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Médecine: la révolution ne vient pas

Où sont les traitements promis par les cellules souches, la thérapie génique et le génome humain?

Temps de lecture: 15 minutes

Le Dr. William Langston fait des recherches sur la maladie de Parkinson depuis vingt-cinq ans. Un bref moment, il a pensé qu’il allait lui falloir trouver une autre maladie pour poursuivre ses recherches, tant la découverte d’un remède au Parkinson apparaissait comme imminent. À la fin des années 1980, le champ de la médecine réparatrice semblait susceptible de permettre à des médecins de placer des tissus sains dans un cerveau endommagé, réparant les destructions causées par la maladie.

Langton n’était pas le seul optimiste. En 1999, le directeur de l’Institut national des troubles neurologiques et cardiaques, le Dr. Gerald Fischbach, affirmait devant le Sénat américain que «avec du travail et de la chance», la maladie de Parkinson pourrait être soignée dans les cinq à dix années. Langston, aujourd’hui âgé de 67, déclare qu’il ne pense pas voir apparaître un traitement contre cette maladie avant la fin de sa carrière. Il n’utilise même plus le terme de guérison et reconnaît qu’il s’est montré aussi naïf que ses collègues. Il déclare comprendre la colère et l’impatience des patients qui, dit-il, «se montrent un peu amers» de souffrir encore d’une maladie dont ils espéraient être aujourd’hui débarrassés.

Les déceptions sont à la hauteur des espoirs énormes qui se profilaient. Lors des deux décennies passées, il nous a été affirmé qu’un nouvel âge de la médecine moléculaire –utilisant la thérapie génique, les cellules souches et les connaissances dues à la découverte du génome humain– allait entraîner des miracles médicaux. Comme les antibiotiques avaient mis un terme aux maladies infectieuses, le vaccin éliminé le fléau de la polio et de la variole, la capacité à manipuler les cellules et les gènes était susceptible d’éradiquer toutes les maladies génétiques, comme la maladie d’Huntington ou la mucoviscidose, mais aussi les cancers, le diabète et les problèmes cardiaques.

Cette frustration est encore renforcée par le fait que de nombreux animaux de laboratoire se retrouvent, quant à eux, guéris. Des souris souffrant de Parkinson ont été soignées avec succès à partir de cellules souches, comme d’autres souris victimes de drépanocytose. Des chiens hémophiles ou souffrant de dystrophie musculaire ont été guéris. Mais pour les humains, les souffrances et les morts sont encore à l’ordre du jour. Pourquoi? Comment expliquer l’énorme écart entre les attentes et la réalité? Les remèdes ne viendront-ils pas ou vont-ils mettre plus de temps que prévu à émerger? Les scientifiques nous ont-ils trompés, ainsi qu’eux-mêmes, sur le potentiel réel de ces nouvelles technologies médicales?

Le cerveau n’est pas une pelote d’épingles

La maladie de Parkinson a longtemps été considérée comme le modèle d’éradication des maladies grâce aux nouvelles connaissances et aux nouvelles technologies. Elle est aujourd’hui, au contraire, perçue comme le modèle de leurs conséquences imprévisibles.

Langston, chef de l’Institut et Centre clinique de la maladie de Parkinson explique que les scientifiques croyaient que les dégâts causés au patient étaient localisés dans une petite partie du cerveau, la substance noire. «C’était une petite cible. Tout ce que nous avions à faire, c’était de remplacer les cellules manquantes, une seule fois, et cela guérirait la maladie», déclare Langston. «Mais nous avions tort. Cette maladie affecte bien d’autres parties du cerveau. On ne peut pas greffer un transplant ici, ou là. Le cerveau n’est pas une pelote d’épingle.»

Dans les années 1980, les malades de Parkinson étaient des cobayes, recevant des transplantations de tissus fœtaux –précurseurs de la thérapie des cellules souches– dans le cerveau. Certains rapports faisant état d’améliorations spectaculaires, une nouvelle ère semblait s’ouvrir. Mais pour s’assurer que les résultats étaient bien réels, dans les années 1990, un groupe de patients accepta de participer à une double expérience: la moitié subirait une intervention médicale avec transplantation de tissus fœtaux, l’autre se ferait seulement ouvrir le crâne, mais sans transplantation. (Oui, il y a des patients qui sont prêts à se faire trouer la tête pour faire avancer la science.)

