Économie

Etats-Unis: les vraies causes du chômage

En finir avec la querelle entre causes conjoncturelles et structurelles.

Temps de lecture: 4 minutes

Proposition 1: si, dix semaines avant une élection de mi-mandat des plus cruciales,  l’administration Obama sentait qu’elle pouvait faire baisser l’inacceptable taux de chômage qui frappe aujourd’hui l’Amérique, elle l’aurait déjà fait –pour des raisons morales autant que politiques.

Proposition 2: si, pour une raison ou pour une autre, vous n’êtes pas d’accord avec la proposition 1, cet article ne vous est sans doute pas destiné.

Mais attention: si vous l’acceptez, il faudra également valider l’un de ces corollaires:

  • a) la politique pour l’emploi de l’administration Obama est inadaptée, et ne porte donc pas, pour l’heure, ses fruits;
  • b) cette administration n’a pas su anticiper les défis inhérents au chômage du XXIe siècle, et elle ne parvient pas à les surmonter.

La lutte contre le chômage s’avère donc plus ardue que le pensait le gouvernement; reste à savoir pourquoi. Une question récemment abordée par Narayana Kocherlakota, président de la Réserve fédérale de Minneapolis, dans un discours assez peu remarqué (en dehors des cercles d’économistes). Il a souligné que les offres d’emploi étaient en hausse depuis quelques mois, mais –chose surprenante–  que le chômage avait lui aussi augmenté. Il a alors invoqué le concept de «discordance»:

«Les entreprises veulent embaucher, mais elles ne trouvent pas d’employés qui leur conviennent. Les chômeurs veulent travailler, mais ils ne trouvent pas d’emplois leur convenant.»

Quelques économistes ont immédiatement fait savoir leur désaccord, et ce pour une raison des plus évidentes: soutenir que les forts taux de chômage chroniques sont provoqués par des phénomènes qui dépassent les difficultés économiques du moment revient à sous-entendre que le gouvernement ne peut rien faire pour y remédier. Une théorie qu’ils estiment erronée: à les en croire, le problème le plus crucial demeure le déficit de la demande, et le gouvernement devrait faire tout ce qui est en son pouvoir pour la stimuler. Ces économistes sont les théoriciens du chômage «conjoncturel»; ils préconisent généralement la mise en place d’un second plan de relance. Kocherlakota, lui, estime que les causes du chômage sont «structurelles»; il s’oppose –tout comme la majorité des Américains– à tout nouveau plan de relance. La question de la relance est donc devenue hautement polémique; tellement polémique que le débat ressemble de plus en plus à une guerre des gangs («structurels» contre «conjoncturels», ou, disons, «Strucs» contre «Conjs»); deux camps qui semblent avant tout motivé par le désir d’en découdre.

Et si les choses n’étaient pas aussi simples? Plus le temps passe, plus l’opposition entre les théories conjoncturelles et structurelles apparaît illusoire. Les Conjs ont raison de souligner que les mesures gouvernementales destinées à relancer la demande sont encore insuffisantes. Mais imaginons que nous disions aux Conjs que ces mesures supplémentaires n’auraient résolu qu’une petite partie du problème; combien d’entre eux oseraient affirmer le contraire?

Revenons au discours de Kocherlakota. Son concept de «discordance» doit beaucoup aux travaux de Robert Shimer, chercheur à de l’université de Chicago –un indice révélateur, qui permet immédiatement de ranger Shimer dans le camp des «Strucs». Au cœur de son modèle de «discordance», il y a l’idée que «quelle que soit l’époque, les compétences et l’emplacement géographique des chômeurs concordent mal avec les attentes et l’emplacement des entreprises qui embauchent». Toute personne ayant été amenée à rechercher la bonne personne pour le bon poste au sein de son entreprise qualifierait sans doute cette théorie de quelque peu simpliste, mais en réalité, la modélisation économique du chômage (des années 1970 à nos jours) est, pour l’essentiel, encore plus grossière –on se contente de comptabiliser le nombre de postes vacants et le nombre de travailleurs.

