Temps de lecture: 2 minutes
«J’étais mort, mais j’ai ressuscité.» Ouf diront ses partisans, le coup est passé tout près. Heureusement pour eux, la Révolution cubaine n’est pas encore orpheline. Quatre ans après s’être retiré des affaires politiques pour raisons de santé, Fidel Castro, qui semble remit de ses différentes opérations, sort de son silence et parle à un média étranger. En l’occurrence au quotidien mexicain La Jornada, journal de gauche, et à sa directrice, Carmen Lira Saade, à qui il a accordé un entretien de près de 5 heures (1). Un véritable scoop pour ce média, qui n’a jamais caché son soutien au Líder Máximo.
Après toutes ces années sans parler, Castro avait bien des choses à dire, pouvait-on penser. Alors oui durant 5 heures il a bien parlé de tout, sauf du principal, c’est-à-dire de Cuba. Il faut dire que depuis qu’il a laissé les commandes à son frère Raúl en 2008 après avoir renoncé à une partie de ses fonctions en 2006, la situation cubaine n’a cessé d’empirer. A tel point que de plus en plus de Cubains critiquent ouvertement le régime, n’en pouvant plus de manquer de tout.
Contre la guerre nucléaire
A 84 ans, Castro avoue pourtant ne pas vouloir en rester là, n’en déplaise à ses opposants et détracteurs. «Il me reste encore des choses à faire», explique-t-il avant de revenir sur son état physique et d’avouer qu’il avait beaucoup maigri (descendant à 66 kilos) mais qu’il reprend des forces aujourd’hui. Très fier d’annoncer au monde qu’il arrive à faire «600 pas sans aide, sans une canne.» Un exploit, après avoir failli passer l’arme à gauche. «La seule chose que j’espérais, c’était que le monde s’arrête, pour ne pas perdre une miette de ce qui se passait.» «Et quand vous avez ressuscité, Commandante, qu’avez-vous trouvé?», lui demande la journaliste. «Un monde qui était devenu fou», répond-il en souriant.
Celui qui continue de lire 200 à 300 dépêches d’agences de presse par jour et des dizaines de livres par mois parle donc de la marche du monde et de son nouveau cheval de bataille : créer un mouvement contre la guerre nucléaire. Rien de moins. Le Caudillo est persuadé qu’un conflit de ce genre entre les Etats-Unis et l’Iran va avoir lieu. «Il s’agit de créer une force de persuasion internationale pour éviter que cette menace colossale ne se réalise.» Une vision pessimiste, erronée pour certains, un écran de fumée pour d’autres. Car pendant qu’il brandit la menace d’une éventuelle attaque nucléaire, il ne parle pas de Cuba.
Internet et liberté d'expression
Ou si peu. Durant sa convalescence, le Comandante a découvert Internet et il ne tarit pas d’éloge sur les «nouveaux» médias, tels que Wikileaks. Or, sur l’île, très peu de personnes peuvent se connecter au web. La faute aux Etats-Unis selon lui et à leur refus de laisser Cuba accéder à un câble sous-marin de fibre optique passant près de leurs côtes. N’oublions pas cependant que la liberté d’expression n’existe pas là-bas et que le moindre dissident qui élève la voix est emprisonné, accusé d’être un traître, un contre-révolutionnaire à la solde de ces mêmes Etats-Unis.
Mais pas un mot sur la situation économique et politique du pays. Rien sur les restrictions mises en place par son frère, qui a supprimé de nombreuses aides à la population et qui pèsent de plus en plus lourd sur le quotidien des Cubains. Les caisses de l’Etat sont vides, les fonctionnaires doivent dorénavant payer leurs repas, les plus âgés ne touchent plus les subventions pour acheter leurs cigarettes («ce ne sont pas des produits de première nécessité», dixit Raúl) qu’ils revendaient au marché noir pour joindre les deux bouts.
Certes, un soupçon d’économie de marché a été saupoudré et de plus en plus d’habitants cumulent plusieurs emplois et se mettent à leur compte (coiffeurs, taxis), mais les carnets de rationnement sont encore en vigueur. Des carnets qui ne servent pas à grand-chose quand les étals sont vides.
Politiquement, point d’ouverture. Si la libération de 52 prisonniers politiques cet été avait pu apparaître à certains comme un assouplissement du régime, il n’en est rien. D’autres opposants continuent d’être arrêtés tous les jours. Bref, après quatre ans de silence du Líder Máximo et après 49 ans de pouvoir des Castro, Cuba semble ne pas être prête de sortir de ce qu’il faut bien appeler une dictature.
Marc Fernandez
(1) Retrouvez la traduction d’une partie de cet entretien sur Courrier International.