La déception fut grande lorsque l’on constata que les deux groupes ne montraient que des différences marginales dans les manifestations de la maladie –les bénéfices précédents s’avéraient être largement dus à l’effet placebo. Puis, de manière terrifiante, un an après l’expérience, une différence majeure se fit jour: 15% des patients ayant reçu des tissus foetaux se mirent à développer des mouvements incontrôlables, «tragiques et catastrophiques».

Bien sûr, une expérience qui tourne mal –et dans ce cas, terriblement mal– ne devrait pas fermer à tout jamais un champ entier de recherche. La longue route des avancées médicales est parsemée de cadavres. Mais des questions demeurent posées, relatives à la greffe de nouveaux tissus ou l’insertion de gènes chez les patients: la greffe prendra-t-elle et ces nouveaux matériaux rempliront-ils leurs fonctions pour le patient? Maintenant que les patients ayant reçu ces tissus meurent, les autopsies révèlent de manière encourageante que les tissus foetaux demeurent viables. Mais il y a aussi de mauvaises nouvelles. La surprise déplaisante, que, selon Langston, «personne n’avait vu venir», est qu’au cours des années, les tissus sains développent des symptômes manifestes de la maladie de Parkinson. Ce qui veut dire qu’au lieu de remplacer les cellules endommagées, les cellules transplantées succombent elles aussi à la maladie.

Langston affirme que le remplacement de tissus dans un cerveau endommagé, comme dans le cas de la maladie d’Alzheimer ou de la sclérose latérale amyotrophique –la maladie de Charcot– est au-delà de nos capacités «S’il faut en tirer un enseignement, c’est que les maladies neurodégénératives humaines sont résistantes. Nous ne sommes jamais parvenu à en guérir une et nous ne sommes pas même parvenus à en ralentir les effets

Le problème des miracles

Les développements technologiques tonitruants portent en eux la promesse de guérisons extraordinaires. Un des avocats les plus enthousiastes de cette théorie –ce qui n’est pas étonnant si l’on se souvient qu’il joua un grand rôle dans la mise au point de ces avancées– est le Dr. Francis Collins. Collins, actuel directeur de l’Institut national de la santé aux Etats-Unis était à la tête du Projet Génome Humain, ce gigantesque projet international qui passa plus de dix ans à séquencer les 3 milliers de paires de base de notre ADN. Son nouveau livre, The Language of Life: DNA and the Revolution in Personalized Medicine, est un manifeste d’optimisme biotechnologique. Mais sa carrière à elle seule démontre l’étendue du fossé séparant la découverte de la guérison.

Collins a fait partie de l’équipe ayant identifié le gène de la mucoviscidose, il y a plus de vingt ans, après ce qu’il a décrit comme «de nombreuses années d’un travail éreintant» cette découverte laissait imaginer que la maladie pourrait être guérie. «La mucoviscidose semblait être la maladie idéale pour la thérapie génique», déclarait Collins dans une interview. L’idée de la thérapie génique est que les mauvais gènes peuvent être remplacés par de bons gènes, comme on change des pneus défectueux. Le remède à la mucoviscidose semblait d’une élégante  simplicité: placer des gènes dans les poumons et ils remplaceraient les gènes défaillants. Très excités, Collins et son équipe se lancèrent dans des travaux au sein d’un laboratoire dans l’année qui suivit la découverte du gène.

Mais les poumons humains ne se sont guère montrés coopératifs. Toutes les tentatives effectuées ces dernières années ont échoué. «Les premières années, tout le monde a sous-estimé la difficulté de la tâche», me disait Collins.