Mettons de côté les considérations politiques, et admettons l’évidence: le marché de l’emploi souffre bel et bien d’un certain problème de discordance. L’économiste Torben Andersen, qui enseigne au Danemark, fait remarquer que dans les 32 pays de l’OCDE, «ce ne sont pas forcément les secteurs les plus touchés par la crise (le bâtiment, la finance, les exportateurs) qui bénéficieraient le plus d’une politique économique expansionniste ayant pour but de relancer la demande publique et/ou privée».

Cette affirmation laisse penser qu’il existe, de fait, au moins une limite à l’efficacité du plan de relance gouvernemental; elle nous renvoie également à la proposition formulée au début de l’article. Le crédit d’impôt immobilier de l’administration Obama semble par exemple avoir eu un effet temporaire sur les ventes de biens. Mais la stimulation de la demande ne sauvera pas, à elle seule, le secteur du bâtiment et les 1,8 million d’emplois qu’il a perdu ces deux dernières années. Quelques pessimistes pensent même que le bâtiment va en perdre quelques millions de plus; et ce, même si la lente reprise de l’économie se confirme.  

La théorie de Shimer va plus loin. Dans son article de recherche de septembre 2007, «Discordance», il assure pouvoir expliquer le fonctionnement d’un grand nombre de variables liées au chômage et aux marchés du travail. Shimer prétend que son modèle prend en compte certains phénomènes particuliers: pourquoi certaines personnes ont plus de chances que d’autres de trouver un emploi; pourquoi certains emplois et certains travailleurs ont plus de chance de disparaître que d’autres... Ainsi, à l’en croire, son modèle permettrait de répondre à des questions qui sont autant de mystères pour la plupart d’entre nous: par exemple, pourquoi les employeurs qui se plaignent de ne pas réussir à pourvoir des postes n’augmentent pas les salaires.

Je ne suis pas en mesure de me prononcer sur l’article de Shimer, qui semble par ailleurs bien argumenté et incroyablement détaillé. Mais même si la «discordance» n’était pas le problème fondamental du monde de l’emploi, même si le déficit de la demande était bel est bien son problème le plus pressant, les Conj pourraient tout de même s’efforcer d’expliquer pourquoi –et comment– la demande a changé au point de devenir (au moins en partie) insensible aux plans de relance traditionnels.  

Mark Thoma, de l’université de l’Oregon, a fait quelques pas dans cette direction:

«Les autorités fiscales pourraient avoir recours à d’autres méthodes pour encourager les transformations structurelles: crédits d’impôt pour investissements, rapprochement des chômeurs et des entreprises nouvelles en amenant les travailleurs à se déplacer ou en encourageant les jeunes entreprises à s’installer dans les régions les plus touchées par le chômage, programmes de reconversion, etc.»

Les solutions de Thoma sont, avouons-le, un peu à l’emporte-pièce (les programmes de reconversion actuels ne semblent pas remarquablement efficaces), mais l’économiste a le mérite d’essayer d’apporter de vraies réponses à des problèmes qui pourraient bien être d’ordre structurel. Et nous avons grand besoin de ce type de recherches, car la crise de 2007 ne s’est pas contentée de mettre un grand nombre d’Américains au chômage: peut-être a-t-elle aussi mis en lumière plusieurs problèmes du monde de l’emploi moderne, jusqu’alors camouflés par une relative prospérité.

Alors, dans l’espoir de rétablir la paix chez les économistes (et, aussi, de faire baisser le chômage), lançons un appel aux deux camps. Strucs: vous devriez être plus spécifiques, et nous dire quelle proportion du chômage est selon vous structurelle, en précisant quelles sont les structures en question. Cela pourrait au moins permettre à ceux qui pensent que le gouvernement est –peut-être– en mesure d’agir de faire leurs propres suggestions. Conjs: commencez par reconnaître qu’en ces temps de récession et de soi-disant reprise, le chômage a changé; et en quoi il a changé. Cessez vos vagues appels à la stimulation de la relance, et faites-nous enfin des propositions de mesures ciblées!

James Ledbetter

Traduit par Jean-Clément Nau

Photo: File d'attente devant une agence pour l'emploi à Madrid. Paul Hanna / Reuters

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