme approprié.»

Henri Béhar n'imaginait sans doute pas qu'Internet devienne un jour une source inépuisable pour les collages littéraires, rendant très simple la traçabilité de la reprise.

«La technique de l'insulte»

Notre article sur Wikipedia n'avait pas pour but de décrédibiliser La carte et le territoire. Au contraire, Slate a publié dès le lendemain une critique très entousiaste du livre. Alors quand on a entendu Houellebecq répondre à BibliObs en ces mots, forcément, on a été un peu interloqué:

«C'est la technique de l'insulte. On met un très gros mot genre "plagiat". On se dit: "même si c'est ridicule comme accusation, il en restera toujours quelque chose, ça peut toujours un peu lui nuire", c'est comme "raciste".»

On aurait touché un chèque d'un éditeur concurrent au Goncourt, on aurait compris. Mais là...

Les choses s'éclaircissent un peu quand on lit attentivement l'article de BibliObs qui ne fait pas un lien vers Slate, mais vers voici.fr qui reprend Slate. Et l'article est effectivement bien moins tendre que le nôtre: «une bonne grosse honte internationale», «comment un écrivain de la trempe de Houellebecq [...] a pu se laisser aller à un truc aussi énorme sans craindre de se faire repérer? Est-ce vraiment une faute? Michel, agent provocateur malicieux, a-t-il voulu jouer un tour à ses contemporains?»

Influencé par Perec et Borges

Houellebecq, à raison, ne s'attarde pas plus longuement sur cette polémique. Le reste de sa réponse porte uniquement sur des questions littéraires. Ces reprises, qu'il reconnaît bien volontiers, sont selon lui «un genre de patchwork, de tissage, d'entrelacements»:

«Beaucoup de gens l'ont fait. J'ai surtout été influencé par Perec et Borges. Perec y arrivait quand même mieux que moi parce qu'il ne retravaille pas du tout le fragment ce qui à chaque fois crée un décalage linguistique très fort. Moi je n'arrive pas à gérer ce genre de décalage donc je retravaille un peu pour rapprocher de mon propre style [...] J'aimerais être capable de les modifier un peu moins que je le fais»

En somme, Houellebecq s'excuse de ne pas avoir recopié plus littéralement Wikipedia. Une réponse bien plus intelligente que celle de son éditeur Flammarion qui nous avait fait savoir que «si certaines reprises peuvent apparaître telles quelles "mot pour mot", il ne peut s’agir que de très courtes citations». Houellebecq, lui, s'en fout que ça soit court ou non, Wikipedia est un matériau littéraire comme un autre.

On est quand même étonné que Houellebecq puisse nous en vouloir d'avoir relevé ces similitudes avec Wikipedia puisqu'il finit son interview par cette mystérieuse phrase: «Employer des matériaux un peu rares par leur extra-littérarité est une petite source de fierté». Ce qui laisse supposer qu'il est fier d'être un des premiers écrivains à reprendre cette magnifique source qu'est Wikipedia. OK, Michel, on est pote maintenant, non?

Houellebecq pastiche Wikipedia

L'admiration de Houellebecq pour l'encyclopédie en ligne se trouve d'ailleurs contenue dans La carte et le territoire. Page 233, il évoque la notice Wikipedia de Jean-Pierre Pernaut telle qu'il l'imagine dans quelques années. Mais à l'inverse de ce qu'il raconte dans son interview pour BibliObs –«j'arrive bien à faire des fausses notices de Wikipedia. Je trouve qu'on y croit tout à fait à la fausse notice sur Jean-Pierre Pernaut»— le pastiche n'est pas franchement réussi. Voici ce qu'il écrit, ne semblant pas avoir bien saisi le principe de Wikipedia:

«L'auteur de l'article —même s'il s'avouait, à titre personnel, catholique— ne dissimulait pourtant pas que la Weltanschauung de Jean-Pierre Pernaut, si elle s'accordait parfaitement avec la France rurale et «fille aînée de l'Eglise», se serait aussi bien mariée avec un panthéisme, voire avec une sagesse épicurienne.»

Rappelons à notre nouvel ami Michel que sur Wikipedia, les auteurs ne peuvent livrer leur opinion, à part éventuellement dans les forums afférents à l'article, très peu lus à part par les contributeurs. En outre, pas sûr que les termes «panthéisme» et «sagesse épicurienne» puissent un jour être retenus dans une notice sur un animateur télé, quand bien même il accède au statut de guide messianique comme le raconte Houellebecq dans son roman.

En lisant ce passage qui magnifie au-delà de toute raison l'écriture de Wikipedia, on comprend mieux la logique de Houellebecq à copier-coller l'encyclopédie collaborative, lui qui traque l'émotion esthétique dans les objets les plus banals de la société de consommation. «Dans ma vie de consommateur, j’ai connu trois produits parfaits: les chaussures Paraboot Marche, le combiné ordinateur portable-imprimante Canon Libris, la parka Camel Legend. Ces produits, je les ai aimés, passionnément», écrit-il dans La carte et le territoire. On pourrait sans doute ajouter Wikipedia.

Vincent Glad

cover
-
/
cover

Liste de lecture