La thérapie génique est demeurée expérimentale vingt ans après les premières expériences sur des êtres humains, en raison d’une suite de problèmes contrariants. Le nouveau gène devait déjà être placé au bon endroit et continuer de fonctionner –sans provoquer d’effets indésirables. En 1999, Jesse Gelsinger, âgé de 18 ans, devint une figure centrale de la thérapie génique et son martyr inattendu. Gelsinger souffrait d’un dysfonctionnement génétique du foie, mais la maladie, bénigne, pouvait être traitée par voie médicamenteuse. Il se porta volontaire pour une thérapie génique afin de le corriger. Quelques heures après la transplantation de gènes sains administrés par le biais d’un virus froid, il devint fiévreux; quelques jours plus tard, il mourait d’un dysfonctionnement généralisé des organes vitaux. Sa mort porta un coup sévère à la thérapie génique, mettant un terme à l’idée que la guérison d’une maladie par la manipulation des gènes serait simple et sans danger.

Mais les scientifiques ne se sont pas découragés pour autant. Dans une certaine mesure, la thérapie génique à destination des garçons frappés par un problème immunitaire mortel, une immunodéficience liée au chromosome X, connue également sous le syndrome de «l’enfant-bulle», est un miracle réalisé. Greffer de bons gènes à ces enfants a permis à certains d’entre eux de vivre une vie normale. Malheureusement, au bout d’un certain nombre d’années de traitement, certains ont développé une leucémie. La thérapie génique a en fait activé des gènes provoquant des cancers chez ces enfants. C’est ce que le découvreur de la structure de l’ADN, James Watson, décrit comme le «calcul déprimant»: soigner une maladie à coup sûr fatale en espérant que le traitement ne provoquera pas une maladie potentiellement mortelle.

Et puis il y a les cellules souches qui séduisent avec les myriades de possibilités qu’elles offrent: permettre aux diabétiques de jeter leur insuline à la poubelle, régénérer des tissus cardiaques endommagés après un infarctus, restaurer les fonctions de patients atteint de lésions de la moelle osseuse [1] épinière (pour qui la Food and Drug Administration vient d’autoriser les premières expériences avec des cellules souches issues d’embryons). Les cellules souches issues d’embryons (et qui ont provoqué tant de controverse, comme en témoigne la nouvelle décision de restreindre leur utilisation) ont été mis en culture dans un labo il y a moins de dix ans; en 2006, nouvelle avancée avec des cellules adultes modifiées pour produire des cellules souches. (Les transplantations de moelle osseuse épinière utilisent des cellules souches, un traitement utilisé depuis des décennies.) Mais faire en sorte que les cellules souches fonctionnent au sein du corps humain est un processus malaisé et qui n’est pas sans conséquences. Les chercheurs craignent que les cellules souches, une fois libérées, n’en fassent qu’à leur tête; des cellules destinées au cœur pourraient finir, par exemple, dans le cerveau. Elles pourraient également proliférer excessivement, provoquant des lésions aux tissus voisins. Ils pourraient générer des tumeurs. Ces craintes ne sont pas hypothétiques. Des docteurs de Moscou ont injecté des cellules souches embryonnaires dans le cerveau et le liquide cérébrospinal d’un jeune homme souffrant d’une maladie génétique, l’ataxie télangiectasie. La bonne nouvelle, c’est que les cellules transplantées ont persisté. La mauvaise est qu’elles n’ont pas pu efficacement guérir sa maladie. Pire encore: ces cellules ont également provoqué des tumeurs au cerveau et à la moelle osseuse épinière du patient.

Les chercheurs ayant analysé le cas de ce patient admettent que ces nouvelles thérapies audacieuses destinées à guérir les maladies graves comportent des risques graves. Francis Collins écrit: «Je suis très excité par le potentiel des cellules souches.» Mais il ajoute: «Nous devons être très prudents.» Il est suffisamment prudent pour ne pas s’avancer sur la date à laquelle leur potentiel parviendra à atteindre les patients.

Pourquoi est-ce si compliqué?

Lorsque le Dr. Nancy Wexler était encore jeune femme, elle décida de ne jamais avoir d’enfants. Sa mère avait été diagnostiquée comme atteinte de la maladie d’Huntington, une maladie rare et héréditaire qui détruit lentement le cerveau, invalidant le corps et finissant par tuer ceux qui en sont atteints. L’enfant d’une personne atteinte de cette maladie à une chance sur deux de développer la maladie et d’y succomber.

Avant que la technologie ne permette de séquencer facilement l’ADN, Wexler, qui avait passé sa carrière à travailler sur la maladie d’Huntington, était déterminée à identifier le gène qui a tué sa mère. Certains scientifiques lui déclarèrent que la tâche était si futile qu’elle pouvait prendre 100 ans. Mais en 1993, après quinze ans d’efforts, une équipe a identifié le gène mutant. Les scientifiques ont découvert la protéine produite par le gène mutant qui provoque les lésions cérébrales. Grâce à cette avancée cruciale, les chercheurs espéraient pouvoir un jour mettre ce gène hors d’état avant qu’il ne s’attaque à ses victimes.

Mais aujourd’hui, un diagnostic de la maladie d’Huntington signifie la perte irrémédiable des facultés et la mort. Comme le dit Wexler, «la question est: pourquoi est-ce si compliqué? A ce jour nous ne savons toujours pas ce que fait cette protéine».

Le New York Times a récemment montré que dix ans après l’établissement de la première cartographie du génome humain, les espoirs suscités par la possibilité d’identifier les causes génétiques de nos plus grands ennemis mortels, comme les cancers et les maladies cardiaques, se sont envolés. Des dizaines et même des centaines de variations géniques sont liées à ces maladies. Comme de telles mutations ne permettent pas de prédire qui tombera malade, les scientifiques se demandent si des associations de gènes qui paraissaient prometteuses ne sont pas en fait de pures coïncidences. Et le fait de savoir quel gène mutant provoque une maladie –comme celle d’Huntington ou la mucoviscidose– ne signifie pas forcément que ces maladies puissent être prévenues ou guéries.

Parfois, notre connaissance approfondie révèle de nouveaux boulevards pour des interventions thérapeutiques, bien que sa complexité ait de quoi impressionner. Le Dr. Bruce Stillman, président du Laboratoire de Cold Spring Harbor, dit que les progrès médicaux seraient au point mort sans les avancées de la biologie moléculaire de ces quarante dernières années. Il cite les succès de l’Herceptin dans la guérison des cancers du sein et du Gleevec dans celui de la leucémie myéloïde aiguë, deux traitements dont la conception a été rendue possible par notre plus grande connaissance du fonctionnement des cellules. Nous avons également appris que le cancer n’est pas qu’une maladie et qu’il en existe de nombreux sous-types et qu’il n’existera donc jamais un traitement unique de type pénicilline. «En fait, le cancer est devenu un problème plus grand en raison de notre meilleure compréhension de son fonctionnement», dit Stillman.

Vous voulez vraiment savoir?

Le jour approche qui verra le séquençage du génome d’un individu ne coûter que quelques milliers de dollars. Déjà, Glenn Close, Henri Louis Gates Jr. et un caniche nommé Shadow ont vu leur génome séquencé. Collins dit que cela constituera un élément crucial du dossier médical de chacun, nous permettant de voir où se cache le danger dans nos gènes. Mais le Dr. David Goldstein, directeur du Centre d’étude des variations du génome humain de l’université de Duke dit: «A l’heure actuelle, nous ne savons que très, très peu de choses des causes génétiques des maladies de chacun.»

Le blogueur scientifique Daniel MacArthur a écrit que même si nous pouvons avoir un aperçu de notre ADN, cela ne signifie pas pour autant que nous puissions en faire quelque chose: «Chacun de nous est pourvu de génomes littéralement couverts de variantes génétiques qui ressemblent à de mauvaises mutations mais qui n’ont que peu ou pas d’effets sur la santé… La technologie du séquençage va aujourd’hui bien plus vite que notre capacité à en interpréter les données.»

L’état de notre ignorance est illustré par le séquençage récent du génome de l’évêque Desmond Tutu et de quatre Bushmen. Trois des Bushmen ont une mutation génique associée à une maladie du foie qui tue les gens lorsqu’ils sont jeunes. Mais tous ces Bushmen ont plus de 80 ans –ce qui veut dire que la variation ne signifie pas automatiquement la maladie, ou qu’il existe des facteurs qui en protègent les Bushmen.

William Langston, expert de la maladie de Parkinson, dit que lorsque le génome humain a été séquencé il y a dix ans, «les gens pensaient que toutes les clés des maladies étaient fondamentalement génétiques. Une fois qu’on avait identifié les gènes, tout se mettrait en place». Mais les années ont passé et l’on a compris que les influences de l’environnement peuvent être au moins aussi importantes. Si notre génome est fini, les influences de l’environnement sur l’expression de nos gènes –la nourriture que nous mangeons, les infections que nous contractons, le stress qui est le nôtre– sont infinies.

Nous savons que notre comportement peut entraîner des dégâts génétiques –demandez donc à un fumeur atteint d’un cancer du poumon. Mais une école de recherche se développe, l’étude de l’épigénétique, qui tente de comprendre comment les interactions entre notre environnement et nos gènes provoquent des maladies. L’épigénétique étudie les marqueurs chimiques qui se situent juste en dehors de nos gènes et qui détermine si tel ou tel gène va s’allumer ou s’éteindre. Une des choses qui distingue notre épigénotype de notre génome est la flexibilité, la manière dont il évolue en réponse aux influences extérieures. Par exemple, une rate qui élève ses petits provoque des changements épigénétiques qui font de ses petits des adultes calmes. Les ratons qu’elle néglige deviennent anxieux en grandissant et ont davantage de diabète et de maladies cardiaques –le stress du rejet provoque des changements dans les marqueurs chimiques de l’épigénotype, qui entraîne alors la mise sous sommeil ou le réveil de chaque gène. Étonnamment, certains de ces changements non-génétiques peuvent être transmis à la génération suivante: les ratons dont la mère ne s’est pas occupée sont à l’âge adulte des mères négligentes, qui produisent davantage de petits rejetés.

Aussi la longue et coûteuse cartographie de l’épigénome a-t-elle commencé, une entreprise massive qui, comme l’indique le NIH «requerra le développement de meilleures technologies».

Une étude récente démontre que, parfois, même nos outils les plus sophistiqués nous plongent davantage encore dans le mystère de notre biologie. Les chercheurs du Groupe de recherche des scléroses multiples de l’Université de Californie-Los Angeles (UCLA) ont conduit l’examen le plus approfondi à ce jour du génome et même de parties de l’épigénotype, sur des jumeaux, dont un seul était frappé par la maladie. Les scientifiques sont persuadés que la sclérose multiple est provoquée par une combinaison de susceptibilités génétiques et de déclencheurs externes. Trouver les différences entre les deux jumeaux pourrait permettre de comprendre pourquoi l’un d’eux était malade. Mais les chercheurs ne sont pas parvenus à mettre en lumière la moindre disparité significative.

La question financière

Si vous suivez les informations, vous avez pu avoir dernièrement l’impression que le cancer du sein peut-être guéri par simple vaccination. C’est ce que le chercheur le plus en pointe dans la recherche d’un tel vaccin pour les souris aimerait à vous faire croire: «Nous pensons que ce vaccin sera un jour utilisé pour prévenir les cancers du sein chez les femmes adultes, de la même manière que les vaccins empêchent la polio et la rougeole chez les enfants», dit le docteur Vincent Thuohy dans un communiqué de presse de la Clinique de Cleveland.

Une expérience a récemment permis de soigner des maladies rétiniennes chez des souris par l’utilisation des nanotechnologies. Le rédacteur en chef du journal ayant publié l’étude, le Dr. Gerald Weissmann, déclare que «comme nous avons augmenté notre compréhension de l’évolution, de la génétique et des nanotechnologies, il existe une chance pour que des traitement “miraculeux” finissent par devenir aussi monnaie courante que ceux proclamés par les anciens et actuels rebouteux».

Voilà le genre de discours qui pousse le commun des mortels à se demander pourquoi son médecin ne fait pas de miracles. Il existe des puissances, internes et externes, qui poussent les scientifiques à survendre leurs découvertes. Sans argent, il n’y a guère de science. Aux Etats-Unis, les chercheurs doivent constamment convaincre les administrations récipiendaires des fonds publics, les investisseurs et les donateurs individuels que les travaux qu’ils effectuent auront des effets. Nancy Wexler affirme qu’afin de récolter des fonds, «vous devez promettre des traitements, et montrer que vous franchissez régulièrement des étapes décisives».

Cette mode de «l’infommercial» pour les thérapies géniques et les cellules souches n’est pas tant liée au besoin des chercheurs de convaincre les bailleurs de fonds, qu’au désir qu’ils ont d’y croire. Le Dr. Theodore Friedmann, professeur en pédiatrie au Centre médical de l’Université de Californie de San Diego, ancien président de la Société américaine des thérapies géniques et cellulaires, fut un des pionniers de la thérapie génique. Il déclare que la nature de la science veut que ce qui ressemble à de brusques avancées majeures est généralement précédé par des années d’échecs répétés et de petites victoires. Par exemple, la transplantation réussie d’organes a mis des décennies à être obtenue. Avant que les médecins ne parviennent à régler par des médicaments les rejets des greffes, les chirurgiens ont tenté sans succès des interventions qui détruisaient le système immunitaire des patients par des doses de radiations massives et même par la transplantation d’un rein dans un sac en plastique.

Mais il reconnaît que sa profession a oublié ces leçons lorsque la thérapie génique est apparue: «Des scientifiques de bonne foi furent emportés par leur propre enthousiasme et l’ont transmis à des patients désespérés.»

La manière d’y remédier, pour le grand public comme pour les scientifiques, est simple mais peu enthousiasmante: l’humilité et la patience. Friedmann déclare que le découragement et la déception nés des thérapies géniques étaient mal placés: «L’avancée est récente. En comparaison des progrès de la médecine, le délai est très court.» Il affirme que les interférences sur la biologie fondamentale provoquent inévitablement des conséquences imprévisibles.

De l’optimisme malgré tout

Alors voilà? La médecine du futur demeure inatteignable? Certains affirment qu’elle arrive lentement. Certains chercheurs qui travaillent sur la thérapie génique commencent à obtenir des résultats: un type rare de cécité génétique a été traité avec succès lors de travaux récents. L’œil est peut-être un domaine de recherche privilégié pour la thérapie génique, car il constitue un espace restreint qui ne provoque pas de réaction immunitaire massive. Ignorant de tels avertissements, Theodore Friedmann déclare que rendre la vue à des patients est une preuve que la thérapie génique fonctionne. «Si ce n’est pas une nouvelle ère de la médecine, je ne sais pas ce que c’est!»

Même William Langston déclare qu’il ressent un nouvel optimisme dans ses recherches sur la maladie de Parkinson. Peut-être n’y aura-t-il pas de traitement, ni même de possibilité de renverser la tendance une fois la maladie déclarée, mais la possibilité demeure que, si la maladie est identifiée plus tôt, lorsque ses effets sont encore mineurs, des traitements en cours de test pourraient faire cesser la progression de la maladie. Avec des «si», on peut certes mettre Paris en bouteille, mais Langston déclare qu’une étude, nom de code ADAGIO, a montré des résultats prometteurs pour des patients récemment diagnostiqués.

Il pense également que les cellules souches ont le potentiel d’éclairer le processus encore mal connu du développement de la maladie de Parkinson. Si des cellules de patients atteints peuvent être rendu à leur état normal et transformé, en laboratoire, en cellules de dopamine développant les caractéristiques de la maladie, «nous aurons Parkinson dans une assiette», dit-il. Il s’agirait là d’une avancée technologique majeure, tant pour la compréhension du déclenchement de la maladie que pour les tests de thérapies potentielles ne mettant pas en danger la vie des patients.

Si les scientifiques n’étaient pas optimistes, la science n’aurait pas de raison d’être. La recherche médicale est bien trop frustrante, trop exigeante et la perspective que des années de dévotion pourraient ne déboucher sur rien est trop déprimante. Comme le résume Nancy Wexler: «Si je ne pensais pas que notre fondation travaille à des progrès susceptibles de provoquer des avancées, ma situation serait insupportable. Mais une question demeure, lancinante: suis-je en train de faire les bons choix?»

Emily Yoffe

Traduit de l’anglais par Antoine Bourguilleau

[1] Rectificatif: Une première version de cet article comportait une grossière erreur. La moelle osseuse n'est pas la moelle épinière. Avec nos excuses et un remerciement à l'internaute vigilant.

Photo: Une vue microscopique d'une colonie de celules souches embryonnaires. REUTERS/Alan Trounson/California Institute for Regenerative Medicine/

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